Traversée de Walvis Bay (Namibie) vers Jamestown (île de Sainte-Hélène).

Vendredi 14 février 2014 : C’est parti pour la première partie de la longue traversée de l’Océan Atlantique, toujours en direction de l’ouest nord-ouest, et qui verra le passage de l’Equateur, ou latitude zéro, pour la seconde fois. Environ 5 000 milles à parcourir afin d’atteindre les premières îles antillaises. Ainsi s’achève cette charmante mais courte escale en Namibie, et par la même occasion sur le continent africain ! La matinée sera consacrée aux achats de souvenirs, refaire de l’eau et attendre le vent… Nous avons donc 1 230 milles à parcourir dans le 290° afin d’atteindre le mouillage de Jamestown, situé dans le nord nord-ouest de l’île de Sainte-Hélène. Cette traversée sera dédiée à la mémoire d’un bon copain, décédé il y a quelques jours en milieu montagneux au cours d’une ballade en raquette. Que les vents de l’éternité te soient favorables… 19h30 : vent de sud-ouest 8-12 nœuds, GV hissée jusqu’en tête de mât, ancre relevée et attachée, génois déroulé, nous mettons cap sur Pelican Point distante de 6 milles à travers la lagune, vent de travers petit largue, bâbord amure. Les couleurs du ciel alternent entre le bleu et le blanc des brumes passagères poussées par le vent marin. Le soleil se couche et la nuit tombe ; nous venons de déborder la pointe. A nous les grands espaces ; cap au 290°, allure de près bon plein. J’amarre la barre, Free Spirit assure la gouverne. La longue houle de sud-ouest est d’environ 2 mètres, la mer est peu agitée. Une horde d’otaries viennent nous rendre une ultime visite afin de nous souhaiter bon vent, sympa la faune locale ! Les dauphins amateurs de cirque ne sont pas en reste et exécute rien que pour la nous la grande parade réservée aux VIP ; mouvements synchronisés et loops répétés ! Bravo et merci à tous pour ce beau spectacle… 22h00 : le vent forcit et adonne de concert sous l’influence du ciel qui se dégage généreusement laissant un clair de lune magnifique éclairée la nuit devenue toute timide. On ne se bat pas contre la full moon ! La mer étant pour l’instant, encore relativement arrangeante ; je décide de prendre un ris dans la GV et de laisser tout le génois déroulé. Allure de bon plein travers ; Free Spirit en profite pour allonger la foulée, heureux que nous sommes de reprendre la mer dans d’aussi bonnes conditions. 5h00 : le brouillard prend ses quartiers maritimes tandis que le vent devient de plus en plus faible. Samedi 15 : 7h30 : taux d’humidité à 92%, 19 degrés à l’intérieur. Temps gris et brumeux. Vent très faible de sud-ouest. 9h00 : et ce qui devait arriver arriva ; la pétole nous scotch telle une colle époxy bi-composant ; la houle de sud-ouest en augmentation sur une mer devenue curieusement comme par hasard agitée ; situation intenable si le vent n’est pas au RDV afin de maintenir les voiles plaquées sous le vent. J’affale tout… standby… Dommage après un si bon départ ; plus de 60 milles cette première demi-journée. 14h00 : après avoir passé 5 heures à la dérive et parcouru 1,8 mille, mais dans la bonne direction (je n’ose y croire mais contre toute attente ; le courant du Benguela semble nous sourire. Pas violent certes mais quand même ; je respecte), nous repartons au près tiré par un vent d’ouest sud-ouest (tiens c’est bizarre ; les fichiers météorologiques annonçaient du sud sud-est !) de 10-15 nœuds. Dans une zone où règnent des vents de sud 300 jours par an, nous serons sans doute les seuls à quitter la Namibie au près ! Mais ça ne m’étonne plus toutes ces petites contrariétés, de toute façon imprévisibles. Oh ; encore un bel albatros ! Mmh ; ça annonce du vent à venir ça… Pas manqué ; à partir de 15h30 ; le vent va forcir crescendo, pour atteindre la force d’un petit coup de vent vers 17h00, avec des rafales proches de 35 nœuds. La mer se creuse, les crêtes des vagues s’agitent et se transforment parfois en déferlantes qui viendront balayer le pont et le cockpit à plusieurs reprises. Passage en mode 2 ris dans la GV plus la trinquette. S’en suivra rapidement la prise du 3ème ris. Autant faire maintenant ce qui de toute façon devra être fait tôt ou tard, n’est-il pas ? Pendant ce temps là ; le soleil à décider de s’inscrire aux grands abonnés absents ! 19h30 : JOUR 1. 22°38 de latitude sud, 13°00 de longitude est. 90 milles parcourus ces premières 24 heures. Compte-tenu des 5 heures passées en attente faute de vent ; nous nous en sortons pas trop mal. Il nous reste 1 140 milles à parcourir jusqu’à Jamestown sur l’île de Sainte-Hélène. Paraît-il que ce trajet est parmi les plus agréables de la circumnavigation ! En ce qui nous concerne, pour l’instant ; elle est comme les autres, jonchée d’embûches diverses et variées. Grandes périodes de calme, coup de vent, mer démontée, déferlantes à l’occasion, temps gris et humide… Ceux qui ont constaté et écrit ça ont dû sacrément en chier au sein des 2 autres océans pour en arriver à de telles conclusions. En attendant ; la vie à bord devient aussi ubuesque que rock’n roll. Il n’est pas question de dormir dans ma cabine, j’installe donc mon lit de camp au sol (ça f’sait longtemps !), plancher bâbord et m’apprête à passer une nuit blanche, m’endormant un quart d’heure par ci, une demi-heure par là. Nous coupons pour la troisième fois le Tropique du Capricorne, la première fois entre la Polynésie française et la Nouvelle-Zélande, et la deuxième fois entre l’île de La Réunion et l’Afrique du Sud. 23h00 : le vent a soudainement basculé au sud en faiblissant à 15-20 nœuds et en apportant du bon crachin à la mode bretonne. Tout est trempé ! Nous nous retrouvons à l’allure de grand largue. Je