Traversée des Cocos Keeling Islands à l'île Rodrigues (archipel des Mascareignes).

Encore un départ, toujours une longue traversée au cœur de l’océan Indien afin de rallier notre prochaine destination (un peu moins perdue celle là) ; l’île Rodrigues, qui avec ses voisines Maurice et La Réunion forment toutes trois l’archipel des Mascareignes.  2 000 milles à parcourir dans le 255° toujours sous l'influence bénéfique des Alizés de sud-est, allure de largue. 
3 petites semaines aux Cocos, c'est un minimum je dirais ! Entre les heures à arpenter l’atoll en Kitesurf, à pécher, préparer des noix de coco, les soirées entre amis et gens de bateaux, quelques heures par ci par là à ne rien faire d’autre qu’admirer et profiter de cet endroit magique ; on s’aperçoit comme toujours que les journées passent vite, aussi vite que les Alizés qui ne s’arrêtent jamais ! Personne ne pourra dire que je n’aime pas le vent, mais à la longue ; il arrive que cela saoule un chouia ! 25 nœuds nuit et jour ; c’est le minimum syndical par ici ! Les journées à 30-35 nœuds ne sont pas rares en cette période de l’année.

Du côté de l’avitaillement ; rien à voir avec Bali ou encore la Nouvelle-Calédonie.
Aux Cocos : tout, absolument tout est importé, même le lait de coco. A part aux Tuamotu ; j’ai jamais vu une telle densité de cocotiers au kilomètre carré. No comment.
J’ai cru comprendre qu’il y avait un bateau ravitailleur par mois, afin d’assurer l’approvisionnement en carburant, gaz, et produits de consommations divers et variés. Plus 2 vols par semaine pour les produits frais. En résumé ; là encore il faut s’adapter. En plus nous sommes en période de Ramadan ! J’avais déjà vécu cette situation lors de notre passage à Dakhla au Maroc sur le Beunaise en 2006, dans des proportions et des circonstances un peu différente quand même.
En tout cas : le shopping de départ sera vite expédié. Plus de concombre, plus de carotte, plus de banane, jamais vu de citron, encore moins de pamplemousse ou d’ananas. Les tomates et les oranges sont les plus chères du monde ! J’ai pris le dernier sachet de pain de mie (congelé !), des pommes, des œufs, du cheddar et basta.
Ah si quand même ; j’ai découvert les paquets de gâteaux au chocolat « Tim Tam », de fabrication australienne. Juste une drogue !
Et pour la première fois : j’embarque des noix de coco (que j’ai pris la peine d’écorcher au préalable, parce que je vous dis pas la galère de faire ça à bord avec les conditions de navigation que nous avons l’habitude de rencontrer. Le bois de la coconut et même de l’arbre sont d’une dureté incroyable !). La pulpe est très nourrissante, croquante à souhait, j’adore ça, et Trinquette aussi lorsqu’elle a vraiment les crocs. Je m’autorise même de temps en temps un spécial « Bounty » : le croquant-coco-trempé-dans-du-Nutella ! Houlala ! Le P’tit Jésus en culotte de velours !
Problème ; j’ai embarqué 7 noix de coco, et je n’ai que 6 pots de Nutella en réserve ! Tôt ou tard ; la pénurie de Nutella nous pendra au nez, même si ceux sont des pots au format familial ! Ben quoi, on a le droit d’aimer le Nutella, non ?
Vous allez me dire ; mais comment fait-il pour ouvrir la noix ? Rien de plus facile, il suffisait d’y penser ! Entreposez la noix au soleil à l’abri du vent. Au bout d’une heure environ ; elle se fend en 2 sous l’effet de la dilatation. Et ce qui est bien ; c’est que la pulpe demeure encore hermétique et garde donc son jus ! Génial non ? Y’a plus qu’à percer un trou dans le blanc du fruit en passant par la fente, récupérer le breuvage, et finir d’ouvrir la noix qui cède facilement sous l’effet levier, couteau, fourchette, tournevis etc…


-         Vendredi 23 août 2013 :
Le réveil sonne ; il est 6 heures du matin. Petit dèj énergique, puis dernier rangement et check de tout ce qui à besoin d’être rangé et checké.

9h00 :  tout est paré, l’ancre se décroche est l’étrave de Free Spirit se dirige naturellement vers la sortie du mouillage de Port Refuge. Je déroule aussitôt le génois et éteint le moteur que j’avais pris la précaution de démarrer au cas ou nous serions parti tribord amure, c’est-à-dire côté plage, cette dernière se situant à une cinquantaine de mètre à peine.
L’Alizé souffle à 25 nœuds. Rien de nouveaux sous les Tropiques ! Le ciel est dégagé. C’est une belle journée pour appareiller, même si les départs sont toujours plus tristes que les arrivées. Pour pouvoir profiter des ces merveilleux moments que peuvent nous offrir les arrivées, il est bien évidemment indéniables qu’il faut partir un jour ou l’autre !
Après avoir emprunté la passe nord et arrondi l’atoll par le motu nord-ouest appelé Horsburgh Island, nous nous calons sur la route de Rodrigues ; cap au 255°, allure de petit largue, bâbord amure, trinquette sur tribord et un bout de génois tangonné sur le bord au vent. La mer est très agitée, la houle de sud significative, synonyme d’une grosse dépression qui se déplace d’ouest en est à la latitude du Cap de Bonne Espérance. Eh oui ; c’est encore la saison des tempêtes dans le grand Sud, au niveau des 40èmes rugissants et 50èmes hurlants.
Trop d’angle entre notre route et le vent pour pouvoir se permettre de relever la dérive, dommage.
Même sporadiques ; les déferlantes sont à l’affût. Une embuscade n’est pas à exclure donc, principe de précaution et expérience obligent ; tous les panneaux et hublots sont fermés, descente comprise. Inutile de préciser qu’il ne fait pas froid à l’intérieur.
Comme vous le savez déjà ; Loulou s’offre une pause « repos du Guerrier pour cause de défaut de fonctionnement du moteur électrique inhérent au vérin ». N’ayant pu trouver un technicien suffisamment pointu en la matière pour réparer les dommages occasionnés à mon fidèle et indispensable équipier ; nous accueillons donc avec joie, respect et humilité notre nouvel assistant au poste de barre. Le ST 2000+ de chez Raymarine partagera donc avec moi les quarts à la barre au moins jusqu’à l’île Maurice, lieu où en principe Loulou devrait être doté d’un moteur tout neuf pour son vérin.
Mais en attendant ; Free Spirit devra lever le pied et naviguer piano-piano car le ST2000, mais s’il est « + », n’est, sur le papier, pas aussi costaud que Loulou. Il nous faudra donc le ménager surtout si, comme d’habitude, nous rencontrons des conditions de vents et de mers difficiles. Les solutions existent : barrer le plus souvent possible (7 à 8 heures par jour), et naviguer sous-toilé, surtout la nuit, où le ST2000 devra assurer pendant 12 heures d’affilées.

11h30 :  Free Spirit croise la route d’un immense rassemblement d’oiseaux de mer qui ne sont là que pour une chose ; la pêche ! Comme par magie : la réponse de notre ligne de traîne ne se fait pas attendre : une bonite d’un fort joli gabarit ! Je n’en pêche pas tant que ça ; la dernière remonte à notre dernière visite à l’île des Pins. Le Mahi-Mahi se fait beaucoup plus souvent surprendre. D’ailleurs ; tel un débutant, après avoir décroché l’hameçon de la gueule de la bonite ; je le laisse pendre sans le faire exprès à 4 ou 5 mètres de la plage arrière où je m’affaire à nettoyer la bête, sous les yeux envieux de Trinquette qui quémande  sa part avec impatience. Un Mahi-Mahi ne trouve rien d’autre à faire que de venir croquer le leurre (celui-ci est de fabrication artisanale jumelant une poupée de papier brillant, style sachet de purée lyophilisée, autour d’un hameçon tout ce qu’il y a de plus simple). Rien à faire, il est pris au piège. Je dois le remonter afin de pouvoir le libérer. « Et que je ne t’y reprenne plus, la Belle ! Enfin pas ces prochaines 48 heures du moins ! ».
A partir du début d’après-midi ; le vent devient relativement irrégulier, 20-25 nœuds, molles à 15 et rafales à 30.
Les grains et la pluie annonce la nuit.
Je monte d’emblée le lit de camp car sans trop de surprise ; ça brasse grave dans la cabine avant.
Le détecteur de radar me sort du lit à 2 reprises. En fait ; à 5 minutes d’intervalles. Deux bateaux de commerce sur route de collision, un faisant route vers l’Australie, l’autre vers l’Inde ou l’Indonésie. Je m’apercevrai au fur et à mesure de notre progression que ces eaux sont assez fréquentées, suffisamment pour continuer à veiller régulièrement.
Pendant ce temps là ; Trinquette dort et dort encore, se délecte de poisson frais le jour, et d’exocets la nuit. Elle profite pleinement de ma présence à ses côtés 24 heures sur 24 en venant régulièrement et sans retenue aucune se lover au contact.

