Traversée de Saldanha Bay (Afrique du Sud) vers Walvis Bay (Namibie).

Jeudi 30 janvier 2014 : Fin du séjour en Afrique du Sud ! L’escale dans ce pays merveilleux se termine à Saldanha Bay, au cœur de sa grandiose lagune sans cesse balayée par les vents dominants de sud, spot très prisé par le monde du kitesurf et du windsurf. 18h00 : grand-voile hissée à 2 ris : nous quittons le mouillage du Yacht Club de Saldanha sans l’aide du moteur. Le vent souffle du sud sud-ouest à la force de 20 nœuds à l’abri de la presqu’île, puis 30 avec des rafales à 35 nœuds dans le chenal ouvert vers le grand large. L’Océan Atlantique nous tend les bras, le beau temps persiste, le froid pique encore un peu. Prochaine étape : Walvis Bay en Namibie ; 660 milles à parcourir cap au nord nord-ouest, en longeant les côtes africaines, vent et courant portants… enfin en principe ! Je hisse la trinquette et prévois un léger détour vers le Yacht Port où se trouve le voilier Bonaire afin de faire un ultime salut à toute la famille qui travaille sur le chantier, puis route vers la sortie de la lagune. Il nous faut tirer 4 bords de près assez désagréables dans du vent irrégulier ponctué de fortes rafales. Une heure de louvoyage sera nécessaire, et à 19h30 : le phare de North Head est débordé sur notre tribord. C’est le signal pour Free Spirit de prendre son cap au 350°, allure de grand largue, bâbord amure, voiles en ciseaux, trinquette affalée et génois tangonné sur bâbord. La houle de sud-ouest culmine à 3 mètres ; reste d’une dépression encore présente sur le Cap Agulhas. La mer est très agitée et quelques déferlantes sont à prendre en considération. 19h56 : heure à laquelle le soleil disparaîtra derrière l’horizon dégagé de toute trace nuageuse. Le crépuscule et sa palette de couleur pourpre, orangée, bleutée et grise, annonce une stabilisation du vent à 20 nœuds. Je relâche sereinement le 2ème ris. Free Spirit en profite pour allonger la foulée. Loulou gère la gouverne. En parlant de Loulou : j’en profite pour passer un petit message de soutien à toute sa famille et nos amis communs car cela fait aujourd’hui 6 ans que nous regrettons sa disparition. Loulou est toujours présent dans mes souvenirs, dans mon cœur, tous les jours embarqué sur le voyage de Free Spirit, dédié à sa mémoire. Loulou partage ce même destin éternel et intemporel des grands hommes… oui : on ne les oublie jamais ! Les températures sont encore très fraîches pour la saison ; il fait à peine 18 degrés à l’intérieur. La Croix du Sud trône par-dessus le sillage phosphorescent tracé par Free Spirit, parfaitement parallèle à la Voie Lactée ; pas de doute : on rentre à la maison… à bonne allure de surcroît ! Au cœur d’une nuit sans lune mais idéalement étoilée ; j’arrive à confondre la fluorescence de certaines déferlantes avec les lumières des navires alentours. Pas étonnant que ces eaux soient particulièrement appréciées par les cétacés en quête de nourritures faciles et abondantes. 22h30 : 5 minutes après m’être blotti dans la couette, elle-même recouverte par Trinquette ; nous nous faisons violemment aborder sur le travers bâbord par une méchante déferlante erratique qui nous fait partir au lof, recouvre le pont et le cockpit de son écume puissante et abondante, et met le génois à contre !!! Le vent n’atteint pourtant pas plus de 25 nœuds à l’anémomètre. Par précaution ; je me vois contraint de réduire la voilure ; je reprends donc le 2ème ris. Ca ressemble à un après-goût de l’Océan Indien ; tout à fait son style !!! Vendredi 31 janvier : 6h17 : lever de soleil ; je m’extraie du lit exprès pour l’occasion ! Non en fait ; la coïncidence de la veille fait bien les choses. Toujours pas un seul nuage dans le ciel et je ne m’en plains pas ! Le vent de sud sud-ouest a chuté à 10 nœuds. Malgré cette baisse de la turbine à vent sud-africaine ; la mer et la houle demeurent très agitées et indisciplinées, avec des ondulations à près de 3 mètres. 