dois donc m’affairer à la manœuvre, dans le froid encore tenace et l’humidité extrême. Affaler la trinquette, renvoyer la GV à 2 ris, puis tangonner le génois sur bâbord. La houle nous heurte de travers et la mer agitée par le 3 quart arrière : le cocktail est détonant. On se fait racasser et balloter comme dans un shaker. A minuit : le vent chute presque complètement. Je suis contraint d’affaler la GV. Et à 2h30 : surprise… 12-15 nœuds repassés au sud-ouest. Retour au près. Au moins Free Spirit est calé sur son franc-bord et nous filons convenablement barre amarrée. Comme quoi le près n’a pas que des désavantages. Avec tout ce tohu-bohu ; je ne dors pas beaucoup moi, en plus du détecteur de radar qui m’alerte au moins une fois l’heure. Dimanche 16 : 7h00 : plus un souffle d’air ; c’est la cata ! La mer est très agitée en tous sens, la bruine ne cesse pas, et le ciel est gris et triste à faire pleurer un clown. J’affale tout et retourne me coucher pour une bonne heure encore. A 10h00 ; après 3 heures passées en mode standby ; Eole consent enfin à reprendre sa besogne, mais persiste toujours à ventiler du sud-ouest. Qu’à cela ne tienne ; on prend quand même, pas question de faire la fine bouche dans une zone qui au départ ne devait pas être si délicate que ça, et qui finalement se métamorphose en véritable microclimat façon pat-au-noir ! Nous reprenons donc notre route au près. Ces 3 heures d’attente ont été profitables à l’état de la mer qui ne fait que se bonifier, comme le bon vin… la patience est toujours récompensée. Le vent disparaît encore totalement entre 13 heures et 15 heures. 2 jours de navigation (et de galères), et le constat est éloquent ; le soleil n’a toujours pas réussi à se frayer un passage, même infime soit-il, à travers la moutonneuse et épaisse de nuages aux reflets grisâtres et blanc cassé. Le vent persiste à ce maintenir au sud-ouest mais finalement ; cet état de fait est un mal pour un bien car Free Spirit navigue parfaitement bien sa barre amarrée, Loulou se repose, et à fortiori aucune énergie électrique n’est dépensée. 19h00 : 15-18 nœuds, mer peu agitée, allure de travers bon plein. Tout ceci pourrait paraître un peu rébarbatif au premier abord, mais c’est exactement ce que je vis à mon bord. Et puis ; je dois quand même avouer que les conditions pourraient être bien pires… comme elles ont pu l’être au cours de certaines traversées. 19h30 : JOUR 2. 22°23 sud, 11°50 est ; 68 milles parcourus. Peu glorieux ! Reste 1 072 milles à parcourir jusqu’à Jamestown sur l’île de Sainte-Hélène. 20h00 : ça forcit ! L’anémomètre enregistre des pointes à 25 nœuds. Je remplace le génois par la trinquette et prend le 2ème ris dans la GV. Pendant ce temps là ; Trinquette (la Bête) sort de sa torpeur, comprenez une sieste d’environ une douzaine d’heures, afin de se poster à son poste de guet, en prévision d’une bonne chasse aux poissons-volants qui normalement devrait venir s’échouer sur le pont de Free Spirit. Je ne sais pas si la fraîche température de la mer (due au courant froid du Benguela) est en cause quant à la pénurie inquiétante, enfin surtout pour mon fauve, mais il est certain que je n’ai pas vu un seul spécimen depuis que nous avons quitté l’Océan Indien et ses eaux bien plus tempérées. Elle reprendra sa sieste le ventre… plein de croquettes, à son grand désespoir ! 22h00 : le vent adonne plein sud ; nous passons allure de petit largue. Loulou reprend la barre. Quant à moi ; j’aspire à pouvoir dormir comme un loir, contrairement à la nuit dernière, plutôt mouvementée. Mais à 23h00 : la trinquette se fait déventer par la GV, signe que le vent adonne encore. Il est donc la cause d’un passage de la voilure en mode ciseaux, génois tangonné sur bâbord. La mer se croise indubitablement, et nous nous faisons une fois de plus encore bien secouer. Mêmes schémas qu’hier aux mêmes heures à quelques encablures près ??? Etonnante synchronisation, ne trouvez-vous pas ? Espérons que la brise se pérennisera ; c’est tout ce que je demande. 1h00 : le crachin a fait chuter le vent à 8-10 nœuds, la mer est agitée, et la GV n’est plus gonflée que par les coups de roulis violents et intempestifs de Free Spirit qui se fait balloter d’un bord sur l’autre. Je finis donc par l’affaler. 4h30 : maltraités par les flots et boudé par la brise ; je me résigne une fois n’est pas coutume à mettre en panne. Aussi surprenant que cela puisse paraître ; il se produit les mêmes choses qu’hier ! Si si… Les jours et les nuits s’enchaînent et se ressemblent cruellement ; c’est à devenir fou ! Résumons un peu pour voir : 5 heures de pétole molle au cours des premières heures de la journée (grise et cafardeuse bien entendu), puis le sud-ouest rentre… Free Spirit fait route au près bon plein sous GV à un ris plus le génois. Le vent forcit en milieu/fin d’après-midi, la mer devient moins maniable ; GV à 2 ris plus la trinquette. En milieu de nuit : la bruine fait son apparition comme par enchantement, et le vent vire au sud-est tout en faiblissant inexorablement, aussi sûrement que 1 mille + 1 milles = 3 704 mètres. Et enfin, vers 4 heures du matin ; la calmasse totale ; l’apothéose d’un parcours du combattant bien rodé. C’est l’heure de faire dodo ! Puis l’histoire se répète à nouveau encore et encore ; le crachin s’arrête simultanément avec le retour de la brisounette ! Quant au baromètre : il joue au yoyo aux rythmes de nos trépidations journalières : il baisse en milieu de journée, puis remonte en fin de nuit. Le taux d’humidité plafonne à 94%, et les températures n’évoluent guère, entre 23 et 25 degrés, le jour comme la nuit. Je pense que le signal du changement viendra du côté du