Traversée de Thursday Island (Australie) à Bali Indonésie.

Mes très chers amis, voici le 2ème volet du journal de bord de la Nouvelle-Calédonie à Bali.  3 000 milles à travers la mer de corail (océan Pacifique sud-ouest), puis le golfe de Carpentra, la mer d'Arafura, la mer de Timor dans l'océan Indien.
Bonne lecture et bonnes vacances à ceux qui en prennent, bonne saison et bon courage pour ceux qui bossent. Et bon vent pour tout le monde !!!





-         Mardi 18 juin 2013 :
17h00 :  nous quittons Thursday Island sous le soleil, aussi incroyable que cela puisse paraître !  100% d’humidité, 1009 hectopascals.
Nous devons couvrir 355 milles à travers le golfe de Carpentra dans le 255° jusqu’à l’entrée sud de Hole in the Wall, ou Gugari Rip. Passage long de 1,3 mille taillé tout droit dans la roche et qui sépare Guluwuru Island (au nord-est) de Raragala Island (au sud-ouest). C’est par ce canal naturel mythique que nous nous engagerons dans la mer d’Arafura.
1 600 milles jusqu’à Bali (Indonésie).
La manœuvre de relevage du mouillage n’est pas simple. Le vent d’est sud-est souffle à 20-25 nœuds. Le clapot est encore important, et le courant pas tout à fait stoppé. Je voulais attendre l’heure de l’étale de marée basse, mais tant pis. Il faut partir afin d’être sûr de déborder les petites îles avant la tombée de la nuit.
Aide du moteur obligatoire, et même avec, l’opération n’est pas si facile, étant donné qu’il n’y a personne pour le commander et tenir la barre, puisque je suis moi-même au guindeau. Bref ; on y arrive quand même, on y arrive toujours !
Cap au 310° plein vent arrière, génois tangonné sur bâbord. Trinquette hissée sur tribord. C’est parti ! Le courant ne nous handicape plus ; l’heure de l’étale a sonné.
Côté prévisions météorologiques : les Walabis ne sont pas en reste. En ce qui concerne le vent ; ils ne sont pas trop mal, à 5 nœuds prêts. Par contre pour la couleur du ciel =  zéro pointé !
Beau temps pour le week-end. T’as cas croire ; samedi = très médiocre, dimanche = pourri de chez pourri.
Puis ils annonçaient pourri pour lundi et mardi. Et il a fait pas moche lundi, et beau mardi !
18h00 :  nous nous dégageons du canal zigzaguant entre diverses îles et autres roches affleurantes.  Cap au 255°, droit sur Hole in the Wall (littéralement qui veut dire « la brèche dans le mur »). La mer devient agitée. Allure de largue oblige ; je dois hisser la GV à 3 ris (je sais par expérience que cela suffira largement), enrouler un peu de génois et baisser la dérive. Nous naviguons dans le Golfe de Carpentra. Autrement dit ; l’océan Pacifique est et restera pour un bon moment du côté du soleil levant. Séquence émotion !
Quelques centaines de milles à parcourir et nous serons dans l’océan Indien.
20h00 :  25 nœuds de sud-est, rafales à 30. Allure de vent de travers petit largue. Je rentre entièrement le génois.
20h30 :  je m’y attendais un peu, mais quand même pas de sitôt. Les Coastguards australiens me cueillent à une vingtaine de milles à peine de Thursday Island. Il fait nuit ; rétroprojecteur braqué sur Free Spirit, appel VHF canal 16, dégagement sur le canal 22, s’en suit un long et fastidieux interrogatoire in english of course ! Port d’attache du bateau, d’où vous venez, où vous allez, clearance effectuée, nombre de personne à bord, nom du capitaine, numéro d’appel VHF et numéro MMSI.
La présence perpétuelle de nombreux bateaux m’obligent à veiller toute les 30 minutes environ. Mon détecteur de radar ne sert à rien car il détecte tout le temps !
2h00 :  la mer (comme sur toutes les mers du monde) devient mauvaise, croisée en tous sens, déferlantes rapprochées et fréquentes. Je dois fermer la descente après que l’une d’elle soit venue accentuer un peu plus le phénomène d’humidité omniprésente à l’intérieur de Free Spirit. Je n’avais pas besoin de ça !
Le ciel s’en trouve être totalement dénué d’étoiles ou de la lune. La nuit est noire, rendant celle-ci d’autant plus triste et mélancolique.

-         Mercredi 19 :
8h00 :  mais ils ne voient jamais le soleil dans les parages ??? C’est pas possible ça !
Vent de sud-est 25 nœuds, ciel gris, mer verte. Autant dire que ce ne sont pas mes couleurs préférées.
13h20 :  nouvelle interrogation orale des Customs, par avion cette fois-ci. Je ne désespère pas de les voir arriver en Kitesurf ou en pédalo la prochaine fois !
Le dernier pamplemousse du Pacifique ; plaisir ultime que je déguste avec délectation, ce dernier ayant été sauvé in extrémis des services phytosanitaires de Thursday Island. 

         17h00 :  JOUR 1.  10°58 de latitude sud,  139°56 de longitude est ;  140 milles parcourus ces premières 24 heures.  Reste 213 milles dans le 255° jusqu’à Hole in The Wall.

La houle du sud se forme doucement mais sûrement,  1,5 à 2 mètres. Eh oui, une traversée sans houle de travers : ça n’existe pas !
19h00 :  le vent faiblit, et vire au sud sud-est. Nouvelle allure de vent de travers petit largue. J’affale la trinquette et déroule le génois. GV à 2 ris.  10 contre 1 que ça ne va pas durer longtemps cette histoire là !
2h00 :  et voilà, rebelote !  L’anémomètre indique une constante à 25 nœuds. La mer gronde, grossit et devient même plutôt mauvaise. Les creux de plus en plus rapprochés de 2 à 3 mètres nous frappent violemment et inlassablement par le côté.
J’enroule du génois et reprends la GV au 3ème ris.   
Les embruns volent jusque dans le carré. Impossible par conséquent de laisser les panneaux de descente ouverts. Tout est fermé accentuant un peu plus la sensation d’humidité déjà extrême dans le bateau.
De plus, il faut savoir qu’une goutte d’eau de mer à l’intérieur d’un bateau jumelé avec un tel taux d’humidité qui frôle les 100% ne sèche jamais ! Donc, je dois veiller à toujours garder les boiseries et autres le plus sec possible et essuyer ou éponger aussitôt lorsqu’il y a besoin. Mon linge sale sert exclusivement à ça d’ailleurs !