-         Samedi 24 :
La nuit fut belle et généreusement éclairée par la douce et chaleureuse lumière lunaire, malgré que l’Astre soit en phase décroissante depuis 3 jours déjà.
De 6 à 7 heures du matin ; je prends le premier quart au poste de barre, avant de prendre le p’tit dèj. Cela me permet d’admirer en même temps le lever de soleil, apprécier la tendance météorologique, et ainsi mettre instantanément de la gaieté dans cette plus ou moins belle journée qui s’annonce… en mer, et pour quelque temps encore.
Beau temps, conditions inchangées si ce n’est notre position ; toujours plus à l’ouest sur la route du retour... Yalah !
Je crois que nous marchons plutôt bien, preuve que « K2000 » s’adapte parfaitement à la situation que je lui impose. Croisons les doigts pour que ça dure.

            9h00 :  JOUR 1.  12°53 de latitude sud,  94°37 de longitude est ;  144 milles parcourus ces premières 24 heures.  Reste 1 845 milles dans le 255° jusqu’à Port Mathurin (port d’entrée officiel de l’île Rodrigues, archipel des Mascareignes).

Une belle journée de navigation que nous venons de passer aujourd’hui. Alizés de sud-est 20-25 nœuds (on ne peu guère espérer moins à cette époque de l’année), houle moyenne de sud sud-est, creux de 2,5 à 3 mètres. Soleil et chaleur. Ouh que c’est bon ça !
20h00 :  eh oui ; des conditions pareilles ; elles ne sont pas faites pour durer. Tôt ou tard : il faut payer la note ! Les grains s’enchaînent, la pluie s’installe, et le vent forcit nettement pour souffler à 35 nœuds sous les nuages. La nuit est noire et m’empêche toute     observation visuelle quant à l’état de la mer. Le sens du toucher et de l’ouïe respectivement liés aux mouvements du bateau et aux vagues qui nous submergent suffisent à me donner une idée, guère rassurante soit dit en passant.
Je me disais aussi que tout ceci était bien trop beau, bien trop calme.
Bref ; on dira que nous sommes revenu à la normal quoi ! Bienvenu au cœur de l’océan Indien !
K2000 tient bon la barre depuis que la nuit a recouvert la mer d’une obscurité quasi-totale, sous trinquette seule, le génois étant entièrement enroulé afin de parer à toute mauvaise surprise. L’inconvénient de voguer sous-toilé réside dans le fait que nous sommes sans cesse à la merci des lames déferlantes. Nous subissons la mer au lieu de la chevaucher. La houle en profite donc pour nous attaquer par le travers et nous décroche de sacrés crochets du gauche par moment !

-         Dimanche 25 :
6h30 :  changement de décor ! Dans l’Indien tu souffriras, car l’Indien sera toujours l’Indien et ne pourras pour sûr jamais en être autrement ! La longue houle du sud-ouest à sud fait son entrée en scène. En fait, un certain croisement s’opère, et nous sommes au carrefour de ce dernier. Sud-ouest, sud, sud-est, croisées avec la mer très agitée de l’Alizé ; ça donne un beau désordre. Des creux de plus de 4 mètres façon pic de Dante peuvent, à chaque instant, violemment nous aborder par le travers bâbord. Heureusement pour nous ; l’Alizé ne semble pas vouloir dépasser les 25 nœuds, si ce n’est sporadiquement sous quelques nuages dérivant énergiquement dans le flux bien établi de sud-est. Le beau temps se maintient en journée. Tout de même, chaque soir de 19 heures à 22 heures environ ; une certaine instabilité s’installe apportant de la pluie et du vent oscillant entre 15 et 30-35 nœuds. Curieux comme phénomène !
Evidemment ; la vie à bord prend une autre dimension. On ne se rend pas vraiment compte lorsque que l’on dort plus ou moins paisiblement, ça vient surtout au moment de prendre le petit déjeuner. Tout fout l’camp !
Mais bon, dans l’immédiat ; je ne me plains pas… enfin pas encore ! Le soleil brille et nous avançons bien compte tenu du peu de toile que nous portons.

            9h00 :  JOUR 2.  13°27 sud,  92°27 est ;  135 milles parcourus.  Reste 1 712 milles dans le 255° jusqu’à Port Mathurin.

12h00 :  il faudrait que j’apprenne à me traire un jour !!! En une heure à peine ; le ciel est devenu juste apocalyptique, et la pluie de s’installer durablement par la même occasion, ben tient, pendant que nous y sommes. Rien de tel pour plomber le moral des troupes. Qu’est-ce que j’aimerai être à la place de Trinquette dans ces moments là ; elle qui ne fait que dormir lorsqu’elle sent le coup de vent se pointer. Ce qui m’attend : une après-midi en enfer : y’avait longtemps. Les grains se succèdent sans intermèdes dans une ambiance de gris/noir persistante. Pas moyen d’apercevoir ne serait-ce que l’emplacement même de l’Astre solaire. La pluie tombe drue, le vent varie de 15 à 35 nœuds avec des changements de direction allant jusqu’à 30°. L’infamie vient de l’état de la mer comme d’habitude ; forte et croisée et tous sens. Les déferlantes sont aux aguets, prêtes à faire feu.
Puis pour finir en beauté et commencer la nuit du bon pied ; l’Alizé ne trouve rien de mieux que de s’installer en mode baston comme il sait si bien faire. Les 35 nœuds sont largement atteints et dépassés en rafales. Le coup de vent annonce une nuit de circonstance malsaine.
1h00 :  la lune sort de sa torpeur, le ciel tend à se dégager. La mer est forte et le vent inchangé.
1h30 :   une vague d’une violence inouïe nous frappe par le travers. Le coup de gîte qui en résulte est énorme. L’eau s’engouffre par la descente pourtant fermée ??? K2000 est au tapis, c’est le KO, il se met en sécurité. Free Spirit par à l’abattée, puis à l’empannage. Heureusement que nous ne portons que la trinquette. Une grosse partie du panneau transparent de la capote a été littéralement arraché, décousue sur plus de 2 mètres ; voici la raison pour laquelle la déferlante d’une force torrentielle a pu pénétrer à l’intérieur en se faufilant par les côtés du panneau horizontal de la descente.
K2000 en a pris un sacré coup lui qui n’en demandait pas tant. Résultat du combat : le compas divague complètement. OK ; je n’insiste pas et coupe le jus. On verra plus tard ce qu’il advient de notre nouvel équipier. J’attache la barre et mets Free Spirit au cap 240°, allure de vent de travers apparent.
Puis je m’affaire à évaluer et réparer les dégâts dans l’habitacle. A première vue : c’est pas du gâteau ! Une douzaine d’œufs est partie s’exploser contre la porte du placard pour finir sur le plat… du plancher ! Beurk ! Un voyage de 4 mètres tout de même !
De l’eau un peu partout dans le coin cuisine, gazinière, compartiment frigo, descente, planchers, table du carré, table à cartes, GPS, VHF… de l’eau que je vais devoir éponger dans les fonds tribord après avoir pris bien soin de tout rincer à l’eau douce. J’en retire une bonne vingtaine de litres tout de même. Une goutte d’eau ! Une petite et unique goutte d’eau de mer est venue se loger dans la fente prévue pour l’emplacement d’une carte SD de mon boat-radio. Résultat = HS !
Voilà ; une vague plus grosse que les autres, peut-être légèrement scélérate, sûrement perdue au milieu de cette grande étendue bleue assurément peu accommodante, aura suffi à occasionner des dégâts, pour certains, irréversibles. Les œufs ne finiront pas dans mon estomac, mon boat-radio ne hurlera plus les Gun’s & Roses, et mon moral… non ; pas le moral. Celui là revient toujours au beau fixe à un moment ou à un autre.
En tout cas ; il m’aura fallu presque 3 heures pour tout remettre en ordre. Vers 4 heures ; je remets le courant et rebranche K2000. Et là, stupeur et terreur se mêle ; Il ne sait pas remis de son black-out de tout à l’heure.
Tant pis pour la route ; je démonterai le socle à la lumière du jour. Free Spirit se comporte bien au 240°, et puis je suis crevé !