soleil lorsqu’il condescendra et illuminera à nouveau mon visage dépité. Lundi 17 : 8h30 : Vent de sud-ouest 6-10 nœuds, mer peu agitée, houle de sud-ouest en atténuation, temps gris… comme d’hab. ! Le jour : le soleil est constamment caché, et la nuit : la lune, aussi pleine soit-elle, s’obstine à ne briller que pour la stratosphère ! C’est navrant, voire inadmissible, comme situation ! Mais que fait la police ? Bref ; rien ne peu nous empêcher de repartir fièrement, plein d’espoir et bondé d’optimisme. A raison : nous passerons une journée exceptionnellement très agréable, avec du vent correctement établi ; autour de 10 nœuds le matin, et 15-18 nœuds l’après-midi. Je teste un plan de voilure encore jamais gréé jusqu’à aujourd’hui ; à savoir la GV à 1 ris, plus le génois, plus la trinquette, en mode gréement de cotre quoi. Toujours barre amarrée, allure de travers bon plein, le tout sur une mer de Demoiselle ; Free Spirit se comporte merveilleusement bien. Ouh tu sais que je t’aime toi !!! 19h30 : JOUR 3. 22°01 sud, 10°29 est ; 80 milles parcourus. Il nous reste 995 milles à parcourir jusqu’à Jamestown sur l’île de Sainte-Hélène. 20h00 : le vent vient de rebasculer au sud tout en forcissant à 18-25 nœuds. Allure de petit largue, j’affale la trinquette et reste sous génois et GV à 2 ris. Je confis la gouverne à notre ami Kit, pour une raison simple : il est mon gourmand en énergie car moins performant que Loulou, tout en sachant que le soleil est plutôt timide voire inexistant dans les parages ; c’est plus prudent. Pendant ce temps là ; la pêche a été fructueuse pour Trinquette qui se délecte enfin d’un énorme poisson volant façon blaff encore frémissant. Il est le premier depuis que nous avons retrouvé ce cher Océan Atlantique. Il sera suivi de très près par un petit calamar préparé à la sauce armoricaine. Elle ne se refuse rien… Bon appétit la mémère ! Au fait, lorsque j’écris que Trinquette part à la pêche ou à la chasse ; ne me prenez pas pour un mythomane et surtout n’allez pas croire qu’elle se trimballe armée d’une lampe frontale, d’une canne à pêche ou d’un fusil harpon !!! Je crois – j’espère – je pense que nous avons enfin fini par toucher les Alizés Bonheur. Qu’est ce que me fait dire cela ? Non pas la lune car le ciel est couvert à 100 % depuis notre départ. Non, je pense plutôt à l’état de la mer, sereine, apaisée, presque calme, disciplinée, aimante même… et réciproquement ! La nuit est noire sans aucune distinction entre ciel et mer. La ligne d’horizon se confond dans une sombre et lugubre obscurité. 23h00 : au bénéfice de l’adonnante ; nous passons en mode ciseaux. Pourvu que la brise persiste et signe… Mardi 18 : 8h00 : quatrième jour sans soleil ; l’horreur ! De plus, je commence à être réellement inquiet concernant la fabrication d’énergie solaire nécessaire aux batteries de service, lesquelles alimentent Loulou et Kit qui ont repris la barre depuis que le vent semble vouloir s’installer durablement au sud. Je vais devoir barrer en journée je le sais bien, mais est-ce que la charge sera suffisante pour assurer les besoins nocturnes. Nous avons de surcroît perdu 2 heures d’ensoleillement par rapport à l’Afrique du Sud. A cela 2 raisons : l’escale sud-africaine tombait en pleine période estivale, donc les jours sont plus longs, et nous nous rapprochons chaque jour un peu plus de l’Equateur ; zone où la durée du jour égale la durée de la nuit. Météo du jour : comme je le disais : notre ciel est toujours coiffé d’une absolue et perpétuelle couverture nuageuse plus ou moins épaisse. Le vent souffle direction sud à la force d’environ 10-15 nœuds. La mer est peu agitée sur une longue houle de sud-ouest de 2 mètres. 14h00 : le vent refuse, passant au sud sud-ouest. Pani pwoblem ; je range le tangon, envoi le génois et la trinquette sur le même bord que la GV, et je relève la dérive. Conséquence : nous sommes revenus à l’allure de vent de travers petit largue et je peux donc à nouveau amarrer la barre… et le tour est joué ! Oh : un Mola-Mola ! Je ne connais pas le nom scientifique de ce curieux poisson aux allures préhistoriques. Il est gros, relativement plat, sans queue (on dirait qu’elle a été sectionnée dès la naissance), et possède une nageoire dorsale qui lui fait paraître une coupe à l’iroquois ! C’est la première fois que j’en vois un. La mer a revêtu sa belle couleur bleue aux reflets argentés, synonyme du temps qui semble gauchement vouloir s’éclaircir. En tout cas : la réverbération est suffisante pour subvenir à une charge complète de mes batteries. C’est une bonne nouvelle. 19h30 : JOUR 4. 21°20 sud, 08°35 est ; 113 milles parcourus. Il nous reste 882 milles à parcourir jusqu’à Jamestown sur l’île de Sainte-Hélène. 22h00 : on se fait gentiment cueillir par un petit 25 nœuds. Je repasse la GV à 3 ris, j’enroule le génois et en tangonne 3 m2 sur bâbord afin d’équilibrer au mieux la barre de Free Spirit. Trinquette rentre bredouille ce soir. Mais c’est mal la connaître quant à sa détermination. Car mine de rien ; elle en passe du temps assise sur son séant, centrée et concentrée sur le passavant tribord, celui sous le vent !!! Vous imaginez, elle ne pas être plus proche, voire même en contact parfois, de l’élément liquide perpétuellement en mouvement. Elle est incroyable cette chatte. En tout cas, même pour les animaux ; la patience paie toujours puisque qu’au petit matin : je la découvre pleine comme un œuf d’autruche, 4 ailes d’exocets éparpillées dans le cockpit, ainsi que des écailles brillantes et odorantes par dizaine. La bataille a due être rude. Quel bonheur de naviguer dérive relevée ; pas un seul bruit au cœur du puits de dérive, aucun