13h00 : le vent, aussi léger soit-il, refuse de quelques degrés, et m’oblige à détangonner le génois. Nouvelle allure de petit largue, bâbord amure. Cap au 350°. 14h30 : je n’exagère pas en constatant avec un certain enthousiasme que nous bénéficions de conditions idéales. La houle a presque disparue et la mer est devenue comme par magie tout à coup beaucoup plus calme. Le grand beau temps se maintient grâce à un été austral très favorable en cette fin de mois de janvier, et la brise résiste au calme. De la véritable plaisance qu’il n’est pas inutile d’exposer au grand jour. 18h00 : JOUR 1. 31°43 de latitude sud, 16°27 de longitude est. 120 milles parcourus ces premières 24 heures. Il nous reste 545 milles à parcourir jusqu’à Walvis Bay en Namibie. Luderitz est situé sur notre route, à 315 milles de notre position actuelle. 20h30 : aucune étoile ne scintille dans notre ciel ce soir. Le vent est passé soudainement plein ouest pour souffler à 20-25 nœuds, accompagné de nuages voyageant rapidement et à basse altitude. En plein milieu de mon dîner ; je dois m’affairer à la manœuvre, inutile d’attendre la fin du repas, et que le coup de vent nous surprenne. Je remplace le génois par la trinquette, histoire d’éviter toute mauvaise surprise qui n’aurait bien entendu pas été annoncé par les fichiers météorologiques. Deux heures plus tard : le ciel s’enorgueillie de ses milliards d’étoiles à énergie incandescente infinie et inépuisable, la voie Lactée guide notre route tandis que le vent est revenu s’établir à 10-15 nœuds. Samedi 1er février : 7h00 : retour d’un ciel typique d’Alizés, même si ces derniers sont plutôt faiblards. Nous subissons un choc thermique de 15 degrés depuis notre départ de Saldanha. Le thermomètre affiche un mini de 16° la nuit, et un maxi de 21° en journée. Autant dire que ça caille légèrement, et je ne vous parle pas de la température de l’eau de mer, refroidie par le courant du Benguela arrivant tout droit de l’Antarctique ; environ 15° ! On le sent bien lorsque que je marche pieds nus sur le plancher : il est glacial ! Les fonds m’assurent un stockage en mode frigo parfaitement isolé et opérationnel. 9h00 : la brisounette adonne au sud-ouest ; nous repassons grand largue, voiles en ciseaux. La mer est toujours très agitée malgré ce vent faible. 14h00 : comme hier à la même heure : les conditions de Demoiselles s’installent à nouveau ; 15 nœuds de sud-ouest, mer belle, soleil généreux mais ambiance fraîche ! A la bonne heure… ça va se payer tôt ou tard de telles facilités de navigation, j’en ai bien peur ! La couleur de l’eau tend à reprendre sa belle couleur bleu azur que j’affectionne tout particulièrement. Pas pour longtemps, à l’approche des côtes : elle redevient d’un vert irlandais très apprécié par les cétacés et autres otaries qui rôdent en nombre dans les parages. A moins de 80 milles de la côte africaine : je suis étonné de voir aussi peu de navires de commerce et de pêche. Free Spirit paraît évolué seul en mer ; surprenante contradiction. Cela ne doit en aucun cas altéré sur une veille attentive et obligatoire. 18h00 : JOUR 2. 