-         Lundi 26 :
7h00 :  conditions inchangées, à croire que le sort s’acharne (certains penserons qu’il ne fallait pas appareiller un vendredi ! Fichtre ! Je vais finir par le penser aussi).  30-35 nœuds. Mer démentielle. Et en plus ; ça caille maintenant !
Petit dèj. afin de reprendre des forces, puis démontage du ST 2000+ tout neuf !
Constat : rien à signaler de gravissime. Je pense qu’il a pris quelques gouttes d’eau de mer sur le circuit intégré inhérent au compas. J’essuie précautionneusement avec un  coton tige et remonte le tout. Verdict ; ça remarche… MAIS « Pourquoi tombons-nous : afin de mieux nous relever ! ». Nous sommes d’accord sur ce point, sauf que si c’est pour retomber aussitôt ;  pas la peine. Donc je décide premièrement de barrer 3 heures d’affilées au cap plein ouest, et deuxièmement de remettre Free Spirit en mode barre amarrée et cap 240°.  Et cela jusqu’à ce que les conditions de vent et de mer se tassent un peu.
Je trouve tout de même que c’est un peu tôt dans la traversée pour s’en prendre autant plein la gueule. Il reste encore plus de 1 500 milles à courir, et une bonne douzaine de jours à tenir, donc Keep cool s’il-vous-plaît Eole et Poséidon ! Merci, nous vous en serions indubitablement reconnaissants !
Et dire que certains s’imaginent que ça doit être cool la vie en mer ! Il suffit de leur suggérer une réflexion sur ce genre de fait : est-ce qu’ils s’imaginent 24H/24 assis, debout, allongé, se déplaçant sur un sol en mouvement perpétuel, parfaitement instable et imprévisible, et ce pendant plusieurs jours voir plusieurs semaines ? Se préparer à manger, consommer ses repas, se déplacer à bord, à l’intérieur ou à l’extérieur ; tout devient un combat de tous les instants, et je n’exagère pas en pensant cela. Et encore ; je n’évoque même pas le mal de mer !
Bien sûr, avec la passion, l’expérience et l’habitude ; on finit pas ne garder que les bonnes choses, et heureusement d’ailleurs. Ceci dit ; je reconnais que cet océan là n’est vraiment pas commode et me donne pas mal de fil à retordre. Alors comme toujours ; il faut prendre sur soi et s’adapter !

            9h00 :  JOUR 3.  14°03 sud,  90°35 est ;  116 milles parcourus.  Reste 1 595 milles dans le 256° jusqu’à Port Mathurin. 7 heures à la cape ; ça change la donne… et la moyenne par la même occasion.

12h00 :  le beau ciel alizéen fait son come back, le soleil brille de nouveau, les températures ne sont plus aussi chaudes qu’au départ des Cocos. En cause ; nous nous éloignons de l’équateur et descendons doucement vers les hautes latitudes.
19h00 :  il semblerait que l’Alizé soit revenu à de meilleurs dispositions, et ce pour notre plus grand bonheur.

-         Mardi 27 :
7h00 :  temps maussade. Vent d’est sud-est 20 nœuds, 25 sous les nuages faiblement pluvieux. La mer s’est assagie, ce qui n’est pas pour me déplaire, bien au contraire. Certains creux culminent encore à 3 mètres environ. Free Spirit a tenu la barre toute la nuit, cette dernière fut au demeurant beaucoup plus calme et donc réparatrice que la précédente. Je compte remettre K2000 à la tâche dès la fin de mon quart matinal.

            9h00 :  JOUR 4.  14°55 sud,  88°51 est ;  113 milles parcourus.  Reste 1 485  milles dans le 257° jusqu’à Port Mathurin.  4 jours est égal au quart de la distance totale à parcourir. Mais je ne me fais pas trop d’illusions quant au raisonnement rapide et très simpliste qui conclurait à une traversée en 16 jours.

Il paraît que pour bénéficier de conditions plus clémentes ; il faut obliquer la route vers le nord. Moi ; j’oblique vers le sud. Sans pilote automatique, je n’ai pas vraiment le choix. Maintenir Free Spirit barre amarrée aux allures de portant (grand largue et vent arrière) ; même s’il est dériveur, relève de l’impossible. Peut-être sur une mer plate comme un billard, mais j’ai jamais essayé et de toutes façons, ça n’arrive jamais !
Effectivement, au vent de travers petit largue bâbord amure ; cela nous mène indubitablement sur une route plus sud que l’orthodromie. La faute à l’adaptation !

Histoire de dire : nous avons coupé cette nuit le méridien 90° est ! Que peut-on en conclure ? Lorsque l’on sait que nous sommes partis du méridien 0° que l’on appelle le méridien de Greenwich, en direction de l’ouest, que nous avons franchi le méridien 90° ouest (aux îles Galapagos), puis la ligne internationale de changement de date ou 180° (avant l’arrivée de Free Spirit en Nouvelle-Zélande), et cette nuit le méridien 90° est, que la Terre est ronde est que donc sa circonférence compte 360° ; et bien en degrés de longitude ; nous avons parcourus… 3/4 du tour ! Je ne crois pas qu’il en soit de même pour les milles parcourus, car le fait de passer par le Cap de Bonne Espérance et les Antilles sur la route du retour, plutôt que par la mer Rouge, le canal de Suez et la mer Méditerranée (pour les raisons que tout le monde sait), rallonge considérablement le parcours. Il me semble me souvenir qu’il y a 6 ou 7 000 milles de différence entre ces deux options.

Durant mon quart matinal ; je suis passé de la tenue d’Adam et lunettes de soleil à la veste de quart, ciré jaune et capuche. C’est fou comme le temps change vite par ici, surtout en passant du beau au pis !

12h30 :  verdict final et sans appel ; mon pilote ne fonctionne pas ! Le bug vient du compas (uniquement dans la zone 200-300°, celle qui nous intéresse puisque notre cap compas est au 260°) qui a pris l’eau lui aussi (boat-radio HS). J’ai démonté une deuxième fois, bien tout nettoyer et sécher à nouveau. J’ai même connecté le NMEA (système qui permet de faire correspondre les instruments électroniques de bord entre eux. Par exemple le GPS avec le pilote automatique, ou les GPS avec la VHF équipée de l’AIS, etc…). Branché puis installé en mode track ; rien y fait ! 
Donc à partir d’ici et maintenant ; Free Spirit poursuit sa route barre amarrée. Je décide de relever la dérive. Mon objectif est de trouver un compromis entre notre cap réel et notre cap dérive (j’entends par là l’inévitable marche en crabe si vous préférez). Ce qui donne approximativement un cap compas de 240°. Allure de petit largue apparent. J’ai beau retourner le problème dans tous les sens ; pas moyen de faire mieux. Et de toute façon, afin de pallier à ce cap qui nous plombe bien au sud de notre route, j’assure toujours mes quarts à la barre, au cap 270° plein gaz !
Quant à notre vitesse fond ; peu importe. Mais je pense que nous pouvons remercier le courant océanique qui semble enfin nous être favorable.
19h00 :  une belle après-midi de navigation que nous venons de passer là.  20-25 nœuds de vent, beau temps, mer très agitée encore mais ayant tout de même le mérite d’être rangée. En bonus ; la houle de sud s’est effacée afin de laisser le champ libre à la mer des Alizés, facilitant considérablement les choses.
La nuit s’annonce calme, presque douce. Les étoiles, telles des trous d’aiguilles dans le rideau de la nuit, s’effaceront petit à petit lorsque l’Astre lunaire et sa grandiose luminosité daigneront sortir de leur cachette orientale.
Seul un bateau de commerce détecté par le mer-veille viendra troubler mon pénible travail au sein protecteur des bras de Morphée.