remous ni aucune bubulle ne vient troubler ma quiétude lors des mes repos nocturnes. Cela dit : à part les filets d’eau qui glissent sur la coque ; je n’ai plus d’autres indications concernant la vitesse du bateau. Le puits de dérive constamment en ébullition (lorsque la dérive est baissée) est un excellent repère audible en cas de ralentissement ou d’accélération du bateau. Mais surtout le plus important : les embardées (ou départs au lof) et autres écarts de route sont plus rares et moins violents, les mouvements sont plus saints, et le pilote force moins. Une seule condition (en plus bien entendu d’évoluer aux allures portantes, à partir du vent de travers au moins) pour que l’affaire soit valable : avoir un minimum de 15 nœuds établis, ou bien une mer plate (la seconde option n’est à mon humble avis et de part mon expérience aucunement envisageable à moins de naviguer dans une marre aux canards et encore !), sinon lorsque le bateau se fait balloter et malmener par la mer : les voiles battent irrémédiablement et c’est le gréement qui trinque. C’est pas bon du tout. En fait ; plus le vent est fort, et mieux ça passe ! Ca peut même devenir un gage de sécurité en cas de très grosse mer si l’on a besoin de faire de la cape, le bateau bouchonne et glisse avec la déferlante sans avoir à subir l’effet croche-pieds. J’ai testé en arrivant en Afrique du Sud ! Une 5ème nuit sans étoile… je suis consterné et déçu ! Le moral en prend un coup… Mercredi 19 : 6h00 : Branle-bas-d’combat ! Débout la d’dans réveillez-vous… il va falloir en mettre un coup lala lala lala ! Je suis tiré du lit par le bruit bien caractéristique de la trinquette qui s’agite et dévente derrière la grand-voile. Le vent vient de virer au sud sud-est ; une bascule de 40 degrés environ. La mer devient croisée, et de cause à effet, particulièrement désagréable. La houle de sud-ouest impose encore un peu plus le respect ; elle nous prend par le travers et n’arrange rien à la situation, bien au contraire ! La journée s’annonce à mon grand désespoir comme les autres ; grises et tristes. Y’a rien à faire qu’à attendre et espérer une grâce solaire. En revanche : les températures ne cessent de grimper : la couette n’est plus indispensable, malgré la fatigue qui s’accumule, sauf pour se caler confortablement contre le puits de dérive. Du coup ; Trinquette ne vient plus quémander un peu de chaleur. Je ne la vois même plus la nuit : elle dort dans son coin, ou passe son temps à guetter sur le pont la prochaine victime de ses appétits féroces. Y’a pas d’heure pour les gourmandes affamées ! 13h00 : mais où sont donc passés mes lunettes de soleil, mon chapeau ainsi que ma crème solaire ??? Il faut bien dire que je n’en ai pas vraiment eu l’utilité jusqu’à maintenant. Et oui ; nous ne l’attendions plus, mais il est enfin revenu, par dépit ou bien par pitié, l’astre solaire tant désiré. Quel bonheur de pouvoir sentir sa douce chaleur venir caressée tout mon être renaissant. J’ai eu peur pendant un instant que le vent baisse, mais la chute n’a duré qu’une petite demi-heure ; juste le temps qu’il a fallu au magicien météorologue de repeindre le ciel en bleu. Le gris ; c’est démodé paraît-il, surtout en mer ! J’éprouve une sensation bizarre à l’idée que nous traversions en ce moment même l’Océan Atlantique au sein de son hémisphère sud alors que la pleine saison cyclonique bat son plein dans les Océans Pacifique et Indien sous les mêmes latitudes. N’ayez pas d’inquiétudes, ici : aucun risque ! Les météorologues spécialistes du climat global international (pas ceux qui prévoient « mal » le vent et le beau temps non, je parle des cadors, les pros) ne savent pas vraiment pourquoi le sud de l’Océan Atlantique n’est absolument pas assujettit aux dépressions tropicales et autres phénomènes cycloniques. Mais on parle tout de même du courant froid du Benguela. L’eau froide est l’ennemi juré de la dépression tropicale. L’anticyclone de Sainte-Hélène régit la météo d’une très grosse partie de cette zone où les Alizés de sud-est règnent en maîtres incontestés pratiquement toute l’année. Exactement comme hier à la même heure : le vent vire au sud sud-ouest (il refuse en début d’après-midi, et adonne en fin de nuit), m’obligeant à détangonner et à filer au vent de travers petit largue ; les 3 voiles sur le même bord… et ça marche bien, je ne l’avais jamais tenté jusqu’à maintenant mais ce plan de voilure inédit est plutôt satisfaisant. Comme quoi ; on en découvre tous les jours. Déjà le vol des albatros me manquent, les moqueries des otaries aussi, mais par-dessus tout ; les sessions de Kitesurf ; les vraies ! Celles en short et en tongues. OK j’ai ridé à Knysna, à Cape Town, à Saldanha, à Walvis Bay… D’accord ceux sont d’excellents et beaux spots qui changent de l’ordinaire et qui possèdent sans aucun doute chacun leurs propres atouts ; Knysna et Saldanha en milieu lagunaire, parfait pour le freestyle, Cape Town pour les vagues, et bien sûr Walvis Bay pour le freestyle mais surtout pour la vitesse, mais au sein desquels le port de la combinaison 4mm jambes et manches longues, sans oublier les moufles, est indispensable voire vital. Et ça : on peut dire que ça me dérange un peu. 19h30 : JOUR 5. 20°23 sud, 06°19 est ; 141 milles parcourus. Je vais passer au chantier ; je sais pas ce qu’il a Free Spirit aujourd’hui, mais je trouve qu’il se traîne un peu ! Humour ! Il nous reste 740 milles à parcourir jusqu’à Jamestown sur l’île de Sainte-Hélène. Seulement 3 heures d’ensoleillement, et tout est vite finalement redevenu gris. Encore marron pour l’observation des étoiles ! 