-         Jeudi 20 :
7h00 :  ciel apocalyptique, la mer n’est pas en reste ! Vent de sud sud-est 25-30 nœuds. Grains en enfilade. Tout est gris, tout est triste. Déjà que l’on aperçois que furtivement les rayons du soleil à peine un jour sur 4 en hiver (supposée être la saison sèche), qu’est-ce que cela doit être durant la période des moussons (de octobre à mai ndlr), juste invivable !
Je peux admirer plus souvent les dauphins surfant et flirtant avec l’étrave de Free Spirit que le soleil.
12h00 :  le vent est tombé à 10-12 nœuds. On avance plus, handicapé de surcroît par un nœud de courant de face ! Alors là ; il faudra que quelqu’un m’explique ! Une veine de courant de marée perdue au milieu du Golfe de Carpentra, et comme par hasard sur notre route ! Pas de veine, enfin pas de pot quoi…
Génois tangonné sur bâbord, je hisse en plus la trinquette sur tribord et libère le 2ème ris de la grand-voile.
Et la cerise : il pleut…  sinon ; on ne peut pas dire que j’ai trop le moral moi en ce moment !

         17h00 :  JOUR 2.  11°19 sud,  138°02 est ;  115 milles parcourus.  Reste 98 milles dans le 255° jusqu’à Hole in The Wall.

20h00 :  25-30 nœuds établis. Ca dépote ! La pluie vient de s’arrêter. La lune, bien que voilée, laisse au moins apparaître sa position dans le ciel, ce qui n’était pas le cas du soleil en journée.
21h00 :  le ciel se dégage franchement. Le vent vire au sud pour souffler à 30 nœuds stables. La mer se creuse. Nouvelle allure de vent de travers. Loulou travaille beaucoup. Je me dois de réduire ; génois rentré ; le 3ème ris est pris. Soulagement…
J’ai plus manœuvré ces 48 dernières heures que pour les 9 jours de traversée entre l’atoll Huon et le détroit de Torrès !

-         Vendredi 21 :
Bonne fête de la musique à toutes et tous ! Bon été et bonne saison pour tous ceux qui bossent. Bonnes vacances pour ceux qui les ont sûrement bien mérité !
8h00 :  du soleil, enfin ! Une journée qui commence sous les meilleurs auspices !
35 nœuds de sud sud-est, rafales à 40 nœuds. Ben vous voyez ; c’est bien ce que je disais ! On rentre le génois et hisse la trinquette. Allure de travers. La mer est déchaînée. Les déferlantes sont violentes et ne nous épargnent rien. Au poste de bar ; c’est veste de quart, ciré et compagnie ! Hier ; j’ai même hésité à sortir la salopette et les bottes !
Il nous reste 20 milles à parcourir jusqu’à l’entrée du « Hole » ! Mais nous pouvons déjà apercevoir quelques îles de formes basses et très allongées.
Il est assez rare de pouvoir observer toutes les couleurs de l’arc-en-ciel noyées dans les embruns qui viennent se mêler à la vague d’étrave de Free Spirit. Féérique !
11h30 :  appareil photos et caméra en place ! Free Spirit pointe son étrave 1 heure avant l’étale de marée basse, prévue pour 12h30. Nous bénéficions ainsi d’un nœud de courant favorable et surtout le plus important ; pas de remous ni de tourbillons. Les courants de marée peuvent atteindre 12 nœuds ici. Jean-Luc de Magalyanne m’avait prévenu : « Si tu veux passer par ici ; il te faudra un très très bon moteur, ou arriver à l’étale. Sinon ; tu passeras pas ». En ce qui concerne mon moteur ; avec des tourbillons violents et des courants de 12 nœuds ! Je ne vois pas ce que nous aurions pu faire. Donc notre timing est finalement parfait !
J’ai un peu le trac, voir la peur au ventre car le vent est tout de même très fort. De plus, pour ajouter au stress déjà bien pesant, l’entrée ne se dévoile vraiment qu’au dernier moment ! Plutôt excitant finalement…
Environ 200 mètres avant l’entrée ; je vire de bord afin de passer sur l’autre amure. L’empannage dans 35 nœuds de vent : le gréement n’aime pas ça du tout. J’affale ensuite la trinquette. Et c’est parti ! Plus question de faire demi-tour. J’ai le cœur qui bat la chamade… « Allez mon Free Spirit, on peut le faire et on va le faire » !
Par 11°34 de latitude sud et 136°22 de longitude est, Free Spirit pénètre dans Hole in the Wall sous GV à 3 ris seul, sans l’aide du moteur, à la vitesse constante de 6 nœuds. Le décor est ahurissant ; la mer est devenue aussi plate que dans les écluses du Canal de Panama. Le passage est absolument tout droit, comme creusé et taillé par la main de l’homme. Une saillie divine au cœur d’un cadre presque irréel ! Long de 1,3 mille, et large d’environ une quarantaine de mètres, la profondeur varie de 6 à 25 mètres. Les berges sont constituées d’énormes dalles rocheuses superposées et culminantes peut-être à 20 ou 25 mètres d’altitude. Une plage de sable jaune marque la sortie du passage coté ouest. La végétation est à son strict minimum. Je jubile, je kiffe ! Un grand moment du voyage !

A 12 heures tapantes ; encore sous le coup de la charge émotionnelle que je viens de vivre, nous mouillons par 4 mètres de fond de sable, à 1 mille environ dans le sud-ouest de la sortie du canal mystique, à Raragala Island.
Mouillage magnifique et sauvage. La plage est superbe et se marie idéalement avec cette couleur d’eau si particulière. Et c’est très curieux mais j’ai comme la sensation étrange d’être déjà venu ici… Penser à demander à Papa !
Beau temps sec, rafales à 40 nœuds = 40 mètres de chaîne. Je ne tiens absolument pas à passer une mauvaise nuit !

Résumé de cette petite traversée express :
360 milles parcourus en 67 heures,  à la vitesse moyenne de 5,4 nœuds.
5 minutes de moteur au départ de Thursday Island.
50 heures de barre pour Loulou, et 17 heures pour moi.
Un coup de vent à 35-40 nœuds le jour de l’arrivée sur Raragala Island.


Vers 16 heures : les Customs survolent notre position et m’appelle sur le canal 16 en me demandant de glisser directement sur le canal 22 ! Ce que je fais dans les 30 secondes… et puis plus rien… plusieurs essais au cours des 2 prochaines heures ne donneront rien !
Je ne suis pas vraiment tranquille, car je sais pertinemment que je n’ai pas le droit de m’arrêter sachant que ma clearance de sortie a été signée et validée à Thursday Island. Nous sommes vendredi soir donc peut-être est-ce l’appel du week-end ?
Je me prépare un petit speach en anglais au cas où ils reviendraient afin de ne pas être pris au dépourvu ; panne électrique, arrêt obligatoire pour réparation, etc…
Je suis frustré de ne pas avoir pu m’expliquer à chaud, mais bon on verra.