-         Mercredi 28 :
7h30 :  cooool ! Beau temps sec et ensoleillé, vent de sud-est 20 nœuds. Mer agitée en adéquation avec l’Alizé ambiant. On peut presque parler de miracle. Méfiance tout de même. Soit je suis encore en plein rêve, soit la note à payer plus tard sera des plus « salée ». Quoique je pense avoir versé quelques arrhes jusqu’à maintenant.
Mais chut ; profitons pleinement de ces moments rares où plénitude rime avec zénitude et positive attitude !
En tout cas ; rien à voir avec la galère des jours précédents (sauf les deux premiers qui étaient agréables aussi). Certes ; nous ne couvrons pas quotidiennement 140 milles comme nous aurions dû, mais il fait beau et les conditions de navigation sont optimales. Free Spirit se cale sur le bon cap sans forcer et je me demande même si je dois encore prendre la barre. Quelle ironie ne trouvez-vous pas ?

            9h00 :  JOUR 5.  15°32 sud,  87°08 est ;  108 milles parcourus.  Reste 1 380 milles dans le 257° jusqu’à Port Mathurin.

Baleine ? Raie Manta ou vue de l’esprit ? Je pencherais pour une raie Manta. Qu’est-ce qui me fait penser cela ? Lorsque j’étais à la barre, mes yeux se sont très nettement fixés (j’élimine donc d’office la vue de l’esprit !) sur un énorme animal aquatique nageant paisiblement, en mode pas de violence, c’est les vacances ! à 2 ou 3 mètres sous le vent de Free Spirit. Environ 5 mètres de long (les Mantas peuvent atteindre 6 mètres d’envergure), couleur foncé, et la partie de la bête que j’ai aperçu hors de l’eau semblait molle, exactement comme l’extrémité des ailes de ce merveilleux mammifère marin qui ne se nourrit que de planctons. Et puis en général ; les baleines sont facilement reconnaissables par leur souffle car elles viennent en surface pour respirer. Un souffle de baleine, suivant la taille du cétacé, peut se voir et s’entendre de très loin. 
17h00 :  c’est reparti pour un tour de manège désenchanté ! Pas encore en mode « taquet », mais j’entends le sifflement continuel dans les haubans synonyme d’un vent supérieur à 25 nœuds déjà, et je sais malheureusement par expérience que Eole ne va pas en rester là…
J’arrive enfin à toper l’heure de coucher du soleil : 18h38 !
3° de latitude perdus = 3° de température en moins. La couette mi-saison est de rigueur. Je garde les chaussettes et le bonnet pour l’Afrique du Sud.
19h00 :  l’anémomètre indique régulièrement 30 nœuds, la mer redevient agressive, j’espère que nous en resterons la siouplé !

-         Jeudi 29 :
7h30 :  retour d’un Alizé classique de mois d’août dans l’océan Indien ;  30-35 nœuds de sud-est. Mer très agitée, creux de 3 à 4 mètres surmontés de quelques déferlantes ça et là, histoire de pimenter la sauce bastonnade. Baromètre à 1023 hectopascals. Température de 24° à l’intérieur. Ca baisse encore.
RAS de spécial concernant la nuit passée. Un seul empannage dû au passage d’un grain où j’ai dû me lever afin de remettre Free Spirit sur sa route, et quelle route ! Heureusement que grâce à la dérive relevée : nous marchons en crabe. Sans ça ; nous serions déjà sur la latitude de l’île Rodrigues. Et puis nous avons encore croisé la route d’un bateau de commerce sur le trajet Afrique-Australie. Plutôt fréquenté l’Indien, mais que la nuit !!! Vous avez dit bizarre…

            9h00 :  JOUR 6.  16°05 sud,  85°14 est ;  115 milles parcourus, et j’ai barré 2 heures seulement ces dernières 24 heures. Ou tu sais que je t’aime toi mon Free Spirit.  Reste 1 265 milles dans le 258° jusqu’à Port Mathurin.

9h30 :  allez courage : au poste de barre histoire de jauger la sauce du jour, de prendre l’air frais et vivifiant, plus quelques embruns voir déferlantes. Je ne sors plus sans la veste de quart, même au soleil. On sent bien la différence de température en l’espace de quelques jours de navigation un chouia plus vers le sud.
J’ai assisté, lors de ce quart matinal à la barre, à un phénomène extraordinaire que je n’avais encore jamais observé jusqu’à aujourd’hui. Un magnifique et curieux arc-en-ciel a pris naissance juste au dessus et surtout en contact avec la ligne d’horizon. Il était de forme légèrement arrondi, très aplati, ses couleurs étaient vives et chaudes sur fond de ciel bleu clair, et il était chapeauté par un autre arc-en-ciel lequel était parfaitement normal. Durant 2 ou 3 minutes ; il était si près de Free Spirit que j’avais l’impression de pouvoir le caresser. Une touche de sensualité dans ce monde de brute !
Je laisse le soin à Free Spirit de barrer toute l’après-midi, et d’enchaîner sur la nuit.
Le temps se maintient… et la l’astre lunaire de disparaître peu à peu définitivement vers la période de nouvelle lune. Nuits de plus en plus obscures, mais étoiles de plus en plus brillantes et nombreuses.

-         Vendredi 30 :
7h30 :  même conditions qu’hier, la mer un peu plus hirsute encore !

            9h00 :  JOUR 7.  16°30 sud,  83°24 est ;  110 milles parcourus.  Reste 1 155 milles dans le 259° jusqu’à Port Mathurin.
Cela fait donc une semaine que nous avons quitté notre dernier petit bout de paradis sub-terrestre, et 841 milles parcourus, soit presque 15° de longitude (900 milles) et donc l’équivalent d’un fuseau horaire. Voyons : y’a pas de quoi pété 3 pattes à un canard mais il faut voir le bon côté des choses : sans pilote automatique, nous nous en sortons bien.

D’après les célèbres pilots charts (statistiques pour la navigation hauturière), la deuxième moitié du chemin pourrait être plus calme ah ah ah ! Ces mêmes stats disent aussi que les Alizés tendent à s’essouffler légèrement à partir du mois de septembre. Et bien bonne nouvelle, ça tombe très bien car après demain ; nous attaquerons la seconde partie de cette longue traversée à travers l’Indien, et hasard du calendrier ou simple coïncidence, appelez cela comme vous voudrez, nous serons le premier septembre !!!