21h00 : une heure plus tôt qu’hier ; c’est peut-être le décalage horaire ! Le vent forcit à 25-30 nœuds. Prise du 3ème ris dans la GV et j’enroule du génois… la routine quoi ! De toute façon, notre marche est très satisfaisante et il est par conséquent inutile de tirer exagérément sur la machine. 23h00 : une adonnante de 40° se produit subrepticement. Je tangonne le génois sur bâbord après avoir affalé la trinquette. Jeudi 20 : 8h00 : vent de secteur sud sud-est 25 nœuds établis. Temps pourri, mais pour notre plus grand bonheur, heureusement dépourvu de pluie. La mer de l’Alizé est très agitée, croisée avec la houle de sud-ouest levant des creux de 2 à 2,5 mètres. Quelques déferlantes peu méchantes se font d’ores et déjà entendre. Nous portons à peine 18 m2 de surface de voile en tout et pour tout, répartie sur la GV à 3 ris + un infime bout de génois. La vie à bord devient très délicate. J’adore regarder, comme hypnotisé, le sillage de Free Spirit, reflet de la trace éphémère d’un passage qui l’est tout autant, au cœur d’un océan aux humeurs changeantes ; tantôt calme et apaisant, tantôt rageur et malveillant. 19h30 : JOUR 6… et c’est la Bi-route , le point médian de cette traversée. 19°47 sud, 04°09 est ; 129 milles parcourus. Il nous reste 615 milles à parcourir jusqu’à Jamestown sur l’île de Sainte-Hélène. Free Spirit a effectué cette première moitié du trajet, soit exactement 615 milles, en 6 jours pile. Une deuxième moitié de parcours qui s’annonce sous les meilleurs auspices puisque juste avant que la nuit ne tombe ; je remonte à bord une belle bonite parfaitement dodue, et son lot d’apports de protéines bien fraîches à ne surtout pas négliger en période de disette. Mi-cuit à la poêle, saupoudrée de curry, poivre, herbes de Provence, accompagnée d’oignons ; un régal pour les papilles. 2h00 : je suis réveillé par un phare de soucoupe volante, lequel m’éblouit au travers de la descente entre-ouverte. Mais que se trame-t-il donc par ici ? Non, ce n’est pas un extraterrestre, c’est plus rare encore dans les parages ; un clair de lune !!! Si si… agrémentée de quelques étoiles posées ça et là avec parcimonie. Juste aussi incroyable qu’épatant ! Vendredi 21 : 8h00 : pas de doute ; le temps change ! Le ciel est bleu au-dessus de nos têtes, mais jonché de grains menaçants et imposants tous azimuts. On s’en prendra donc un tôt ou tard. Le vent souffle toujours plus que généreusement du sud sud-est 25 nœuds, même plus par moments. Pas de changement côté plan de voilure. La mer est très agitée et les déferlantes mugissent sans timidité aucune. Les creux, très rapprochés et puissants, culminent à 3,5 mètres. Macabre découverte au saut du lit ; je constate que ConchiTrinquette n’a pas fait le ménage ce matin. Quelques poissons volants ornent encore le pont et le cockpit. Il faut dire qu’avec le steak de bonite encore chaud et sanguinolent qu’elle s’est enfilée hier au soir, pas étonnant qu’il ne restait plus de place dans son estomac pourtant très vaillant et volontaire en ce qui concerne les exocets. Une chose est certaine ; je ne suis pas près de la voir aujourd’hui, du moins pas avant l’heure du crépuscule (j’allais écrire coucher de soleil, mais c’est pas possible et pour cause ; c’est un phénomène horaire climatique qui n’existe pas dans cette zone). Paradoxalement ; c’est avec le retour du soleil (enfin ne pas s’enflamme tout de même : il fera une modeste apparition d’environ trois quarts d’heure et basta) que la pluie fête son grand come-back ; déversée par des grains tropicaux typiques de ces latitudes. Je ne sais plus à quand remonte la dernière averse, je crois que c’était à Knysna en Afrique du Sud… oui c’est ça. Nous étions encore dans l’Océan Indien. 10h00 : comme il fallait s’en douter ; nous nous faisons assaillir par les grains. L’anémomètre affiche régulièrement des rafales à 35 nœuds. La mer creuse indubitablement et les déferlantes grondent et s’en donnent à cœur joie les vilaines ! En résumé ; on se fait démolir… mais toujours avec le sourire… enfin presque… Nous porterons 15 m2 de toile et je me farcis 8 heures au poste de barre à me faire démonter la tête, à subir les déferlantes successives qui me liquéfie et inonde le cockpit à chacun de leurs assauts. Modestement : en fin de journée ; je m’avoue vaincu par les éléments. 19h30 : JOUR 7. 19°01 sud, 01°58 est ; 132 milles parcourus. Il nous reste 483 milles à parcourir jusqu’à Jamestown sur l’île de Sainte-Hélène. Une semaine s’est écoulée et Free Spirit a parcouru 753 milles à 4,5 nœuds de moyenne en temps réel, et 4,9 nœuds en temps compensé (moins les 14 heures passées à la dérive à attendre le vent. Ben oui c’est nouveau ça vient de sortir !), soit une moyenne quotidienne de 117 milles. Nous ferons mieux sur la moyenne finale de la traversée car j’espère boucler la deuxième moitié du parcours en gagnant un jour et demi. Ah oui ; j’ai dénombré 4 heures d’ensoleillement cette première semaine, dont 3 heures en une seule fois ! Incroyable non ??? Free Spirit poursuit sa joyeuse cavalcade infernale, poussé par les Alizés bastons, fendant inlassablement la mer et chevauchant fièrement chaque lames mise à sa portée. Le vent vire au sud-est tout en faiblissant à 20-25 nœuds. Oui je sais tout est relatif ! Nous nous retrouvons donc plein vent arrière, pile dans l’axe du vent, et par conséquent contraints à affaler la GV qui dévente le génois à chaque embardée sous le vent. La solution de rechange : le passage en mode booster ; je tangonne la trinquette sur tribord, face au génois, lequel est toujours tangonné sur bâbord. La mer est encore très agitée et croisée, c’est pourquoi le roulis est parfois violent, et Kit en dépit du bon sens trop sollicité. Je dois réduire encore