30°13 sud, 15°36 est ; 100 milles parcourus. Pas de doute possible : si le courant du Benguela nous est favorable (et en principe il l’est !!! ) ; il est plus que faible, pour pas dire inexistant. J’imagine qu’il agit un peu plus à l’ouest de notre route, nous devons naviguer trop près des côtes. Mais je n’affirmerai pas qu’il est contraire afin d’éviter toute polémique. Reste 445 milles à parcourir jusqu’à Walvis Bay. A 215 milles de Luderitz. Dimanche 2 février : 6h00 : toute la nuit ; le vent a progressivement viré au sud sud-est, et j’ai vraiment attendu le dernier moment pour manœuvrer l’empannage devenu inévitable avant d’avoir pris un cap direct pour l’île de Sainte-Hélène, nous ayant ainsi écarté de plus de 30 degrés de notre route pour Walvis Bay ! Dorénavant tribord amure, voiles en ciseaux, 20 nœuds établis, la vie à bord est bien plus confortable sur ce bord car nous touchons la houle pile par l’arrière (ou perpendiculaire à notre nouveau cap), au lieu de 3 quarts arrière sur l’autre amure. Loulou est par conséquent moins sollicité, et Free Spirit va plus vite sans fatiguer. 10h00 : les nuages matinaux se sont dissouts dans le bleu azur du ciel, laissant place à un Alizé plus soutenu à 25-30 nœuds. Etant très agitée et croisée ; la mer commence à déferler sporadiquement. Nous accélérons encore, à condition que je veille à débarrasser régulièrement de mes safrans ces longues et encombrantes algues de forme ronde et de couleur marron qui nous freine copieusement. Elles ne ressemblent à aucun autre type d’algues marines que j’ai pu observer jusqu’à maintenant. Peut-être sont-elles endémiques à cette partie du globe océano-terrestre. 15h00 : pourquoi avoir 20-25 nœuds lorsque l’on peut se voir généreusement offrir du 35-40 nœuds ??? Une question que je me pose bien trop souvent à mon goût ! Les Albatros, toujours en nombre et heureux de se mouvoir dans de telles conditions bénites, ne sauront me fournir une réponse cohérente qui satisfasse ma curiosité. Même si nous conservons l’avantage de l’allure au vent arrière (et dire que l’on décrit cette navigation back-wind comme étant de la navigation à plat ! Tout ce qu’on y gagne ; c’est de gîter violemment des 2 bords, au lieu d’un seul sur une allure de reaching ou de près). Toujours est-il qu’il me faut passer au poste de manœuvre ! J’affale la GV et hisse la trinquette tangonnée sur bâbord, croisée avec 3 ou 4 m2 de génois aussi tangonné. Cap au 10°. La mer devient de plus en plus méchante et certaines déferlantes viennent copieusement arroser le cockpit. La descente demeure à partir de maintenant fermée bien entendu. Nous quittons pour longtemps les 30 degrés de latitudes sud !!! On progresse, on progresse ! L’équateur me semble si proche et si éloigné à la fois… et que dire de la France ? 17h00 : « Passeport Monsieur s’il-vous-plaît ! ». De part notre latitude ; nous venons juste de déborder la frontière South-Africa – Namibia. On change de pays, sans changer de continent, ni de côtes… 18h00 : JOUR 3. 28°20 sud, 14°56 est ; 128 milles parcourus. Il nous reste 330 milles à parcourir jusqu’à Walvis Bay. Luderitz se situe à 105 milles de notre position actuelle. C’est notre premier coup de vent sérieux subit en mer depuis que Free Spirit a retrouvé l’Atlantique. « Annoncé par la météo ??? Ben non, pourquoi faire ? ». La mer fume, gronde et mugit de toute sa splendeur et sa puissance sous les assauts insatiables de l’Alizé baston qui souffle sans vergogne et sans jamais s’essouffler. Les creux dépassent allègrement 3 mètres à 3,5 mètres, pour le plus grand bonheur des Albatros qui volent, planent et virent toutes ailes déployées au gré des vents ascendants. Quel spectacle fascinant ; je ne m’en lasse pas ! Heureusement que je continue d’assurer une veille active toutes les 45 minutes, même si mon rythme de sommeil en prend un sacré coup. Bref : vers 1 heure du matin : je dois me dérouter afin de laisser passer un bateau de pêche qui croisait notre route. Lundi 3 : 6h30 : le vent souffle ce matin du sud sud-est 25-30 nœuds. Le coup de vent s’en est allé aussi vite qu’il nous est tombé sur le coin du gréement ! La mer s’est assagie non sans laisser quelques traces encore visibles au sein des ondulations majestueuses de près de 4 mètres