12h00 :  retour de la houle du grand Sud, peu virulente mais sensiblement remarquable pour le moment. Une fois n’est pas coutume (et pourtant je suis du genre à voir la bouteille toujours à moitié pleine !) ; l’expérience me fait penser que tôt ou tard, comme tout désagrément supplémentaire, elle sera amenée à grossir, grossir et grossir encore !
La mer ainsi croisée de sud-est avec cette houle devient à nouveau très agitée à forte avec des creux culminants parfois à près de 4 mètres.
Au moment de mes quarts au poste de barre ; je cape au 300° afin de compenser la dérive et le cap 240° que nous maintenons lorsque nous naviguons barre amarrée. Par conséquent ; je barre plein vent arrière, surtoilé au génois, et m’amuse à faire partir Free Spirit dans des surfs à plus de 10 nœuds. Ca fait du bien au moral et la vitesse profite à tout le monde. Et puis cela permet de rattraper un peu le fait que nous rallongeons notre route surface à effectuer des zigs et des zags à foison façon Tricot Rayé sur la plage abandonnée !
Côté manœuvre ; il ne se passe pour ainsi dire rien ! Seule la trinquette nous tire vers notre destination. D’ailleurs, je l’ai tangonné depuis ce matin voir si ça change quelque chose à la partition. Le résultat est plutôt satisfaisant. On garde ! La grand-voile n’a même pas vu le jour (encore moins la nuit). Et le génois toujours tangonné sur bâbord sert à équilibrer notre route en fonction de la force du vent et de l’état de la mer.
17h00 :  il semblerait que l’Alizé veille bien ne plus dépasser les 25 nœuds. La mer s’est assagie à l’unisson. En revanche, les dégradés de couleurs gris foncés et autres noirs clairs qui désormais ornent notre ciel ne présagent rien de bon. Le baromètre a légèrement piqué du nez. Bref ; tout ça ne me dit rien qui vaille.
Je relève la ligne de traîne tout en grommelant de ne rien pêcher. Et bien ce soir ; non seulement je ne remonte point de dîner, mais en plus le leurre (un bas de ligne tout neuf installé d’hier) a disparu dans les abymes insondables d’un océan décidément peu accommodant. Je cache mon désappointement…
Superbe nuit étoilée. Pas de passage de transport maritime. 2 ou 3 empannages intempestifs sans gravité en conséquence d’une moindre variation de direction ou force du vent, au passage d’un nuage par exemple. Afin de rectifier ce genre de désagrément et optimiser notre route ; nous n’avons rien inventé de mieux que nos très chers pilotes automatiques. Encore faut-il qu’il fonctionne ! Dans un avenir très proche, j’envisage très sérieusement d’équiper mon Free Spirit d’un régulateur d’allure (ou pilote mécanique ne nécessitant pas de branchement électrique). D’accord ça prend de la place sur la plage arrière (bien que certain soit facilement démontable lors des escales prolongées, encore faut-il avoir de tout façon la place pour le stocker à bord), c’est encore un équipement supplémentaire, et qui a un coût (on en trouve d’occasion), mais ça peut être très utile dans ce cas présent. Bref, à méditer… On ne peu pas dire que je n’ai pas de temps pour ça !!!

-         Samedi 31 août :
7h30 :  quel calme, quelle tranquillité ! Un Alizé comme Papa et Maman le décrivait 25 ans en arrière, à savoir un paisible mais trop rare 15-20 nœuds de sud-est, petite houle de sud croisée à la mer agitée des Alizés, creux moyens de 2,5 mètres environ. Le baromètre est remonté, jouant du yo-yo au rythme des journées. Le soleil brille sans vergogne. Nous sommes en paix quoi…

            9h00 :  JOUR 8.  16°49 sud,  81°39 est ;  105 milles parcourus.  Reste 1 055 milles dans le 259° jusqu’à Port Mathurin.

Au crépuscule ; l’Alizé perd peu à peu de la vigueur, et ça n’est que fébrilement qu’il nous bercera toute la nuit, 10 nœuds à tout casser ! Bercer n’est peut-être pas le verbe adéquat car je n’ai jamais vu aussi peu de vent depuis que nous avons quitté Bali, et paradoxalement, nous n’avons jamais été autant secoués, au rythme effréné d’un roulis perpétuel et violent. L’idée m’a traversé l’esprit de tout affaler, et puis même si on se traîne ; on se traîne sur le bon cap, donc on continue à subir et à avancer…
En tout cas : bravo les pilots charts pour leur précision digne d’une horlogerie suisse concernant leurs statistiques. Voici que nous avions à peine parcourus 5 milles dans la seconde moitié de la traversée, et 2 heures avant le début du mois de septembre, que l’Alizé s’est effectivement et radicalement calmé !!! Mais s’il-vous-plaît : pas la pétole, surtout pas la pétole OK ?!!
22h00 :  point médian de notre traversée atteint en 8 jours et 13 heures.  995 milles de part et d’autre de notre position actuelle au point GPS suivant :
16°51 de latitude sud,  80°38 de longitude est. Première moitié de la transindien en août, deuxième en septembre.

-         Dimanche 1er septembre :
7h30 :  vent faible d’est sud-est 10-12 nœuds, 15 nœuds un peu plus tard dans la matinée. Mer agitée par mouvement de houle relativement significative par rapport au peu de vent que nous touchons actuellement dans cette zone.

            9h00 :  JOUR 9.  16°57 sud,  80°07 est ;  90 milles parcourus.  Reste 968 milles dans le 260° jusqu’à Port Mathurin. Enfin nous passons sous la barre symbolique des 1 000 milles ! Et hop : une bouteille à la mer pour fêter cela comme il se doit…

16h00 :  Alizés 20 nœuds ; te voici de retour !
Comme chaque fin d’après-midi ; le ciel s’encombre d’une flopée de nuages gris et pluvieux aux divers horizons, et ce sur plusieurs couches atmosphériques. Conséquence directe ; un manque cruel de coucher de soleil. 
La nuit est noire de jais, seul quelques petits moutons blancs et parfois phosphorescents viennent apporter une très légère touche de clarté. La ligne d’horizon a totalement disparue, noyée, dissoute entre le ciel et la mer qui se mélangent sans aucune distinction de couleur.

-         Lundi 2 :
Ca doit sentir la fin de saison pour la Golfy’s Family… Ndlr !
Les jours s’enchaînent et ne ressemblent à aucun autre, celui-ci en particulier. Il a plu une bonne partie de la nuit, sans conséquence particulière ou néfaste quant à l’équilibre de Free Spirit bien calé sur notre route. Le vent de sud-est est stable, borné entre 20 et 25 nœuds maximum. Le temps est gris ne laissant transparaître aucune éclaircie pour le bleu du ciel et encore moins pour le soleil. Mer agitée de sud-est. Pluie par intermittence.

            9h00 :  JOUR 10.  17°13 sud,  78°23 est ;  102 milles parcourus.  Reste 867 milles dans le 261° jusqu’à Port Mathurin.

Ambiance morose à bord comme toutes les journées sans soleil. Trinquette fait la moue, et moi la grise mine. Je me force tout de même à mettre le nez dehors, pas par gaieté de cœur certes, mais quand il faut y aller ! A la seconde où je me trouve dressé dans le cockpit, à scruter l’horizon nord (côté tribord, sous le vent, et là fut mon erreur !), je me prends une déferlante sur la tronche, qui sort d’on ne sait où, et qui me trempe des cheveux aux orteils ! Furibond, au bord de l’explosion, je hurle, m’insurge, jure à qui veut entendre ! De colère, refroidi et, mouillé pour mouillé ; je prends une vraie douche (au sens propre lol, avec du shampoing, du savon et de l’eau douce), cheveux au  vent, tétons pointant… ça caille vraiment pour ne rien vous cacher. Puis je me sèche, me rentre, et décide de me plonger assidûment dans mon roman policier, bien au chaud sous la couette, avec Trinquette en guise de bouillote.
En résumé : pas de quart à la barre aujourd’hui ! Le capitaine est trop désappointé et fatigué pour cela donc ; repos !
A 22 heures ; nous nous faisons dépasser par une lumière sur notre bâbord. A en juger par la progression de cette dernière, environ 6-7 nœuds de vitesse, sur le même cap que nous, je pense pouvoir affirmer que nous sommes en présence d’un confrère de la plaisance en mode grande traversée de l’océan Indien ! Il n’est d’ailleurs pas impossible que ce bateau soit Bonaire, la famille anglaise rencontrée aux Cocos. Leur date de départ (environ 2 jours après Free Spirit) ainsi que la vitesse moyenne du Garcia 50 pieds, pourraient parfaitement correspondre. Bon vent mes Amis, à très bientôt à Rodrigues !