la surface du génois et tant pis pour la moyenne. Au moins ; nous restons sur le bon cap, au 305°. Minuit : levée de rideau nuageux sur un beau ciel étoilé. Déjà une semaine que nous avons appareillé ; la lune à moitié plein peut en témoigner. La Croix du Sud trône toujours à son poste, comme figée à tout jamais au sein de la Voie Lactée. Finalement, ensemble ; Free Spirit, précisément gouverné par Kit, se démènent comme deux beaux anges face aux éléments, et je crois que nous marchons bien, aux dépends du confort de vie à bord. On peut dire que ça racasse sévère ! Samedi 22 : 8h00 : vent de secteur sud-est 20-25 nœuds. Mer très agitée et croisée avec la houle de sud sud-ouest persistante. Creux de 3 mètres. Le ciel est encore très couvert mais laisse tout de même apparaître quelques timides éclaircies ici et là. A l’aplomb d’une énorme masse nuageuse qui force au respect ; Free Spirit se fait catapulter par 30 nœuds de vent pendant une bonne heure. Puis il mollira à 15 nœuds, une heure également. Et finira par se rétablir à 20-25 nœuds aux alentours de midi, heure à laquelle il semblerait que le beau temps se décide enfin à émerger du néant afin de s’installer durablement. 17h58 : par 18°16.973 de latitude sud, et 00°00.000 de longitude est puis 00°00.000 de longitude ouest ; nous croisons le méridien de Greenwich, et évoluons donc de nouveau au sein des longitudes ouest ! De l’autre côté de la Terre, tout en restant dans le même hémisphère (c’est la raison pour laquelle je n’évoque pas les antipodes), se trouvent la ligne internationale de changement de date, que nous avions croisé d’est en ouest lors de notre traversée entre la Polynésie française et la Nouvelle-Zélande en décembre 2011, et où nous étions donc passés des longitudes ouest aux longitudes est (le phénomène inverse en somme). Prochain évènement majeur ; le passage de l’Equateur (latitude 00°00.000), pour la seconde fois du voyage de Free Spirit… et pour la quatrième fois au cours de ma vie de marin ! 19h30 : JOUR 8. 18°12 de latitude sud, 00°09 de longitude ouest ; 132 milles parcourus. Il nous reste 352 milles à parcourir jusqu’à Jamestown sur l’île de Sainte-Hélène. Heure probable du coucher de soleil (approximativement à 2 minutes près) = 20h33. Enfin une après-midi à la sauce Alizés bonheur, qui se termine par la visite de nos amis les dauphins. Jamais je n’avais entendu leur sifflement sibyllin aussi fort et distinct. Trinquette en est encore toute perplexe ! Le dauphin : l’esprit de la mer, libre et indomptable, présent au sein même de tous les océans que nous offre notre belle Planète Bleue. Dimanche 23 : 7h00 : toutes les bonnes choses ont une fin… et ce qui devait arriver arriva… Le vent tombe complètement. La mer nous maltraite comme jamais car, si le vent peut chuter en moins de temps qu’il ne faut pour défaire un ris, l’état de la mer ne peut malheureusement en faire autant. Comme une belle mariée ; il lui faut un certain temps pour se détendre, voire même dans certaines zones du globe ; elle ne se calme jamais. On se fait donc sévèrement punir, balloter de près de 40° de gîte d’un bord sur l’autre à la façon d’une balle de tennis frappée successivement par Nadal et Federer ! Si tu choisis mal ton moment pour boire une gorgée d’eau ou de café : bonjour les dégâts… patatras ! Et tu t’en veux comme jamais en te disant : « si j’avais su, j’aurai pas v’nu ». Bref, dans ces conditions : impossible de renvoyer de la toile, et même au contraire ; j’affale la trinquette. Le temps est gris (ça m’étonne moyennement) et les grains nous menacent de l’est à l’ouest en passant par le sud. Aux oubliettes la belle moyenne de seconde moitié de parcours ! Dommage… l’après-midi d’hier était trop idéale et nous en payons le prix ce matin. Résultat du match : le grand Chelem ; le ciel dévoile son jeu, le vent atteint pas 7 nœuds = 2 heures de perdue ; toutes voiles affalées. Tout ça pour 3 pauvres gouttes d’eau ! De la balle quoi… Merci l’arbitre ! 10h00 : on repart comme si rien ne c’était passé. C’est ça ; t’as cas croire ! De 11 heures à 15 heures, les grains vont de nouveau s’enchaîner, sans toutefois apporter de sérieuses averses. En revanche : l’anémomètre va régulièrement flirter avec les 30 nœuds de vent demeurant pour l’occasion parfaitement aléatoire, tant en force qu’en direction, avec des molles à moins de 10 nœuds à 2 ou 3 reprises, et des écarts de direction de l’ordre de 30°. Vers 15h30 : le ciel semble vouloir jouer la carte de la clémence. Beau temps, 15 nœuds, génois et trinquette en mode booster, mer hachée (pour rester poli en toute circonstance). Après Greenwich hier au soir, nous croisons à midi pile un autre méridien que j’affectionne tout particulièrement, et qui me met dans un état nostalgique : 01°22 de longitude ouest, plus clairement le méridien sur lequel se positionne le port de Saint-Denis d’Oléron, d’où Free Spirit a appareillé pour la grande aventure le matin du 7 octobre 2010, distant, à voile d’oiseau, de 3 807 milles (plus de 7 000 kilomètres) de notre point actuel, de l’autre côté de l’Equateur. Déduction ??? Conclusion ??? A vous de voir… 19h30 : JOUR 9. 