venant du sud. Elle va très vite fondre comme neige au soleil de La Réunion. Il fait froid, et la couverture nuageuse de faible altitude est très abondante. J’ai même cru une seconde qu’il allait pleuvoir ! Et plus non… Sans transition : j’ai repéré une petite baie sur la presqu’île de Luderitz qui me semble fort sympathique, et je crois que je vais tenter de faire escale pour la nuit. Il nous reste 55 milles à parcourir afin de rallier cet éventuel mouillage forain situé aux portes du désert namibien. Pour ce faire : nouveau cap au 15°. Je hisse la GV à 3 ris, puis à 2 ris au fur et à mesure de l’accalmie marine. Le vent va faiblir jusqu’à obtenir 20 nœuds à partir de la fin de matinée. 12h00 : Terre en vue sur tribord !!! Le thermomètre ne dépasse guère les 19 degrés au plus chaud de la journée, heureusement que le soleil brille sans retenue après le dissipation des brouillards matinaux propres à la proximité des côtes. Le changement de décor saute aux yeux ! Fini la verdure, place aux paysages lunaires et désolés, où hautes dunes de sable jaune immaculé et roches noires, grises, et marrons se taillent la part du lion. Le désert n’est pas loin, grandiose et sauvage, digne d’un film d’aventure tourné en terres sahariennes. Luderitz est aussi très célèbre car sa lagune accueille chaque année le Speed Kitesurfing où les records de vitesse en Kitesurf tombent comme des mouches ! Sébastien Cattelan (que j’ai rencontré la semaine dernière à Saldanha) et Alex Caizergues (que j’ai rencontré par 3 fois en France) sont parmi les 3 waterboys les plus rapides de la planète, avec des runs à près de 65 nœuds en vitesse instantanée, et des records sur 500 mètres à plus de 56 nœuds. Respect devant de telles prouesses. Quant à mon escale tant désirée dans cet endroit magique ; il ne va pas du tout se dérouler comme je l’avais espéré ! Moi qui savourais l’idée de me reposer tranquillement, Free Spirit mouillé au sein d’un paysage dantesque, tout en admirant le coucher de soleil, en sirotant un petit apéro… Bref, l’affaire est toute autre… Vers 15 heures ; Free Spirit pointe son étrave fière et innocente sous le regard curieux des pingouins tout mignon, à moins d’un mille du phare à rayures rouges et blanches de Dias Point, le vent soufflant toujours à 15-20 nœuds ; idéal pour prendre un mouillage large et dégagé sans avoir besoin de démarrer le moteur. Un quart d’heure plus tard ; mon spot spécialement prévu pour ma nuit de repos bien méritée est en vue, à 1,5 mille à l’est sud-est de la pointe rocheuse que nous sommes actuellement en train de contourner, laissant cette dernière sur tribord. Et là : l’anémomètre s’affole, voire même panique ! 35-40-45, des rafales à 50 nœuds ! Au bon plein, GV passée in extrémis à 3 ris, nous marchons à 5,5 nœuds avec 3 m2 de génois. Le choix est simple ; à moins de laisser tomber l’ancre dans 2 mètres de fond, de préférence de sable, nous ne tiendrons pas sereinement dans ces conditions hardcore, au sein d’un endroit que je ne connais absolument pas et où les bascules de vent peuvent être imprévisibles à fortiori fatales. J’insiste en allant un peu plus loin vers l’est en direction de magnifiques et hautes dunes de sable lisse afin de vérifier si le phénomène ne serait pas très localisé et isolé. Mais non : toute la lagune dans son ensemble est concernée par ce vent tempétueux. Rien à faire, impossible de trouver un mouillage sûr où jeter la pioche. Et à 17 heures : je devrai, à contre cœur, me résigner à rejoindre le large. En attendant : je joue les paparazzis du désert et profite du spectacle qui se déroule sous mes yeux. Et là ; deuxième effet kisscool ! On passe de 45 nœuds établis à pétole molle en moins d’une demi-heure, à peine 3 milles de distance. Nous allons rester englué pendant 2 bonnes heures avant de reprendre du tout petit air venant du sud-ouest. Du brouillard se dessine dans notre nord. L’objectif est de profiter de cette brise afin de s’éloigner de la côte parfaitement inhospitalière dans les parages. Cap à l’ouest sur une quinzaine de milles, à la vitesse du pédalo, allure de près bon plein bâbord amure, sous GV à 2 ris + génois à moitié enroulé, histoire d’épargner le gréement car la mer, elle, ne s’est point calmée pendant c’temps là ! La visibilité se réduit, j’ai hâte d’être au large. 