-         Mardi 3 :
8h00 :  la couverture nuageuse est totale, rien à faire ; l’Astre solaire ne perce pas. Le vent se maintient à l’est sud-est 20 nœuds. Etat de la mer similaire à la journée d’hier.

            9h00 :  JOUR 11.  17°51 sud,  76°39 est ;  107 milles parcourus (sans aucune manœuvre, sans avoir touché la barre !).  Reste 760 milles dans le 262° jusqu’à Port Mathurin.

Je dois reprendre la barre afin de stabiliser notre progression trop importante vers le sud. Deux heures le matin, trois heures l’après-midi suffisent à maintenir notre cap fond.

-         Mercredi 4 :
8h00 :  ce que je redoutais le plus arriva ; une bascule de l’Alizé à l’est, soufflant à environ 15 nœuds. Conditions idéales allez-vous penser ! Oui, si Loulou avez été à la barre. Ce changement de direction du vent nous a franchement dévié de notre route pour nous plomber bien au sud de celle-ci, à 30 milles exactement. C’est beaucoup et je ne sais pas trop quoi faire car comme je l’ai déjà stipulé les jours précédents, il n’est, à priori, pas possible de naviguer et maintenir le cap au plein vent arrière sans être obligé de barrer. L’angle minimum entre le vent est notre cap compas doit être de 50°. Avec cette bascule : ce chiffre est descendu à moins de 10° !
De plus, la mer est agitée et surtout croisée de nouveau la longue houle de sud qui nous fait son grand retour, 2 à 2,5 mètres.
Le soleil tend à réapparaître aussi timidement qu’une langouste à l’approche d’un plongeur !

            9h00 :  JOUR 12.  18°30 sud,  74°56 est ;  107 milles parcourus.  Reste 658 milles dans le 263° jusqu’à Port Mathurin.

10h00 :  j’ai réfléchi… et je me suis dit : « qui ne tente rien n’a rien ». Et contre toute attente, je suis le premier surpris (d’ailleurs je suis le seul surpris !), j’arrive à équilibrer Free Spirit au plein vent arrière, en procédant de la même manière que lors de la remontée de la Nouvelle-Calédonie vers le détroit de Torrès. A tribord : la trinquette est tangonnée et hissée sur un étai volant le long de l’enrouleur de génois, et sur bâbord le génois, tangonné lui aussi et déroulé de façon à arboré exactement la même surface de voile que la trinquette. Le tout ressemble au principe du booster d’autre fois, ou l’effet papillon d’aujourd’hui ! Par voie de conséquence : je n’ose plus touché à rien de peur de rompre cet équilibre précaire mais qui fonctionne, surtout que nous sommes d’ores et déjà sur la bonne route.    
En tout cas : je suis une fois de plus épaté par les disponibilités de Free Spirit à naviguer sans pilote automatique sur une palette d’allures différentes. Comme quoi : rien n’est impossible. Sauf peut-être de toucher Rodrigues en moins de 18 jours !!!
14h00 :  de bonne surprise en bonne prise : un mahi-mahi de belle taille s’invite à bord afin d’égayer notre dîner et de contribuer massivement à l’apport de protéines qui nous fait peut-être défaut depuis que nous avons quitté les Cocos.
Ce sera décidément une belle journée ! 

-         Jeudi 5 :
8h00 :  hier ; une belle journée tu as eu ! Aujourd’hui ; par le temps tu seras déçu ! Les lois concernant l’équilibre de la balance sont impénétrables…
A la vitesse de 15 nœuds environ, le vent souffle dorénavant de l’est nord-est (c’est très rare d’après les stats, mais ça arrive !). Il a basculé de 40° en 48 heures. Et comme vous pouvez l’imaginer ; cette mascarade ne nous arrange pas du tout.
A 5 heures du matin, alerté par un bruit incongru de voile qui faseille, j’ai dû me faire violence pour émerger d’un sommeil profond, sortir dans le froid glacial et l’humidité cinglante, manœuvrer au poste avant à faire le guignol et opérer un empannage complet. Affaler la trinquette sur l’étai volant, enrouler le génois, détangonner les 2 voiles, puis hisser la trinquette sur bâbord, et tangonner le génois sur tribord. C’est donc sur cet amure que Free Spirit navigue maintenant. L’opération m’a pris 45 minutes, à la lumière de ma frontale dont le faisceau était jonché de mille paillettes brillantes et scintillantes, exactement comme celles que l’on peut observer à la montagne où l’air ambiant chargé d’humidité gèle en période de grand froid. Dans notre cas présent ; je pense plutôt à l’air gorgé d’humidité et de salinité. Le mélange des 2 donne le même résultat féérique !
La mer est agitée et croisée dans tous les sens ; nord-est, est, sud-est, houle de sud toujours très sensible. Il pleut, le ciel est gris, la mer est grise, toutes les matières sont grises, mon moral ne dénote pas dans cet ambiance maussade.

            9h00 :  JOUR 13.  18°47 sud,  73°09 est ;  105 milles parcourus.  Reste 555 milles dans le 264° jusqu’à Port Mathurin.

La pluie s’arrête en fin de matinée, des éclaircies apparaissent timidement. Le vent fraîchit légèrement pour refaiblir en milieu d’après-midi en liaison direct avec le ciel qui se recouvre copieusement.

-         Vendredi 6 :
8h00 :  toujours beaucoup de nuages en ce début de troisième semaine de navigation. Deux semaines déjà que nous avons quitté nos chers Cocos Islands, et l’assurance d’avoir bel et bien couvert les trois quarts de la route. J’ai pourtant l’impression que cela fait une éternité. Le temps me paraît long à présent, de plus en plus long au fur et à mesure que notre vitesse décline. Les éléments sont contre nous et je sens que ces derniers 500 milles vont être interminables.
Voici pour l’état d’âme, côté météo ; le vent souffle comme hier, au nord-est 15 nœuds. La mer est formée est très désordonnée. Notre vitesse ne casse pas des briques car nous perdons de la puissance au dépend de la dérive. De plus, le courant océanique jusqu’ici favorable commence à s’épuiser et à nous faire cruellement défaut.
Courbe du baromètre inchangée, thermomètre en hausse de 3 degrés, le vent du nord transporte les chaleurs équatoriales, celui du sud les fraîcheurs méridionales.

            9h00 :  JOUR 14.  19°17 sud,  71°45 est ;  86 milles parcourus.  Reste 474 milles dans le 265° jusqu’à Port Mathurin.