-         Samedi 22 :
9h00 :  pas de repos pour les braves, ou très peu du moins !  21 heures d’escale en tout.
Une route plein ouest à travers la mer d’Arafura, puis la mer de Timor, longue de 1 300 milles, nous attend d’ores et déjà. Au débouché : l’océan Indien… vaut mieux que 2 tu l’auras !
Cette traversée est, si je puis m’exprimer ainsi, parsemée de quelques obstacles genre îles, rochers à fleur d’eau, hauts-fonds, plateformes pétrolières, navires en tout genre… Bref quelques embuches quoi. Donc il nous est impossible de se fixer un cap puis de le suivre en ligne droite. D’où l’intérêt du GPS et de la fonction : programmation de waypoints. Notre premier waypoint sera New Year Island ; 190 milles à parcourir dans le 280°.   
Alizés de sud-est 25-30 nœuds. Le soleil boude seul dans son coin, puni par les nombreuses couches de nuages difficiles à percer. Creux de 1 mètre pour l’instant. La mer est peu agitée car le vent vient de terre et nous faisons une route au 280° plus ou moins parallèle à la côte.
D’ailleurs ; il est plutôt inhabituel de parcourir une aussi longue distance à proximité des côtes d’une île. Je parle de l’Australie bien sûr, continent certes, mais île quand même !
Et alors ce qu’il y a de très curieux également : ceux sont les fonds marins ; le sondeur ne décroche jamais ! Nous naviguons dans un maximum de 60 mètres de profondeur. Nous avons couvert presque 150 milles avec 55 à 58 mètres !!!
Cette rareté géologique va se prolonger ainsi jusqu’au Récif Ashmore, situé à mi chemin entre Darwin et Bali.
Dans le Pacifique : tu quittes ton mouillage, tu sors du lagon, 2 milles plus loin ; tu as plus de 1 000 de fond !
Allure de grand largue, bâbord amure. Génois tangonné sur bâbord, trinquette sur tribord. Pas de GV.
12h30 :  une mer calme ; je la cherche… en vain !  Cette dernière devient très agitée et croisée. Creux de 2 à 2,5 mètres.
13h30 :  le ciel devient de plus en plus noir et menaçant. Les grains se rapprochent depuis notre nord-est. Justement : la perturbation commence par une bascule de vent de 60° et passe à l’est nord-est. La mer devient chaotique. Manœuvre d’empannage aboutissant au changement d’amure.
15h00 :  retour de l’Alizé s’établissant à 25 nœuds. Re-manœuvre : copier tribord amure, coller bâbord amure.
Le ciel me file le cafard, la couleur de la mer ainsi que son état n’arrange pas les choses bien au contraire. On navigue en pleine mer d’Arafoutoire !

-         Dimanche 23 :
Nous avons été poussés par un bon 25-30 nœuds toute la nuit avec un ciel se dégageant progressivement à partir de 2 heures du matin. Une nocturne plutôt mouvementée en somme. Mais j’ai tout de même pris la décision de dormir dans ma cabine avant, n’ayant pas vraiment ressenti la nécessité de gréer le lit de camp. Peut-être plus tard dans la traversée.
Sinon j’ai pu enfin voir la lune plus quelques étoiles, plutôt inhabituel dans les parages. En principe, la lune, on la devine. Quant aux étoiles ; on imagine qu’elles existent !
En parlant de lune : elle sera pleine la nuit prochaine. Bali est réputée paraît-il pour ses fameuses « Full Moon Party ». Pas que pour ça d’ailleurs…

8h00 :  Alizé normal. En tout cas ; cela ressemble à son « modus operandi ». 25 nœuds de sud-est (30 nœuds à l’occas ! ), mer très agitée, houle d’est nord-est assez formée, creux de 2,5 à 4 mètres, présence non négligeable des déferlantes parfois fortes. Beau ciel dégagé laissant défiler avec parcimonie ces nuages caractéristiques blancs à embase plate et légèrement grisâtre.
Le Dieu Soleil va donner aujourd’hui, et je peux vous dire que cela me redonne le moral. Je dois physiologiquement fonctionner comme les batteries du bord ; alimenté au solaire.  Pas de Roi des astres = désastre. Quand Râ est là = tout va !
J’en suis arrivé à compter les levers et couchers de soleil depuis notre départ de Thursday Island. 2 levers, zéro coucher !

         9h00 :  JOUR 1.  11°05 de latitude sud,  133°58 de longitude est ;  144 milles parcourus ces premières 24 heures.  Reste 1 115 milles dans l’ouest jusqu’à Bali. Et 57 milles jusqu’à notre premier waypoint, à savoir la joyeuse et bien nommée New Year Island.

11h30 :  Oh, un serpent de mer ! Mais pas de la modique taille d’un Tricot rayé, non. Celui-ci, ventre blanc et dos marron très clair, mesure sûrement un bon mètres, de diamètre égal à un bout de remorquage pour super-porte-conteneurs !
Je vais de surprise en surprise aujourd’hui : vers midi en regardant de l’intérieur vers l’arrière à travers les plexiglas de descente ; ceux sont des montagnes russes que je visualise. Plus ou moins ordonnées, plus ou moins perpendiculaires à notre route. Certaines culminent à 4 mètres environ. A nous de surfer là-dessus à plus de 11 nœuds !
17h00 :  île surmontée d’un phare en vue droit devant !!! New Year Island… Ben ça ?
18h30 :  nous doublons l’île de la Nouvelle Année ! Un peu tôt peut-être… ou un peu tard en fait ! Après tout, nous ne sommes que le 23 juin !
Notre prochain waypoint sera le cap Van Diemen positionné au nord-ouest de Melville Island distant de 165 milles dans le 265°. Nous passerons ainsi à moins de 80 milles à vol de Fou au nord de la ville de Darwin.
Coucher du soleil :  18h54.   Lever de lune :  18h47.
Les Alizés suivent l’orientation de la côte et obliquent ainsi à l’est, nous permettant de garder la voilure réglée pour le grand-largue. Chouette alors !
Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule ; la mer devient plus calme, moins cafouillie, plus ordonnée. J’en profite pour relevée la dérive.
Vers 20 heures ; en même temps que je me réconcilie avec la mété-australienne, et pour cause, il n’y a plus un seul nuage dans le ciel, nouvelle interrogation surprise des Customs Walabis aérotransportés ! VHF canal 16, dégagement sur le canal 72. Toujours les mêmes questions. Nous n’abordons pas le sujet « mouillage à Raragala Island », et c’est tant mieux ainsi. J’avoue que je n’étais pas vraiment tranquille jusqu’à maintenant !