18h00 : JOUR 4. 26°37 sud, 15°08 est ; 115 milles parcourus. Il nous reste 230 milles à parcourir jusqu’à Walvis Bay. 21h30 : enfin ! Nous sommes cueillis par un bon 20-25 nœuds de sud. Voiles en ciseaux ; nous filons plein pot sur la bonne route, parallèle à la côte, où désormais tout danger terrestre est écarté. Cap au 350°. Lors de la manœuvre de tangonnage au poste avant : je me suis fait doucher des épaules aux orteils par une déferlante arrivée d’on ne sait où, et oui : y’a des jours comme ça ! Dépité et frigorifié le capitaine, l’eau de mer étant à environ 12 ou 13 degrés, et la température extérieure ne doit sûrement pas dépasser les 15 degrés en ressenti. Glagla… J’hésite même à démarrer le moteur histoire d’avoir le chauffage central à bord !!! Une fois séché, changé et un peu calmé : il me sera impossible de me réchauffer malgré les couches successives de pantalons, tee-shirt, sweat, chaussette de ski etc… Mon ultime arme secrète contre le froid : Trinquette se positionne tout près de moi, au contact sous la couette, afin de me servir de bouillote. On se réchauffe mutuellement et tout le monde y trouve son compte ! Et tant pis pour la chasse nocturne aux poissons volants ! A minuit : je dois affaler la GV faute de vent qui nous a abandonné, alors que une heure plus tôt ; nous filions encore à la vitesse de 7 nœuds ! Principe du tout ou rien = quand tu nous tiens ! 1h30 : mon attention est attirée par une scène de la vie marine nocturne juste extraordinaire, laquelle se déroule en ce moment juste sous mes yeux émerveillés. Dauphins et otaries sont là à jouer et se chamailler avec plus ou moins d’excitation autour de Free Spirit. La mer est relativement calme est surtout gorgée de planctons phosphorescents. Je ne serai pas surpris de voir surgir une baleine au milieu de tout ce tohu-bohu. Toujours est-il que le sillage incandescent tracé par tout ce petit monde forme un quadrillage de lumière anarchique et éphémère, presque magique. Dame Nature se surpasse encore une fois. Du haut du mât : cela pourrait ressembler à des dizaines de descentes au flambeau que l’on peut admirer du sommet des montagnes enneigées les soirs de Noël ou réveillon du nouvel an à Courchevel. Vous croyez que la montagne me manque ? Non… Mardi 4 : 6h00 : la terre à l’est sur notre tribord semble se noyer dans un brouillard gris et épais. Le vent de sud s’excite au réveil ; j’en profite pour hisser le GV et relancer la machine de bon matin, allure de plein vent arrière. Par acquit de conscience ; les 2 ris restent en place. La mer est quant à elle bien plus calme qu’hier, tandis que la houle de sud sud-ouest persiste encore à 2 mètres environ. Le ciel est dégagé en tête de mât, et fort nuageux à l’ouest. 10h00 : de nouveau du vent trop faible pour tenir la GV bien gonflée en dépit du beau temps qui s’installe ; je dois de nouveau l’affaler. Et zut alors ! 18h00 : JOUR 5. 