9h30 :  changement de programme ! Etant trop à côté de la plaque concernant notre trajectoire actuelle, beaucoup trop sud, il me faut changer de stratégie et surtout agir vite. Afin de remédier à cette dérive trop importante, je décide d’enrouler le génois et de hisser la grand-voile à 2 ris. La trinquette reste en place comme voile d’avant. Tribord amure allure de vent de travers ; j’essaie tout d’abord en gardant la dérive relevée, car si je l’abaisse : notre nouvelle route ne manquera pas de nous faire remonter au nord. Je vous rappelle que toutes ces décisions sont prises par rapport au fait que nous n’ayons plus de pilote automatique.
Ca fonctionne ! On l’a garde !
12h00 :  le vent vire au nord ? Je règle les voiles afin de naviguer au vent de travers bon plein.
14h30 :  le vent continue tranquillement sa rotation pour passer au nord nord-ouest. La pluie s’invite au bal des malchanceux. D’après les statistiques ; il y a moins de 5 % de chance de rencontrer des vents contraires sur cette traversée à cette époque de l’année où les Alizés sont supposés régner en maître absolu sur la zone.
Je peux vous affirmer que nous ne sommes pas encore arrivés… car pour l’instant ; nous sommes à l’allure de près certes (j’ai dû d’ailleurs baisser la dérive bien entendu), et encore sur le bon cap. Mais pour combien de temps ? Et à quelle vitesse ? Je ne suis pas encore blasé, mais à cette allure là ; ça ne va sûrement pas tarder…
15h30 :  et voilà ; au près serré dans à peine 10 nœuds de vent… dégoûté !
15h55 :  vent d’ouest faible, parfaitement au degré près de là où nous devons nous rendre. Etrave pointée vers le grand sud. Nous errons depuis 2 heures à 450 milles de notre objectif que nous ne sommes décidément pas prêt d’atteindre. On devrait bientôt reculer si tout va bien.
16h15 :  à l’allure de près, tribord ou bâbord amure, peu importe ! De toute façon, on est planté ! Mais enfin : il me semble d’un moindre mal que de virer de bord. Nouveau cap au 330°, bâbord amure. Comptant la dérive ; considérons-nous au cap plein nord quoi !
17h00 :  vent proche de la pétole… et ce qui devait arriver arriva, toujours la même histoire ! Les bras baissés, la gorge serré, totalement désappointé, je dois me résoudre à l’inévitable affalage des voiles pour lesquelles le supplice s’arrête enfin. Que faire d’autre que d’attendre le retour des Alizés Bonheur, si ce n’est de se plier aux aléas d’Eole et ses milles caprices.
J’ai franchement du mal à y croire une guigne pareille. Que le vent tombe, c’est une chose, mais qu’il vire à l’ouest, à l’encontre du flux censé être constant et régulier des Alizés, surtout à cette époque de l’année…
Concernant le courant océanique ; mes craintes étaient bien fondées. Non seulement il ne nous est plus favorable, mais en plus il nous fait rebrousser chemin et tenez-vous bien : à la vitesse de 1,5 nœud !!! La Cerise… tellement énorme qu’on ne voit plus le gâteau !
Nous allons donc dériver pendant 12 heures au gré des courants qui nous dépalerons à 17 milles dans l’est nord-est du point GPS où, vaincu par la malchance et la fatalité ; j’ai fini par affaler les voiles. Merci-de-rien…
5h00 :  plafonné par un merveilleux ciel étoilé comme nous n’en avions plus observé de semblables depuis des lustres, Free Spirit prend du vent de sud-ouest dans ses voiles blanches délavées par le soleil des tropiques, l’air salin conjugués aux marques indélébiles laissées par l’usage intensif au rythme des milles parcourus et au temps qui passe. Grand-voile à 2 ris et génois enroulé de 4 tours nous donne un équilibre idéal entre la poussée vélique, le plan de dérive ainsi que le gouvernail. Nous filons à bonne allure, tiré à l’allure de près bon plein bâbord amure par un vent léger mais sûr de lui de 10-12 nœuds, cap au 280-290°.

-         Samedi 7 :
8h00 :  temps mi-figue, mi-raisin. Tout de même, je me lève avec un bon rayon de soleil qui se fraye un chemin à travers la descente, illuminant et inondant de sa douce chaleur l’intérieur de Free Spirit jusqu’à la cabine avant. Un bonheur simple et délicat avant le petit déjeuner.
Vent de sud-ouest 12-15 nœuds, mer agitée, houle de sud perpétuelle, longue et régulière.

            9h00 :  JOUR 15.  19°16 sud,  70°59 est ;  45 milles entre les 2 points GPS quotidiens, mais 70 milles parcourus.  Reste 430 milles dans le 266° jusqu’à Port Mathurin.

10h00 :  la journée s’annonce sous les meilleurs auspices, beau temps-belle mer, petite brise idéale, température adéquate, Free Spirit se charge de tout sauf de préparer le café ! Je lui pardonne car il nourrit même Trinquette...
16h00 :  le vent s’oriente plein sud environ 15 nœuds, Free Spirit glisse au vent de travers.
Coucher du soleil à 19h43, pas génial, suivi 90 minutes plus tard environ par le premier quartier d’un nouveau cycle lunaire histoire de nous rappeler que cela fait bien une demi lune que nous sommes en mer. La brillance semblable à un anneau de feu soulignant le contour circulaire du Roi des astres nocturnes confirme l’impression de beau temps.
Le crépuscule s’avance, la nuit tombe, et le vent ne cesse de forcir gentiment tout en poursuivant sa rotation vers le sud-est, orientation classique des Alizés. Le 360 degrés sera bientôt posé. Il aura fallu 4 jours pour que la panoplie complète de la Rose des vents soit accomplie.
Vous allez croire que je suis enclin à une légère forme de paranoïa, mais je crois que quelqu’un ou quelque chose me surveille, et accessoirement me fait subir des blagues d’un goût douteux. A 2 heures du matin ; je sors afin de réduire encore un peu le génois et assuré ma veille. Et là, vlan !!! Comme si on m’avait sciemment jeté un saut d’eau « de mer bien entendu » à la figure, comme ça, direct live, dès le saut du lit sans aucune autre forme de procès ! J’vous dis pas ma colère. Mais pour vous donner une idée, le cockpit est resté sec toute la journée, et je n’ai pas entendu une seule vague déferlante venir frapper au franc bord bâbord de Free Spirit jusqu’à ce que je retombe, profondément choqué et abasourdi, dans les bras de Morphée. Ce n’est pas la première fois que cela arrive alors je suis en droit de me poser quelques interrogations ? Si j’ai fait ou dit quelque chose qui aurait pu déplaire à Poséidon : je m’en excuse sincèrement. Et plutôt deux fois qu’une !!!

-         Dimanche 8 :
7h30 :  nous sommes cueillis dès le réveil par un bon petit vent de sud sud-est 20-22 nœuds. Le ciel est bleu entaché de quelques nuages d’Alizés qui font plaisir à voir. La mer s’organise peu à peu pour venir se ranger plus ou moins dans l’axe de la brise. Houle de sud toujours significative.

            9h00 :  JOUR 16.  19°27 sud,  69°01 est ;  113 milles parcourus.  Reste 320 milles dans le 266° jusqu’à Port Mathurin. Plus de doute possible, nous touchons bien du courant de face. Une journée comme celle-ci aurait dû compter 120 voir 125 milles. Dommage…

9h30 :  allure de petit largue, je vais exceptionnellement prendre la barre aujourd’hui car je suis sûr qu’il y a moyen de se faire plaisir. Pour la petite histoire ; je n’ai pas barré depuis près d’une semaine !
12h00 :  sacrebleu !!! Ca a forcit d’un coup d’un seul, la mer, le vent…  3 douches le temps de prendre le 3ème ris dans la grand-voile, d’enrouler le génois et de hisser la trinquette. On rempile pour la baston ou bien ?
La mer se forme, les déferlantes sévissent ça et là venant balayer le pont à maintes reprises, le vent s’établit d’ores et déjà à 25-30 nœuds, certains creux atteignent 3 mètres. La rotation au sud-est sera complète à partir de 4 heures de l’après-midi. Les températures baissent, le baromètre est au plus haut. Rien n’a vraiment changé au pays des Alizés !
19h30 :  dilemme ! Posons le problème suivant : nous avons bien marché toute la journée, seulement voilà : le vent est repassé légèrement dans de l’est sud-est, et donc si je garde cette voilure, nous filerons au 220-230° à vive allure. Beaucoup trop sud en somme. En affalant la grand-voile et en tangonnant un peu de génois sur bâbord, la trinquette toujours sur tribord, on se rapproche nettement plus de notre route virtuelle, mais à vitesse moindre. Alors que faire ? De toute façon, dans les 2 cas, une arrivée de nuit semble, une fois n’est pas coutume, inévitable. A moins de lever le pied volontairement. Je décide finalement d’opter pour la deuxième solution.