-         Lundi 24 :
         8h00 :  Oh quelle nuit mes amis !  Vent régulier à 25 nœuds, mer propre, une luminosité hors du commun, et plus de 80 milles en 12 heures ! Nous avons très bien marché, et moi j’ai surtout très bien dormi !
Petite frayeur tout de même à mon premier réveil de check-out vers 23h00. Je venais de dormir profondément pendant une heure et demi dans ma cabine. Donc je me lève et suis instantanément ébloui par une lumière intense provenant de l’arrière et passant à travers les plexiglas de descente ! La gueule encore dans le gaz, je cours vers le cockpit (le carré ne mesure que 5 mètres environ !) un peu en panique, je ne manque pas de me cogner violemment le crâne dans le panneau de descente qui été à moitié ouvert, j’enjambe les plexiglas et là ; surprise !  « Keep cool my Friend ! Ce n’est que moi la Lune, pleine de son état !!! » dit-elle en se marrant !
Météo du jour : vent d’est 25 nœuds. Ciel peu nuageux. Mer très agitée. Houle d’est 2 à 2,5 mètres.
Dire qu’il y a 26 ans ; Côte-de-Beauté avait effectué ce même parcours sous spi, avec 10 nœuds de moins, et 90 m2 de toile en plus ! 
C’est fou comme le ciel change vite sous ces latitudes ci. Le temps de prendre mon petit-déjeuner, je sors et découvre un ciel devenu tout gris à 80% de sa surface. Mais comment il fait ça ??? Une heure plus tard ; le beau temps revient !

         9h00 :  JOUR 2.  10°59 sud,  131°29 est ;  150 milles parcourus.  On se rapproche du record des 24 heures !  Reste 969  milles jusqu’à Bali. Et 69 milles dans le 263° jusqu’à notre prochain waypoint.

Une question que nous nous posons Trinquette et moi (enfin surtout Trinquette) ; est-ce que ça se mange le Fou-de-bassan ? Parce que son corps ressemble à un canard, que c’est très bon le canard, et que surtout nous en avons toujours 1 ou 2 qui nous tiennent compagnie, posé tranquille sur le barbecue de balcon, sur le bossoir tribord, sur le panneau solaire. Ah non là ça glisse trop !
Non je plaisante bien sûr ! C’est rigolo d’avoir des oiseaux sur le bateau !
14h00 :  le vent chute lamentablement ! La moyenne aussi ! Catastrophe…
17h45 :  manœuvre d’empannage. Allure de largue, tribord amure.
Comme hier à l’approche du cap ; le vent suit le relief côtier pour virer à l’est nord-est. Après une faible accalmie qui durera toute l’après-midi, l’Alizé reprendra de la vigueur de concert avec sa nouvelle orientation.  15-20 nœuds, mer peu agitée.
22h45 :  eh bien c’est pas trop tôt ! Nous débordons péniblement le cap Van Diemen ainsi que Melville Island. Le vent est tombé à 10 nœuds.
Nouveau waypoint :  Ashmore Reef, distant que 420 milles dans le 257°, à travers la mer de Timor (Ti mords, ti mords pas ???). La mer d’Arafoutoire ; on la range dans les tiroirs.
Nouvel empannage, allure de largue bâbord amure. Mer peu agitée, petite houle d’est. Ciel hyper dégagé.
23h00 :  je vais me coucher.
1h00 :  le manque de vent, les voiles qui battent, ainsi qu’un petit bruit très suspect de clapotis plus ou moins perceptible me sortent des bras de Morphée.
Effectivement, une fois dans le cockpit ; le bruit du clapot devient bien plus audible. Et surtout plus inquiétant. J’ai 12 mètres au sondeur ??? Petit coup de stress… J’allume mon GPS, 2 minutes le temps qu’il acquiesce les divers satellites rayonnant à 36 000 kilomètres au dessus de nos têtes… et là : surprise !!!
Le courant nous a déhalé de 5 milles dans le sud de notre route en 2 heures de temps !
Le GPS m’indique une profondeur de 5,5 mètres à notre position ! Et nous fleuretons avec des hauts-fonds à 3 mètres, d’où les bruits de clapotis additionnés aux différentes rencontres de courant.
Le choix ne se pose pas, moteur ! Une heure environ le temps pour Free Spirit de se sortir de tous ces bancs de sable mouvants et donc instables en terme de position géographique exacte et de rejoindre sa route initialement programmée.
Bilan d’une nuit épuisante et peu glorieuse. Pas de vent, un peu de vent, 2 ou 3 empannages je sais même plus, tangon, pas tangon, trinquette, pas trinquette, que de manœuvres et pas de sommeil !!!
Les nuits passent et ne se ressemblent vraiment jamais. Tenez, la dernière nocturne : bon dodo, excellentes conditions, et 80 milles parcourus en 12 heures.

-         Mardi 25 :
6h30 :  le vent fait son come-back du sud-est à 15-18 nœuds. Le grand beau temps persiste et signe. Content !

         9h00 :  JOUR 3.  11°14 sud,  129°45 est ;  110 milles parcourus, la loose !  Reste 869 milles jusqu’à Bali. Et 400 milles dans le 258° jusqu’à Ashmore Reef.

9h20 :  la Tribu Free Spirit fête ses 20 000 milles de navigation depuis notre départ de France,  37 000 kilomètres à travers 2 océans ! Nous nous apprêtons à attaquer le troisième.
Elle est déjà loin la Nouvelle-Calédonie, et je ne vous parle pas de la Polynésie. Quoiqu’elle reste toujours bien présente dans mon cœur !
10h00 :  nouvelle chute de vent à 10 nœuds, ça commence à me taper sérieusement sur le système. Surtout que la mer est franchement ignoble. Petite houle d’est sud-est, rencontres de courant, fonds marins très irréguliers passant de 15 à 60 mètres comme qui rigole, mers croisées. Bref ; je me sens comme un œuf au milieu d’une casserole d’eau chaude en ébullition, montant en température et balloté dans tous les sens. Si encore on avançait ! Mais non ; on se traîne à 2 à l’heure ! Moi qui pensais naïvement que l’horizon se calmerait en s’enfonçant dans la mer de Corail.
Comme je vous le disais : ça roule vraiment fort et beaucoup, à une cadence presque préprogrammée on dirait. A savoir : 6 secondes de répit (enfin tout est relatif), suivi d’environ 20 secondes de roulis continu dont 5 à 8 secondes relativement très virulentes. Et ainsi de suite… En résumé, on s’aperçoit avec dépit que la mer est bien trop agitée par rapport au vent qui ne dépasse plus les 10 nœuds malheureusement.
Côté thermomètre : les températures dépassent allègrement les 30° en extérieur, jusqu’à 33°, et 26-28° dans le bateau. Taux d’humidité maximal : 100% dehors, et 80/90% à l’intérieur.
11h00 :  tiens l’avion des autorités ! Y’avait longtemps. J’enfile un caleçon, je déplie le drapeau bleu/blanc/rouge, j’allume la VHF sur le canal 16. Elle (aujourd’hui c’est une femme !) me demande seulement ma position GPS. « Euh… votre GPS est en panne ou bien ??? Vous venez tout juste de me survoler ! ». « OK, have a good trip… ».
15h00 :  la brise s’en est allée ! J’affale tout ; dérive. C’est moche, avec tout ce que nous avons pris depuis l’atoll Huon ; un minimum de 20 nœuds à l’anémomètre, et même la plupart du temps à plus de 30 nœuds. Et bien oui, c’est la vie ! Patience, patience…
18h30 :  petit courant d’air d’est nord-est. Une douche, un mars et ça repart !
19h10 :  coucher du soleil.