25°42 sud, 14°28 est ; 70 milles parcourus. Il nous reste 175 milles à parcourir jusqu’à Walvis Bay. 18h30 : la brise reprend un peu de vigueur tandis que le soleil entame doucement mais sûrement sa descente vers l’horizon occidental. Je relance la GV à 2 ris. Mercredi 5 : 7h00 : une nuit de rêve comme il en existe pour ainsi dire jamais en mer (enfin je parle de mon expérience personnelle) ! Voûte céleste parfaitement claire et dégagée, vent portant de 10-12 nœuds, mer belle à peu agitée sur petite houle longue de sud, Loulou à peine sollicité ; il ne gère pas la gouverne : il maintient la barre droite ! J’ai quand même du me lever vers 2 heures du matin afin d’éviter un cargo qui descendait vers le sud. Je pouvais distinctement entendre le bruit de son moteur et surtout sentir l’odeur épouvantable de la cheminée de sortie des gaz d’échappement. Beurk ! 9h00 : le vent forcit un chouia, enfin en mode 4 beauforts quoi ! Pas de quoi fouetter Trinquette. Toujours du très grand beau temps. L’eau de mer est de la couleur du thé à la menthe, version so british : avec une pointe de lait ! Pas très glamour comme teinte… 18h00 : JOUR 6. 24°09 sud, 14°09 est ; 96 milles parcourus. Il nous reste 80 milles à parcourir jusqu’à Walvis Bay. Encore une journée exceptionnellement radieuse. C’est avec enthousiasme et patiente que je vous décris de telles conditions (ben oui ; il aura fallu plus de 3 ans de voyage à travers 3 océans, près de 30 000 milles parcourus pour connaître pareille navigation). Pas de mouvements brusques, de claquements de voiles, de déferlantes violentes et intempestives, de départ au lof… que du soleil et du plaisir. Mon seul et unique combat demeure le froid auquel je ne suis décidément plus du tout habitué. Quant à mon équipière à poils laineux ; ce n’est pas elle qui dira le contraire ; farniente en plein soleil à l’abri des courants d’air en journée (enfin aux heures où ça chauffe vraiment, c’est-à-dire entre midi et 15 heures), la bouffe à tous moments, et le reste du temps : c’est dodo sous la couette en mode igloo, comme les pingouins ! Remarquez ; ce n’est pas loin de ressembler à mon programme, à quelques lectures près et autres activités typiquement humaines (nos heures de repas sont bien plus structurées par exemple…). 3h00 : vent venant du plein sud, 15 à 20 nœuds. Empannage obligatoire, toujours en mode ciseaux, mais tribord amure. Nouveau cap au 20°, directement sur le phare noir et blanc à rayures érigé à l’extrémité de la péninsule de Walvis Bay, sur Pelican Point exactement. Il reste 30 milles jusqu’à cette pointe, et encore 6 milles en direction du sud sud-est afin de rallier le mouillage du Yacht Club de Walvis Bay. La visibilité est très moyenne et le taux d’humidité plafonne à 92%. L’eau en suspension est parfaitement identifiable à travers le faisceau de ma lampe frontale. Et elle mouille !!! Ce brouillard tant redouté par tous les marins transitant de par cette zone a fini par nous happer façon Golden Gate dans le célèbre smog de San-Francisco. Jeudi 6 : 6h00 : le vent a chuté à 5-8 nœuds. Il est très instable dans sa direction, balayant du sud-est au sud-ouest. La mer est peu agitée avec toujours une houle de sud de 2 mètres environ. Il fait gris, humide et froid. C’est l’heure de l’addition ; le prix à payer pour ces dernières 48 heures exceptionnellement rares et proches de la perfection, passées les doigts de pieds en éventail à se délecter d’un tel délice climatique. Les voiles se gonflent et se dégonflent au rythme des ondulations océaniques. Les manœuvres d’empannage, détangonnage etc… s’enchaînent jusqu’à ce que je résolve le problème simplement mais radicalement : en gardant tout le génois tangonné sur tribord et surtout en affalant la GV ! De toute façon ; avec ou sans elle, notre vitesse ne dépasse guère les 2,5 nœuds. Autant l’épargner. Midi : comme surgie de nulle part : la côte se dessine enfin à travers le brouillard namibien dû à la différence de température entre la mer (le courant du Benguela rapporte de l’Antarctique une eau à 11 degrés) et la masse de terre très chaude du désert de Namibie. Le