17°21 sud, 02°00 ouest ; 118 milles parcourus. Il nous reste 235 milles à parcourir jusqu’à Jamestown sur l’île de Sainte-Hélène. Et accessoirement : 1 000 milles viennent d’être semés dans notre sillage. A l’autre bout du champ liquide se trouve Walvis Bay. 1 000 milles = 9 jours moins 16 heures de dérive = 5 nœuds de vitesse moyenne en temps compensé, ça grimpe ! La nuit : j’effectue une ronde de veille toutes les 90 minutes en moyenne, afin de vérifier si tout se passe bien à bord. Là : un coup le ciel est entièrement couvert, un coup il est tout étoilé, et ainsi de suite… couvert… pas couvert… etc… Puis à partir de 4 heures du matin : les choses se gâtent ; faites vos jeux, rien ne va plus ! Les grains se succèdent à une cadence infernale. Je me lève, j’enroule le génois, le vent forcit à 30 nœuds. J’attends au lit une vingtaine de minutes que ça passe, puis je me relève afin de relancer du génois car le vent chute à 10-15 nœuds. Un engrenage qui va s’enchaîner comme des maillons (je commence à ressentir un peu de faiblesse !) jusqu’à 9 heures ; heure à laquelle j’ai terminé mon petit déjeuner, dans un état de stress et de fatigue sensiblement avancé. Lundi 24 : 9h00 : le temps a grains joue les prolongations. L’anémo oscille entre 25 et 30 nœuds, la mer est très agitée et encore indisciplinée, mais pas si inconfortable que ça… lorsque l’on va vite ! Elle est l’unique condition pour le confort de vie à bord ; la vitesse. Un voilier : c’est fait pour bouffer du mille, avoir du vent dans ses voiles, aller vite et bien. C’est ainsi que Free Spirit est le plus heureux, condition sine qua non pour que son capitaine le soit également. On peut traduire cela par une symbiose idéale entre l’homme et son fidèle destrier, façon Lucky-Luke et Jolly Jumper, ou plutôt le Capitaine Némo et son Nautilus. Lorsque le génois se gonfle à contre ; c’est à coup sûr mauvais signe. Ceci explique que les vagues nous poussent plus énergiquement que ne puisse le faire la brise, à fortiori en forte baisse. L’histoire va durer une bonne heure. A midi : nous rencontrons sans aucun doute les éléments climatiques que décrivent les circumnavigateurs dans leur récit comme étant la plus belle traversée du voyage. Et bien je dis : « mieux vaut tard que jamais ! Et puis combien de temps ce petit bonheur simple va-t-il durer ? ». Bref ; et on peut dire qu’ils ne tarissent pas d’éloges sur cet état de fait ; les Alizés doux et chaleureux souffle à 15-20 nœuds, le soleil brille avec brio, la mer s’est assagit afin de parfaire le tableau. Et Free Spirit marche bien. Comment ne pas être heureux en mer lorsque l’on bénéficie d’une clémence climatique de la sorte ? Ce n’est pas possible. Tout de même ; l’escale sera appréciable comme il se doit j’en suis certain. 19h30 : JOUR 10. 16°36 sud, 04°03 ouest ; 126 milles parcourus. Il nous reste 110 milles à parcourir jusqu’à Jamestown sur l’île de Sainte-Hélène. Mardi 25 : 8h00 : une nuit sans histoire et sans surprise somme toute ! Nous avons bien marché, gentiment et paisiblement poussé par des Alizés faibles à modérés. Ce matin : le vent de sud sud-est souffle à 15-18 nœuds et la mer est agitée. Le temps paraît très instable à l’horizon mais semble vouloir nous épargner à notre aplomb. 10h00 : Terre en vue !!! La forteresse volcanique de 820 mètres d’altitude en son point culminant se dévoile peu à peu pour émerger de son sinistre blockhaus nuageux. L’île de Sainte-Hélène est la partie émergée d’un volcan de 4 000 mètres d’altitude ; ça force au respect ! J’enrage et je fulmine dans ma barbe de 13 jours ! A 30 milles du but final à atteindre : le vent mollit à 10 nœuds, tandis que paradoxalement, la mer bouillonne encore. Je pense que nous évoluons dans une zone de rencontre de courants. Résultat : on se fait racasser comme un saule pleureur une après-midi de tempête. Et inévitablement ; nous ralentissons ; deux et demi, trois, trois nœuds et demi de vitesse, guère plus. Quelle déception si près de l’arrivée. J’avais calculé un atterrissage aux alentours de 16 heures. Nous arriverons au mouillage à 18h30. MAIS : nous accostons au corps-mort, accueilli en fanfare par Malou et Dominique de Catafjord, la plage arrière pleine de poisson frais ; une belle bonite bien grasse, ainsi qu’un tazar d’environ 15 kilos, tous deux montés à bord à 2 milles de Barn Long Point, marquant la pointe nord nord-est de l’île-forteresse. En fait ; ce n’était pas vraiment voulu ; je vous explique rapidement. La ligne se tend, je remonte la bonite. Une fois dans les volutes de l’inconscience : je décroche l’hameçon qui nage au gré des vagues, lesquelles submergent la plage arrière d’une façon très aléatoire. Le nettoyage de la bestiole commence tandis que Trinquette pète peu à peu les plombs en attendant son dû. Et pendant ce temps là : l’hameçon se fait la malle, emportée par une lame, la ligne se dévide jusqu’au bout sans que je m’en aperçoive. 10 minutes plus tard : le poisson et près à être partagé avec mes camarades de classe, et je me souviens que je dois lover la ligne. Entre temps ; nous avons un nouveau pensionnaire en traîne : le fameux tazar de 15 kilos ! Les copains vont être contents ! 20 minutes de moteur, et nous voici amarrer au corps-mort mise à disposition des plaisanciers de passage. Ancres de 200 kilos pour les jaunes, 300 kilos pour les rouges, et particularité de la zone d’implantation des mouillages : toutes les ancres sont reliées entres elles par de la chaîne de 22mm. Dana et là aussi, juste à côté de Catafjord, ainsi qu’Allégra, le solitaire allemand que j’ai rencontré aux Cocos Keeling Islands. Arriveront le lendemain et le surlendemain une famille de norvégiens que j’ai vu à Rodrigues, Wanda, un couple de fille sur un Bavaria (je me souviens de leur entrée « au surf » à la mode Rodéo dans le port de Saint-Pierre à La Réunion). Et aussi CocoKay et E-One. Mais la belle rencontre viendra du catamaran Ushuaïa avec à leur bord Isa, Charly, Marie et Mickey. La connexion s’effectue grâce à Malou et Dominique qui nous présente aussitôt mon arrivée, et le courant passe tout de suite, les 3 kilos de tazar frais servant de fil conducteur ! Je recule ma montre de 2 heures, dorénavant synchronisée sur l’heure universelle (heure GMT). Nous toucherons Terre 1 heure avant d’entamer le 11ème jour de traversée ; l’honneur est sauf. Position GPS de la baie de Jamestown : 15°55.3 de latitude sud, 05°43.2 de longitude ouest. Nous avons couverts 111 milles ces 23 dernières heures. Résumé de la traversée. Free Spirit a parcouru 1 240 milles en 10 jours et 23 heures, à 4,7 nœuds de moyenne en temps réel, et 5,2 nœuds de moyenne en temps compensé (moins les 16 heures passées à la dérive à attendre le vent). Soit une moyenne quotidienne compensée de 124 milles. 