-         Mercredi 26 :
8h00 :  vent d’est, puis progressivement est nord-est 10 nœuds. La mer a gagné en sérénité. Empannage, bâbord amure. Plein vent arrière. Nous n’avons déjà pas beaucoup de vent, si en plus il est pile parallèle à notre route ! « Jamais content celui là !!! ». « Si ; il fait super beau !!! ».

         9h00 :  JOUR 4.  11°31 sud,  128°36 est ;  71 milles parcourus. The loose ! Reste 330 milles dans le 260° jusqu’à Ashmore Reef.

11h30 :  survol de l’avion de reconnaissance. Qu’est-ce qu’ils nous préparent aujourd’hui comme questions intelligentes ? Rien figurez-vous. Même pas un « Over/Roger ». « Sur ce, à demain alors ! En espérant que vous soyez de meilleur humeur ».
18h00 :  nouvelle bulle ! J’affale tout ! Qu’est-ce qu’on s’emmerde…

-         Jeudi 27 :
6h00 :  vent de nord nord-est 5-10 nœuds, une bizarrerie locale ? C’est très rare cette direction. Mer peu agitée. Grand beau temps. Allure de largue, génois tangonné, tribord amure.  Nous venons de perdre encore une demi-journée ! C’est vraiment rageant. Nous ne parlons même plus de conditions de demoiselles là, mais plutôt de conditions pour nouveau-nés !

         9h00 :  JOUR 5.  11°43 sud,  127°38 est ;  58 milles parcourus.  Double loose !
Reste 275 milles dans le 260° jusqu’à Ashmore Reef. Et 750 milles jusqu’à Bali. A ce rythme là : on est pas arrivé !

14h00 :  « Bonjour messieurs dames des Customs ! Toujours pas d’interrogations aujourd’hui ? A demain alors ».
16h00 :  plus un brin d’air. J’affale…

-         Vendredi 28 :
Encore une journée sans… sans vent, sans pêche à la traîne, sans mer même un peu agitée, sans nuage, sans moral… Bon, il fait beau, il fait chaud, ça, rien à redire là-dessus.
Je me fais tout de même un peu de soucis pour mon timing, plus nous passons de temps en traversée, moins nous en passerons à l’escale. Une fatalité qui accentue un peu plus ma déception, surtout que les mois de juin, juillet et août sont censés, d’après les statistiques, être les plus ventés de l’année dans cette zone.

         9h00 :  JOUR 6.  11°49 sud,  126°37 est ;  65 milles parcourus.  Reste 205 milles dans le 260° jusqu’à Ashmore Reef.

12h15 :  Customs flying on the sky again…
13h00 :  on repart, petite vitesse et grande lenteur. Vitesse fond = vitesse surface = 1,5 nœud environ. Pour le courant favorable ; tu repasseras…
La nouveauté vient inéluctablement de l’océan Indien qui nous envoie une très longue houle d’ouest, qui se propage de très loin depuis longtemps, longtemps…
23h00 :  lever pipi, heure de la veille et tour de ronde. La lune n’est pas encore sortie de sa cachette orientale. Une nouvelle magie prend forme noyée dans notre sillage, tels les sillons blancs tracés par les réacteurs d’avions sur fond de ciel bleu immaculé, éclairage éphémère composé de milliards de planctons phosphorescents marquant l’empreinte du passage de Free Spirit au cœur de l’océan.

-         Samedi 29 :
8h00 :  vent d’est sud-est 5-8 nœuds, mer peu agitée contrecarrée par une longue houle d’ouest de 1 mètre environ. Beau ciel classique d’Alizés encore faibles mais qui ne demandent qu’à s’exprimer…

         9h00 :  JOUR 7.  11°51 sud,  125°43 est ;  54 milles parcourus. Un record à inscrire au tableau des minimas !  Reste 155 milles dans le 260° jusqu’à Ashmore Reef. Et 645 milles jusqu’à Bali.

Angoissé, stressé, au bout du rouleau (j’en rajoute un peu là) ; j’ai fini par adresser une petite prière à Eole, et proférer des menaces du genre allumer le moteur à Dame Nature…
Et ça a marché, nous avons été entendu ! Merci !
11h00 :  vent d’est 8-12 nœuds. Nous sommes plein vent arrière. Voiles d’avant réglée en papillon, un tangon, une voile d’avant, un bord. Action !
13h00 :  pas une seule touche à la ligne de traîne depuis notre belle et bonne dorade coryphène pêchée au départ de l’atoll Huon, et voilà que nous choppons un énorme espadon ! Quoique que je choisisse de faire : pas question que je le ramène à bord. Trop gros, trop imprévisible et trop dangereux. Mais la ligne résiste ! Je décide de le rapprocher le plus prêt possible de la poupe, puis de tout relâcher d’un coup. Quelques secondes passent, arrivée en bout de ligne, cette dernière se tend comme une corde à linge, énorme pirouette au-dessus des flots, puis la libération s’opère. Le leurre est toujours en place, pas de casse.
14h00 :  Vrouuuummmm ! « Coucou les Customs ! ». Pas d’appel VHF…
19h00 :  les dauphins nous accompagnent une fois encore dans notre conquête de l’ouest. Surfant la vague d’étrave de Free Spirit, coupant son sillage, nous doublant par tribord, par bâbord, un petit saut par ci, une pirouette par là… je ne me lasse pas d’un tel spectacle toujours aussi captivant.
20h00 :  après 4 jours d’absence, et 36 heures passées à la dérive au gré des courants soi-disant favorables, l’Alizé, callé dans les starting-blocks, s’enorgueillie de nous faire à nouveau gagner de l’ouest à vive allure.
4h00 :  cette fois : c’est parti pour la ventilation à haut débit ! 20-25 nœuds établis.  La mer devient très agitée. Free Spirit accélère et se focalise sur son rythme de croisière. Surfs à plus de 9 nœuds.

-         Dimanche 30 juin :
8h00 :  évidemment, le décor a quelque peu évolué depuis hier. Vent d’est 25 nœuds établis. Grand ciel bleu. Mer très très agitée. Creux de 2 à 2,5 mètres… Pour l’instant !
Phénomène du « tout ou rien » ! Un principe fondamental que les marins toutes catégories confondues connaissent bien.
- navigation pépère ; on prend le soleil, on fait moins attention à son équilibre, on dort mieux, on vit mieux, mais on avance beaucoup moins, et les voiles battent et j’ai vraiment horreur ça.
- navigation baston (à laquelle je suis abonnée !) ; on fait gaffe à tout ce qui est mobile car il ne le reste jamais très longtemps, ses appuis deviennent vitaux, peut-être un peu plus de stress, en revanche, et c’est indiscutable ; le temps passe à l’image des milles parcourus, c’est-à-dire beaucoup plus vite. Perso ; je préfère finalement cette solution, euh… dans la limite du raisonnable soit dit en naviguant.