-         Lundi 9 :
7h30 :  temps gris, dégagé à l’est. Dommage, nous allons à l’ouest. Ca commence bien la journée. Vent très irrégulier d’est, oh non ! Ca nous arrange mais alors vraiment pas du tout. 15 nœuds, rafales à 25 sous les nuages (le vent irrégulier délimite la navigation barre amarrée. Survente ; Free Spirit part au lof et remonte au vent. Dévente ; il part à l’abattée. Dans les 2 cas son cap est dévié, nécessitant un réajustement. On en revient toujours à l’intérêt inégalé de laisser gérer ce genre de tracas par un solide et fidèle pilote automatique). Mer très agitée avec cependant une absence de déferlante, soulignons le, sûrement dû à la baisse global de l’Alizé. Sa gracieuse majesté la reine des longues houles de sud-ouest est en grande forme ce matin. Notre vitesse est très aléatoire mais plutôt faible, pas cool, et notre cap est au 220°, encore moins cool. Résultat ; nous sommes descendu sans le vouloir bien au-delà de la latitude sur laquelle se situe l’île Rodrigues. C’est moche, mais à part ça tout va bien ! Positive attitude…

            9h00 :  JOUR 17.  20°15 sud,  67°23 est ;  107 milles parcourus.  Reste 230 milles dans le 280° jusqu’à Port Mathurin. Plombé de 35 milles au sud de notre route, quel gâchis… Au moins ; on n’a plus besoin de se demander si on doit ralentir pour ne pas risquer une arrivée de nuit. Oui, cette question là ne se pose plus.

Objectif de la journée : arriver à naviguer plein vent arrière, et faire en sorte d’essayer d’arriver à bon port (Mathurin) en moins de 19 jours !
11h30 :  au début de mon quart à la barre, à 9 heures, mon cap était au 260°. A la fin, je capais au 310°, en restant toujours à l’allure de plein vent arrière. Le vent a basculé de 50 degrés en 2 heures et demi. La bonne nouvelle ; c’est qu’il a totalement chassé les nuages… tous les nuages ! Vent de sud-est régulier, 20 nœuds. Je décide de relever la dérive et de la jouer comme au début de la traversée il y a 2 mois de ça… 
Blague à part ; en comptant sur notre dérive, nous nous rapprochons de notre route. Avec quelles heures de barre afin de rectifier le tir, et tout devrait rentrer dans l’ordre. Enfin nous ne devrions pas tarder à toucher Terre quoi !
Sans transition, des news de l’avitaillement ! Plus de légumes depuis belle lurette, il me reste le tiers d’un oignon, le choux s’est fini hier. De même que la dernière noix de coco (au fait, c’était une blague le coup des 6 pots de Nutella, j’en avais 2 et ils sont bien entendu épuisés). Il reste une pomme et 4 œufs. Tout le reste ne manque pas heureusement ; biscottes, confiture, thé, paquets de gâteaux, boîtes de conserves de toutes sortes, sachets de soupe aux nouilles chinoises, purée, croquettes-pour-la-Belle-Trinquette etc…
19h30 :  impossible d’équilibrer Free Spirit au vent arrière. J’ai pourtant tout essayé, même avec les trainards, y’a rien eu à faire. En cause, la longue houle qui nous bouscule sans cesse par le travers bâbord d’une part, et le vent trop fort d’autre part, du moins plus fort que la dernière fois où j’avais tenté et réussi l’expérience. Il n’y avait pas la houle, et la mer était plus calme.
Donc, nous allons malheureusement devoir passer la nuit en fuite, avec 2 m2 de génois afin de garder Free Spirit au largue. Encore un beau gâchis, je suis vraiment dégoûté.

-         Mardi 10 :
7h30 :  ce roulis perpétuel et incessant me sort par tous les sens ! C’est que arrivé en fin de grande traversée océanique ; je suis sûr de mes frêles gambettes à peu près autant qu’un poulain nouveau-né qui sort tout juste du ventre de sa jument de mère.
Alizés de sud-est 20 nœuds. Mer très agitée croisée avec la longue houle de sud-ouest d’environ 3 mètres. Ciel dégagé mais quoique ! Température en baisse.

            9h00 :  JOUR 18.  20°24 sud,  65°43 est ;  95 milles parcourus (dont 42 milles en fuite durant 12 heures).  Reste 140 milles dans le 285° jusqu’à Port Mathurin.
10h00 :  un grain d’un formidable gabarit vient tout chambouler dans la vie pépère menée par l’Alizé. 30 nœuds durant une demie heure avec de la pluie. S’en suit presque 2 heures de pétole, les voiles qui battent au rythme du roulis toujours trop violent de notre fier navire. Enfin, vers midi, le vent de sud-est s’installe à 10-15 nœuds. Conditions beaucoup plus favorable pour équilibrer Free Spirit au vent arrière grâce aux 2 voiles d’avant en mode papillon, un tangon chacun dans le but de ne pas faire de jaloux, et c’est reparti comme sur des rails.
15h00 :  nous avons croisé 3 navires de commerce en 5 heures de temps, tous sur la même route le Cap - Indonésie.
Et puis cette rencontre aussi extraordinaire qu’inattendue avec un cétacé, peut-être un baleineau, car de taille modeste d’environ 6 mètres, avec un camouflage qui ressemble à celui de Trinquette ; dos et flancs noirs surélevés par un petit aileron dorsal pas plus gros que celui d’un requin de bonne taille, avec un ventre tout blanc ! Je l’aperçois parfaitement par transparence au cœur des flots bleus et limpides. L’exhibitionniste nous a montré son ventre couleur de neige fraîchement tombée de la veille à 2 reprises, tranquillement, à 10 mètres à peine de Free Spirit. Nos regards se sont croisés un instant, le temps que ses yeux s’humanisent et me disent : « Salut Man, ça flotte ? ». Et moi de répondre : « Ben voui, ça glisse et toi ? »… Joueur, amical et attendrissant, il va nous tenir compagnie durant 20 bonnes minutes, occupé à sonder, puis remonter en surface afin de souffler et prendre de l’air, couper notre sillage ou longer l’étrave. Un grand moment de la traversée. Et puis il s’en est allé… « Salut à toi Prince des abymes ! ».

17h00 :  il reste moins de 100 milles à parcourir… enfin !

-         Mercredi 11 :
TERRE, TERRE…
Lever du soleil, l’île se dessine enfin comme pointée de l’étrave par mon fidèle compagnon d’infortune, impatient comme moi de prendre du repos bien mérité.
Ciel très nuageux, vent de sud-est irrégulier 15-20 nœuds. Mer agitée croisée avec la houle de sud-ouest s’affaiblissant. Quelques grains menacent ça et là dans un horizon proche.

9h00 :  JOUR 19.  19°41 sud,  63°35 est ;  139 milles parcourus.  Reste 11 milles dans le 280° jusqu’à Port Mathurin.
Nos 2 bords de largue obligés de cette nuit ont encore rallongé notre route d’une dizaine de mille, prix à payer pour garder un rapport cap/vitesse très honorable car nous avons couvert une distance plus que satisfaisante, peut-être aidé par une veine de courant favorable… mieux vaut tard que jamais !
14 heures au poste de barre ces dernières 36 heures, ça explique aussi une aussi bonne performance si l’on compare cela aux journées précédentes où je n’ai clairement pas barré autant.

Arrivée au quai principal de Port Mathurin à 11 heures, après avoir parcouru un peu plus de 11 milles en 2 heures !

Notre île tant désiré ressemble à un cookie flottant sur la crème des océans. Elle dévoile peu à peu au fur et à mesure de notre approche ses charmes qui me paraissent presque irréel après un si long séjour passé en mer. Valons, végétation, habitations, plantations, éoliennes, puis les plages bordant le littoral plus ou moins découpé, et enfin, caché derrière la pointe nord de l’île ; Port Mathurin, sa baie abritée de la houle et des vagues, ses bâtiments qui rappellent clairement les Antilles, son quai d’accueil des yachts de passage, et bien sûr ces Messieurs les Officiels !!! Phytosanitaire, immigration, douane, et coastguard, la totale. Très accueillant avec leur parfait français et une touche d’accent créole qui ne gâche rien.



Résumé de la 10ème grande traversée transocéanique.


Free Spirit a parcouru 2 080 milles en 19 jours et 2 heures,  à 4,54 nœuds de moyenne pour 109 milles par jour.
44 heures de barre pour K2000, 326 pour Free Spirit (incontestablement le grand héro du voyage), et 88 heures pour le capitaine.
12 heures sans vent, à la dérive, plus quelques heures à la cape.
20 minutes de moteur l’arrivée à Port Mathurin.
2 coups de vent à 35 nœuds.


1 euro = 41 roupis mauriciens.


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