phare de Pelican Point sort de sa cachette climatique, les dunes de sable jaune façon côte landaise apparaissent dans notre est. Elles n’ont pas l’air très sympathiques du tout ces quelques milliers, que dis-je, millions de méduses transparentes pour les petites, et de couleur rose et pourpre de la taille d’une raquette de tennis pour les plus imposantes. A 3 milles de la pointe ; le vent commence à forcir doucement. Pas de quoi s’alarmer. Sur la langue se sable de plus de 6 milles de long, laquelle ferme la lagune de Walvis Bay à l’ouest et s’étendant du sud à la pointe nord du Pélican, des colonies entières d’otaries se délectent d’une certaine tranquillité. Mais pas un seul pélican en vue ??? En revanche, nous sommes survolés par une flopée de flamands roses, suivi par autant de cormorans, en formation serrée comme on leur a appris à l’armée de l’air. Les hautes dunes de sable s’étalent à perte de vue dans l’ouest. Visuellement ; le port autonome, ses bateaux à quai et ses grues immenses pointées vers le ciel encombré ne passent pas inaperçus, la plate forme pétrolière ancrée juste à l’entrée de la baie non plus soit dit en passant. 18h00 : JOUR 7. 22°53 sud, 14°25 est ; 78 milles parcourus. Il nous reste 13 milles à parcourir au louvoyage afin d’atteindre le mouillage du Yacht Club de Walvis Bay. Il reste du bout de la pointe jusqu’au mouillage du Yacht Club, environ 6 milles en ligne droite. Mais nous devrons tirer des bords… dans la baston ! Et oui : Comme à Luderitz, la lagune se voit gratifiée d’un vent frais de sud à 30 nœuds établis, avec des rafales à 35. GV à 2 ris jumelée à la trinquette que j’ai dû ressortir exprès pour l’occasion : c’est parti pour une bonne partie de louvoyage dans du méchant clapot, au milieu des cargos et autres bateaux de pêche ancrés au sein de cette vaste zone d’attente, sans oublier les parcs à poissons, parfaitement mal signalés le jour, et carrément pas éclairés la nuit (j’en ai évité 3 ou 4 de justesse une fois le crépuscule passé). Car bien évidemment avec tout ça : nous arrivons de nuit, et tout à la voile, à l’ancienne ! A 21 heures exactement, l’ancre glisse de son davier par 4 mètres de fond de sable. Position 22°57.3 de latitude sud, et 14°28.9 de longitude est. A peine une heure plus tard ; tout devient calme, beaucoup plus calme ! Le vent fini même par tomber totalement un peu avant minuit. Résumé de la traversée. Free Spirit a parcouru 720 milles en 7 jours et 3 heures, à la vitesse moyenne de 4,2 nœuds pour 101 milles quotidiens. 3 coups de vent avec des vents supérieurs à 35 nœuds, dont un en arrivant au cœur de la lagune de Luderitz avec des vents atteignant 50 nœuds. Pas de moteur du tout ! 6 heures de barre pour Free Spirit, aux allures de près au départ de Saldanha ainsi qu’à l’arrivée à Walvis Bay. 18 heures pour le capitaine, et toujours le grand vainqueur ; j’ai nommé Loulou, avec 147 heures. Et encore beaucoup d’Albatros, d’otaries, dauphins, fou-de-bassan, mais pas de baleine ! Je retrouve le voilier Dana (un couple de Danois), que j’avais aperçu une première fois à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, puis à Saint-Pierre à La Réunion, ainsi qu’à Knysna, sans jamais avoir pris contact. Mais grâce à mon ami Suédois Andy sur Tina, rencontré pour la première fois aux Cocos Keeling Islands, ce sera chose faite ! Je ferai la connaissance 3 jours plus tard de Malou et Dominique sur Catafjord, un couple de français qui voyage depuis 7 ans sur un catamaran de 20 mètres. Nous avons beaucoup de copains de bateaux en commun, et les conversations à base de souvenirs divers et variés sont longues et passionnantes, comme toujours entre gens du voyage ! Grâce à ce gentil couple, tous 2 passionnés par la mer, la course au large, la famille, le