         9h00 :  JOUR 8.  12°05 sud,  123°35 est ;  125 milles parcourus. Eh voilà, un mot un geste, et l’Alizé fait le reste !  Bali, plus précisément le port de Benoa, se situe à 530 milles dans le 289°. Le stop à Ashmore Reef n’est plus d’actualité. A 30 milles de Ashmore Reef ; nous mettons cap direct sur Benoa. La route est saine. Dernière ligne droite.
Effectivement ; j’avais envisagé un arrêt d’une nuit au mouillage du récif Ashmore, mais c’était sans compter le retour plus que véloce des Alizés, complété par une étude rapide du calendrier. En effet, il est impératif d’atterrir à Benoa entre le lundi matin et le vendredi à midi, rapport aux heures de bureau normales de ces messieurs les agents de la fonction public. Par conséquent ; nous ne pouvons nous permettre le luxe d’une escale de repos perdue au milieu de la mer de Tasman. Tant pis, dommage.

11h30 :  nous débordons les derniers bastions des terres et hauts-fonds australiens, laissant Hibernia Reef à 2 milles sur tribord, et Ashmore Reef à 18 milles sur bâbord.
Incontestablement, nous évoluons à partir de cette position, au cœur du domlaine réservé et spécifique de l’océan Indien. Quelques signes qui ne trompent pas : la couleur de l’eau, redevenue d’un bleu azur que je qualifierais beaucoup plus sympathique que le vert du golfe de Carpentra, mer D’arafura et mer de Tasman. Les poissons volants, de nouveau présents en très grand nombre, ainsi que les poissons pélagiques. Mais surtout ; on m’avait beaucoup parlé, mes lectures le confirment, de ces fameuses et redoutées mers et houles croisées perpétuelles réputées comme étant particulièrement inconfortables. Et bien ce cher océan demeure fidèle au portrait que la majorité des marins qui l’ont dompté se font de lui. 
11h45 :  poisson = déception. Encore un espadon, à rostre court cette fois, plus facile et moins dangereux à négocier. Double déception : il est à moitié recouvert de gros boutons rouges et gris éparpillés un peu partout sur son corps. Je ne veux prendre aucun risque côté intoxication alimentaire diverses et variées, enfin avariées plutôt ! Pourtant Trinquette est comme une folle à l’idée de se délecter de poisson frais. Je ne la tiens plus ! C’est que nous n’avons rien pris depuis la dorade coryphène pêchée au départ de l’atoll Huon.
Sauf que, désolé Trinquette, mais je dois le relâcher, pour notre santé… Vous auriez vu le regard qu’elle m’a jeté !
« Salut l’ami, et prends soin de toi. Tu as l’air d’en avoir bien besoin ». Ouf, un peu grogi au moment où je lui ai retiré l’hameçon qui s’était planté dans son rostre, il fini par repartir vers les grands fonds.
En parlant de grands fonds, eh bien nous y sommes ; le sondeur a décroché depuis peu, et pour cause, les cartes marines affichent des profondeurs de 300 à 500 mètres, pour prochainement plombées à plus de 1 000 mètres.
13h15 :  Customs pour la dernière ! « Pas de vacation. Bon d’accord. Au revoir alors ».
14h00 :  ce qui devait arrivait arriva ; nous passons en mode « baston ». 30 nœuds, rafales à 35. Creux de 3 à 4 mètres. Mer démontée.
2 dorades coryphènes arrivent coup sur coup à se faire la belle alors que je finissais de les remonter, à 3 mètres de la plage arrière. C’est excessivement énervant à la fin ! « Je veux du poisson frais !!! Alors je pêche, je me dépêche, et ça pêche quand même !  Il faut peut-être que j’arrête de soliloquer à tout bout d’champ moi ! Non ?».
18h30 :  j’étais tranquille, j’étais peinard, j’écrivais mon journal de bord sur l’ordinateur. Quand tout à coup ; 2 énormes bruits sourds contre la coque à 2 ou 3 secondes d’intervalles. Je pense de suite « OFNI ». Je fonce dehors… et la loi des séries s’impose à moi, déjà pas du tout rassuré par ces bruits horribles. Nous sommes au beau milieu d’une rencontre de courants où une forêt entière y est amassée. Nous venons, par conséquent, de heurter par bâbord une énorme bille de bois dans un premier temps, puis carrément un tronc d’arbre en travers de notre route. Il restera pris dans les safrans durant moins d’une minute, après que Free Spirit lui ai perpendiculairement passé dessus. Ouf. Un grain nous tombe dessus en même temps, nous claquant des rafales à plus de 35 nœuds. Et une nouvelle prise à la traîne ! La totale !
Premièrement ; réduire la toile. Deuxièmement ; vérifier les fonds, l’arbre d’hélice et son joint Ercem, les passes-coques, le loch-speedo et bien sûr ; la barre de direction et les safrans. Ouf de soulagement. La dérive était relevée donc pas de crainte de ce côté-là.
Et enfin troisièmement ; mon dîner de ce soir ! Yes ! Un petit maï-maï et il est encore accroché. Il finira enfin dans mon assiette. Une journée terminée en beauté finalement…
Trinquette n’est pas en reste et dégustera son premier poisson volant « Indien » de son vivant, venu terminée sa vie directement dans le cockpit. 2 victimes de plus dans un océan de prédateurs.
Encore un poisson volant qu’elle me ramène dans le carré la garce ! Elle est énorme, pleine comme un œuf ! Léger écart au régime ce soir, n’est-ce pas Fifille !
Le vent va souffler à 30 nœuds toute la nuit, et pourtant, tout est si calme et reposant à l’intérieur, de surcroît avec la dérive relevée et toutes les ouvertures fermées.

-         Lundi 1er juillet :
7h45 :  la vue au sortir du lit m’impressionne ! Ceux sont de véritables murs d’eau qui s’érigent dans notre sillage. Et accessoirement une pluie d’exocets qui retombent sur le pont de Free Spirit ! Trinquette ne sait plus où donner de la canine, bien qu’elle soit de toute façon complètement repue.
 Vent d’est 35 nœuds établis. Mer forte, déferlantes puissantes (mais peut-être pas aussi violentes que dans le Pacifique, quoi que ???). Creux de 3 à 5 mètres.
8h18 :  l’horizon oriental libère notre ami le soleil de sa tanière nocturne. A l’opposé, dans l’ouest, le ciel est toujours composé de petits nuages d’Alizé aux formes diverses et variées, et de couleurs aux pâles reflets éphémères de jaune, orange, mauve, violet, bleu et gris clairs, très caractéristiques des levers et couchers de l’astre solaire sous ces latitudes.
L’état de la mer est quelque peu différente dans l’océan Indien par rapport au Pacifique et à l’Atlantique. Tout est tout le temps très désordonné ; tantôt à peu prêt calme, tantôt déchaîné, tantôt normal par rapport à la force de l’Alizé (c’est-à-dire déchaîné quand même). Les déferlantes sont parfois isolées. Dans les autres océans ; elles fonctionnent très souvent par 2 ou 3, accentuant un peu plus leur dangerosité.