2 coups de vent à 35 noeuds. 20 minutes de moteur à l’arrivée afin d’éviter une arriver de nuit ! 16 heures à la dérive. 52 heures de barre pour Free Spirit, 20 heures pour Loulou, 128 pour Kit (car moins gourmand en énergie que Loulou), et 47 heures pour le capitaine. 4 heures d’ensoleillement au cours des 8 premiers jours ! Un grand maximum de 2 heures de pluie en tout et pour tout (ça c’est cool !). Et bientôt nous fêterons les 30 000 milles nautiques du voyage de Free Spirit… Enjoy ! La capitale est Jamestown ; elle regroupe 1 400 habitants sur les 5 000 que compte l’île. Ce qui choque lors des premiers pas à terre : devinez ??? Les portables n’existent pas sur ce petit bout de territoire appartenant à la Couronne ! Et pour cause : il n’y a pas de réseau de téléphonie mobile ! Incroyable ! Il n’y a pas de piste d’aviation non plus. Mais elle est actuellement en cours de construction. Les guichets automatiques n’existent ; et les autochtones ne connaissent pas les cartes de crédit (plactic monney ??? ). Une seule banque sur l’île vous fournira du cash. Ceux qui y travaillent connaissent parfaitement bien l’existence de celle-ci. La monnaie est le pound de Saint-Hélène équivalent à la livre sterling anglaise, soit 1 pound est égal à 1,2 euros environ. On trouve de tout dans les diverses échoppes éparpillées un peu partout de part et d’autre de la rue principale adjacente au front de mer. Le Anna’s Place est le resto/bar/wifi préféré des plaisanciers toutes nationalités confondues. Une sorte de Yacht-club décoré comme il se doit, roots, convivial et chaleureux à la fois. L’idéal afin de bien s’imprégner de l’ambiance locale : c’est de louer une voiture à la journée. Les endroits à ne pas rater sont bien évidemment la maison de Longwood où résida l’Empereur Napoléon Bonaporte durant 6 années, laquelle n’a absolument rien d’une prison, ainsi que sa tombe. La résidence du gouverneur de l’île (Plantation House construite en 1792) où il est possible d’observer « Jonathan ». Le plus vieil animal vivant sur notre planète est né en 1832 ; et c’est une tortue terrestre, laquelle vient donc de fêter ses 182 ans ! Sandy Beach et Sandy Bay sont sans aucun doute parmi les plus beaux endroits de l’île. Un paysage lunaire à vocation volcanique pris en étau entre l’océan et la montagne verdoyante où la végétation ne semble avoir aucun problème pour prospérer. Le contraste est saisissant, et très intéressant à la fois. Plusieurs ballades sont possibles tout autour ainsi qu’au cœur de Sainte-Hélène. Il est indispensable pour nous les plaisanciers d’effectuer l’aller et retour des escaliers de Jamestown, nommé Jacob’s Ladder. J’ai mis 12 minutes (le record est de 5 minutes. Cela pourrait être un défi intéressant pour un certain ami nommé Eric Clavery !) afin de gravir les 700 marches qui montent raides afin d’atteindre le porte-drapeau. Altitude = environ 180 mètres. Le panorama comprend une vue imprenable sur le mouillage, l’océan, le débarcadère, la plage de galets, et bien entendu toute la capitale qui s’étale de tout son long coincée dans la vallée. Temps de descente au taquet = 4 minutes et 23 secondes… en tongues je tiens à le préciser ! Anecdote concernant la visite des autorités le lendemain matin de mon arrivée ; un homme et deux femmes (les services d’immigration, de douane, et de santé) arrivent à mon bord en venant de l’avant tribord ; et moi : j’étais tout nu en train de prendre nonchalamment ma douche sur la plage arrière de Free Spirit, je ne les ai pas ni vu ni entendu arriver. J’étais rouge de honte surtout qu’ils n’ont absolument pas attendu que je finisse de me rincer, me sécher, encore moins me changer. Ils sont montés à bord alors que j’avais encore la serviette autour de la taille ! Nous avons tous bien rigolé. Ambiance détendu ; c’est le moindre que l’on puisse dire ! Anecdote concernant les formalités de départ ; même protagonistes. J’arrive au bureau du port où les services sont centralisés. Dès mon entrée dans la salle ; j’ai eu la très nette impression que les deux femmes venaient de furtivement jeter un œil sur mon bermuda afin de vérifier que j’étais cette fois, décemment habillé. Ok, ceci étant fait : je commence à remplir le formulaire de sortie du territoire. Une ligne concerne la date de remplissage du formulaire ; j’inscris le 28/02/2014, une autre ligne concerne la date effective de l’appareillage ; j’inscris le plus sérieusement du monde le 29/02/2014 ! Les deux femmes explosent de rire et ne manquent pas de conter à ses collègues ce que je viens de faire. Tout le bureau se fout royalement de ma bobine ! Et je fulmine intérieurement de ne pas être dans la confidence. Puis au bout d’une bonne minute ; la douanière me montre du doigt la fameuse ligne en question, et de me lancer ; les yeux encore rouges et humides : « March first here, because we have only 28 days in fevruary month ! ». Ah d’accord !!! Je pense qu’elles se souviendront du voilier Free Spirit, de Trinquette la chatte circumnavigatrice, et du Captain a little crazy !

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