voyage au long cours et la littérature ; je vais pouvoir me refaire une santé intellectuelle ; ma bibliothèque en avait bien besoin ! Merci les Zamis… Côté vie pratique : le mouillage ne manque pas d’animation : otaries bien sûr, mais aussi et là se trouve la nouveauté : les pélicans et leur vol particulier façon Airbus A380, ainsi que les flamands roses, leur vol étant plutôt proche du Concorde ! Le dépaysement est garanti, même pour les dizaines de touristes qui partent en balade chaque matin à bord des bateaux daycharters, sur lesquels les pélicans et otaries atterrissent et grimpent carrément sur le pont. Les photos fusent de toute part, sans omettre la photo « star » du trip ; à savoir le chat noir et blanc qui vit sur un voilier de passage gris avec écrit Free Spirit sur la poupe ! Et oui : ça c’est du folklore local !!! Trinquette en sera quitte pour avoir vécu la peur de sa vie au cours d’une de ces petites ballades dans l’annexe et durant laquelle est va se faire surprendre par une otarie un peu trop curieuse qui va surgir de nulle part, presque à vouloir carrément embarquer à bord. J’ai mis un bon quart d’heure avant de lui faire reprendre son calme, et après lui avoir fait 2 minutes de bouche-à-bouche afin de lui faire reprendre ses esprits ! Quelle rigolade… enfin surtout pour moi ! Le dollar namibien est égal au rand sud-african (d’ailleurs la monnaie sud-africaine est acceptée dans tous les magasins), et le coût de la vie est très semblable. On trouve de tout dans cette grande ville toute plate située entre mer et désert. Sauf les yaourts ! Quant au pain : il faut se contenter de ce qu’il y a ; c’est-à-dire le minimum… Il existe aussi, ça c’est du jamais vu : un magasin qui ne vend que de l’eau ! En bouteille, en bidon, et même en cubitainer ! Côté visite du pays : tout dépend du temps et du budget de chacun. Le pays est très vaste et il faut donc choisir sa formule. Evidemment : je n’aurai pas le temps d’aller me promener au cœur des tribus du nord qui évoluent encore dans les méandres d’un autre siècle. La tribu Imba étant la plus célèbre. Le minimum est la sortie à la journée (déjeuner compris) en Land-Rover 4X4 qui comprend une visite à Pelican Point en empruntant la route des marais salants (enfin « route » : c’est un bien grand mot ! 99,9 % du trajet de la journée se fera sur du sable, à chevaucher les dunes, ou bien à longer la mer jusqu’à pouvoir sentir les embruns sur nos visages ! Ramon : notre chauffeur qui se la joue pilote du Paris-Dakar, s’en donne à cœur joie et les sensations fortes ne manqueront pas au fil des heures, et ce n’est pas Malou et Dominique qui diront le contraire. Sur le chemin du retour : nous assistons ensemble à un phénomène très curieux bien connu des voyageurs habitué aux immenses étendues désertiques ; à savoir le mirage ! Etrange voire mystique ! De l’eau droit devant, on dirait un miroir mon beau miroir ! … ah ben non ! Le sol sablonneux se dévoile au fur et à mesure de la progression à vive allure de notre Land. Au cours de cette virée découverte, nous aurons la chance de pouvoir observer dans leur milieu naturel : des otaries, des chacals, des springboks (espèces d’antilopes), des flamands roses, des pélicans, plus beaucoup d’autres sortes d’oiseaux… Amazing day comme disent mes amis anglo-saxons ! C’est ici, à Walvis Bay que le SailRocket (engin très space full carbone, propulsé par une aile rigide) a littéralement explosé le record du monde de vitesse sur 500 mètres en enregistrant un run à 65 nœuds de moyenne. Les Kitesurfeurs spécialistes de la discipline sont à 10 nœuds en deçà ! Snif… Walvis Bay – Sainte-Hélène = 1 230 milles. Sainte-Hélène – Kourou = 3 070 milles. Kourou – Trinidad = 670 milles.

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