         9h00 :  JOUR 9.  11°12.5 sud,  121°08 est ;  155 milles parcourus.  Reste 380 milles dans le 290° jusqu’à Bali.

13h00 :  juste hallucinant ! Pas besoin de scruter l’horizon à la recherche de déferlantes, il suffit de tendre l’oreille ! On les entend arriver, gronder, rugir, et de très loin je vous assure. Par moment ; je serre les fesses même. J’ai pas la trouille mais j’avoue que certaines m’ont fait battre le cœur à 100 à l’heure. Accélérations violentes, surfs interminable, passavants et cockpit submergé à plusieurs reprises. Evidemment ; toutes les ouvertures sont fermées. J’en suis arrivé à vérifier les vagues avant d’ouvrir la descente !!! Bref, c’est pas le paradis quoi !
A chaque fois que je tiens la barre à 2 mains : je repense à cette belle rencontre avec Philippe Massu, régatier de génie et ami des plus grands noms de la course au large, qui a perdu la vie en assouvissant sa passion lors de la course des îles qui a lieu chaque année en juin, autour du golfe de Quiberon et ses îles. Je pense à sa famille, ses amis, et Alex mon frère, qui régatait souvent avec ou contre lui. Nous avions tous les 3 partagé une séance d’entraînement à La Rochelle sur le First 30 de Philippe en septembre 2012, quelques jours avant de reprendre l’avion pour la Nouvelle-Calédonie. Et ce conseil : je ne l’oublierai jamais : « Benoît, pour bien gouverner et sentir ton bateau ; tu dois barrer avec les deux mains ! ». Voilà… Bon vent Philippe ! Tu salueras Eric Tabarly et Bernard Moitessier de la part de tous les marins que ces 2 noms ont inspiré depuis et encore pendant très longtemps.

-         Mardi 2 :
8h00 :  le jour se lève encore sur la planète Océan, lever de soleil nimbé de rouges et oranges flamboyants, gros nuages grisonnants, flots déferlants. Encore une nuit en mer et nous devrions assurer notre arivée à Bali, prévu pour demain en milieu de nuit. Comme c’est bizarre ; encore un atterrissage by night !
Côté météo ; il semblerait que le pire soit derrière nous. La journée d’hier sera à marquer d’une croix rouge dans la longue série des journées passées en mode baston !
Pour l’heure, l’anémomètre ne dépasse plus 30 nœuds, et environ 4 mètres pour les vagues. Les déferlantes se font plus discrètes. Le ciel est beaucoup plus chargé que ces derniers jours. J’ai pu apercevoir des éclairs cette nuit, mais très loin dans le nord. Les températures ont sensiblement baissé.
A part ça ; Trinquette nous a ouvert une petite échoppe à la sauvette de poissons volants fraîchement pêchés ! Elle en a mangé au moins 4 en moins d’une heure sous mes yeux ébahis. Puis elle n’a pas arrêté son petit commerce durant sa vie nocturne. Une bonne demi-douzaine ont dû servir de jouets vivants et éphémères. Au petit matin, j’ai retrouvé les « invendus »éparpillés à plusieurs endroits autour du cockpit, certains sans tête, d’autres sans aile ou sans queue, ou seulement les ailes, et les queues. Bref, un véritable carnage ! Si les services vétérinaire et sanitaire voyaient ça !!!

Je voulais revenir aussi sur une fameuse accélération qui s’est produite hier dans l’après-midi où Free Spirit est parti dans un surf surréaliste qui s’est terminé en remplissage de cockpit (par les 2 bords comme si la déferlante voulait nous avaler), passavants et pont avant submergés par les mousses ambiance sous-marin, ainsi qu’une grosse frayeur en ce qui me concerne.
Toujours est-il que le GPS était allumé, mais que, à ce moment précis de violence extrême ; je n’avais pas les yeux rivés sur le petit écran de l’appareil. Hier soir, en consultant machinalement la fenêtre de la fonction odomètre vitesse max. ; j’ai pu lire… attention suspense, tenez-vous bien… 15,9 nœuds ! Il est incontestablement le nouveau record de vitesse instantanée de Free Spirit, même si je n’ai pas vu de mes propres yeux les chiffres défiler au moment « T ».
Malgré tout : on va le garder quand même. Nous améliorons donc notre ancien record, qui n’est pas si vieux que ça, de 0,8 nœud, passant de 15,1 à 15,9 nœuds. Mais où va-t-on s’arrêter, surtout que nous ne naviguons jamais surtoilé, sachant que la sécurité prime avant tout autre objectif, notamment la vitesse supersonique !

         9h00 :  JOUR 10.  10°19.5 sud,  119°01 est ;  137 milles parcourus.  Toujours pas de courant favorable. On est au taquet ; avec juste 0,5 nœud de courant, nous devrions couvrir des journées à 150 milles au moins.  Reste 243 milles dans le 290° jusqu’à Bali.

12h00 :  l’Alizé a légèrement tourné vers l’est sud-est, droit dans l’axe de notre route.
Avantage d’être plein vent arrière : de temps en temps, on peut s’autoriser un petit surf backside. Même Loulou se prend au jeu. En plus, sans la grand-voile, pas de risque d’empannage intempestif. Mais gare à la trinquette quand même, que j’ai dû tangonner pour l’occasion.

-         Mercredi 3 :
8h32 :  lever de soleil (toujours en heure de Thursday Island, ça explique l’écart par rapport à une dizaine de jours en arrière lorsque que nous avons quitté cette dernière).
Conditions météorologiques inchangées depuis hier après-midi, toujours du grand beau temps. Tout glisse ! J’en veux pour preuve Loulou, alias mon indispensable et fidèle second au poste de barre, me gratifie d’un surf à 12,3 nœuds, au saut de la bannette, je venais tout juste d’allumer le GPS ! Tranquille le chat. Et Trinquette ? Où est Trinquette ? Je fais l’appel ! La voilà… elle est énorme, obèse ! Et Free Spirit est recouvert d’écailles brillantes et volantes au gré du soleil qui brille déjà ainsi que du vent qui balaye le pont.

         9h00 :  JOUR 11.  09°23 sud,  116°44 est ;  147 milles parcourus.  Reste 96 milles dans le 291° jusqu’au port de Benoa, pointe sud-est de Bali.

13h00 :  « Mesdames et messieurs, vous pouvez apercevoir sur tribord l’île de Lambok, distante d’une douzaine de milles.
17h00 :  à fond les ballons ! Il nous reste 35 milles à parcourir. Nous venons de couvrir depuis le point de 9h00 ce matin 61 milles exactement, en 8 heures,  à 7,6 nœuds de moyenne. Nous devrions nous présenter à la passe vers 22h00 ou 23h00.
Cela faisait déjà 10 minutes que j’avais rebranché Loulou, lorsque je sentis Free Spirit accélérer anormalement, puis un départ au lof. Je sens le vent forcir. Je me lève alors que j’étais allongé dans le carré, regarde vers l’arrière, pour voir un mur blanc !!! Trop tard pour sauter sur la barre. Je tire le capot afin de boucler la descente (les plexiglas étaient déjà en place). Je me souviens du petit hublot de la cabine arrière qui donne dans le cockpit que j’avais ouvert à midi. Mais là encore trop tard ; la déferlante nous atomise, nous submerge. Au moins 200 litres sont déversés dans le cockpit, et une cascade s’engouffre sous mes yeux dans la cabine par ce fameux hublot, pour ensuite s’écouler dans les fonds. Free Spirit, légèrement en travers de la lame, se fait submerger par une deuxième déferlante toute aussi puissante, qui cette fois nous bascule en travers. Tout s’est passé si vite ! Je sors dans le cockpit encore en partie immergé, débranche Loulou afin de remettre la carène dans l’axe du vent, perpendiculaire aux vagues, et enroule du génois. De nouveau à la barre, j’observe et analyse ce qui se passe. Au début ; j’ai pensé à des hauts-fonds. Mais c’était impossible, j’en étais certain. Et puis j’ai tout de suite saisi en regardant les chiffres du GPS. Lancé dans des surfs de dingue, nous ne dépassions plus les 6 nœuds (12 nœuds au loch-speedo) ! J’y crois pas ; on se tape 6 nœuds de courant plein face. Le vent souffle à 35-40 nœuds établis, à contre du courant. Résultat ; l’équation donne des vagues gigantesques, culminantes à plus de 5 mètres, et d’une puissance inouïe. En fait ; pour ceux qui connaissent la navigation en Bretagne, et bien il se passe exactement la même chose que dans le Raz de Sein (coup de vent de nord-ouest contrecarré par une marée montante à fort coefficient.
Organisation : je rebranche Loulou afin de vérifier l’étendu des dégâts à l’intérieur. Plancher bâbord retiré (il n’y a pas d’eau à tribord), j’écope au moins 60 litres d’eau. J’en ai presque les larmes aux yeux, moi qui suis maniaque avec la moindre tâche d’eau (en plus de l’eau de mer) à l’intérieur. Il m’arrive même d’essuyer les pattes de Trinquette avant qu’elle pénètre dans le bateau lorsque je sais qu’elle a été se balader sur le pont.
Coup de rinçage rapide à l’eau douce aux endroits les plus accessibles, et je retourne vite à la barre. Un paysage dantesque, je n’avais jamais vu ça auparavant, même en Bretagne. Le paysage est d’un blanc perpétuel et immaculé. Puissantes, titanesques, bruyantes, les crêtes déferlent à outrance. Il en faut beaucoup pour m’impressionner, et surtout pour me faire peur. Mais là j’avoue que je suis vaincu !
Nous allons couvrir 7 milles en 3 heures et demi dans des conditions extrêmes, pour pas dire dangereuses. Le GPS indique de 0 à 6 nœuds de vitesse maximum, avec un minimum de 7 nœuds au loch-speedo. Un poisson est resté accroché une bonne vingtaine de minutes à la ligne de traîne, puis s’en est allé. Bonite, dorade, thon ??? Je ne le saurais jamais !
A 20h30, le spectacle est terminé, le crépuscule prend la relève. Seul le courant de face persiste à la force de 3 à 4 nœuds tout de même. Par contre, le vent est retombé à 20-25 nœuds, et les vagues de déferlent plus.
Cap plein nord au compas, 292° au GPS. On marche à 1,2 nœuds de moyenne fond.
1h30 :  plus de courant, nous reprenons notre route au 294°. La mer est peu agitée.
Il nous reste 20 milles à parcourir. Je lève le pied afin de parer à d’autres surprises éventuelles.
2h30 :  de nouveau du courant à près de 4 nœuds qui nous pousse au sud. Pour étaler : il va falloir faire du près au risque de repartir au large en moins de 2. Je dois donc hisser la GV (1 300 milles sans la grand-voile, et voilà que je dois la sortir à 12 milles du but), à 3 ris parce que ça souffle encore à 25 nœuds, 35 sous 2 grains, et baisser la dérive. Afin d’égayer cette nuit de folie ; la mer redevient très pourrie, croisée de partout. Retour des déferlantes, plus rares et moins violentes tout de même qu’à 19 heures. Il reste 12 milles à faire. Nous faisons du sur place. Au moins, nous ne nous faisons plus dépaler. Je sais plus trop où j’en suis en fait, fatigué et blasé. Ce courant de dingue me met les nerfs à vif ; ça c’est sûr !
On abat, on remonte au près… du pure délire au cœur d’une nuit blanche qui restera dans ma mémoire pendant longtemps ! Quelle journée ! Vous savez qu’à un moment donné en fin d’après-midi ; au plus fort des conditions, l’idée m’est venue de mettre directement le cap sur l’atoll de Coco Keeling, qui sera notre prochaine escale perdue au milieu de l’océan Indien, et distant de plus de 1 000 milles de Bali.

-         Jeudi 4 :
Dès le lever du soleil, curieusement tout va mieux ! La mer devient plus clémente, et le courant devient beaucoup moins gênant. On va y arriver…
Enfin… Et c’est ainsi qu’au terme d’une longue route de 3 000 milles en un mois depuis la Nouvelle-Calédonie ; Free Spirit effleure de son étrave les eaux territoriales indonésiennes, sur la bordure nord-est de l’océan Indien.

8h45 :  arrivée au mouillage de la marina de Benoa. Déjà ; le dépaysement est incontestable. Les couleurs, les formes, les odeurs, les bruits, les autochtones…

         9h00 :  JOUR 12.  08°44.5 sud,  115°13 est ;  105 milles parcourus, dont les 40  derniers en 15 heures !

Les montres, réveil et autres horloges d’ordinateur sont retardés d’une heure, de 2 heures même ! Surprenant…
Et maintenant ; nettoyage, rinçage, séchage…
La clearance attendra demain !



Résumé de la traversée depuis Hole in the Wall.


Free Spirit a parcouru 1 325 milles en 12 jours exactement,  à 4,6 nœuds de moyenne pour 110 milles par jour.
37 heures à la dérive. Si on les soustrait : on arrive à 5,3 nœuds de moyenne. Je préfère ça.
160 heures de barre pour Loulou qui s’est encore une fois surpassé car les conditions étaient à certains moments vraiment épouvantables, même pour les guerriers que nous sommes !  56 heures pour le capitaine (je n’ai pas touché la barre durant les 4 jours de vent faible).
10 minutes de moteur à l’arrivée à Benoa afin de faciliter la prise de corps-mort.
Nouveau record de vitesse instantanée établi à 15,9 nœuds !
Pas de record des 24 heures (toujours égal à 162 milles).
Un coup de vent à 40 nœuds le dernier jour.
Et sûrement les plus grosses vagues jamais rencontrées durant le voyage.


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