Traversée de Jamestown (île de Sainte-Hélène) vers Kourou (Guyane Française).

Dimanche 2 mars 2014 : Sainte-Hélène ; une île à vocation volcanique qui ressemble aux îles du Cap Vert ! 4 jours d’escale, et vient le départ pour la deuxième partie de cette longue traversée de l’Atlantique, toujours en direction de l’ouest nord-ouest, et qui verra le passage de l’Equateur, ou latitude zéro, pour la seconde fois du voyage, avec au bout comme objectif les Caraïbes, via la Guyane française !!! Nous avons donc 3 090 milles à parcourir dans le 310° avec des vents portants certes, mais relativement faibles en principe. A 100 milles par jour ; ça fait grosso modo un mois ! J’espère tout de même arriver avant le 31 mars, le 28 serait le top du top ; et assurément un beau cadeau d’anniversaire pour Maman-chérie. Cette navigation sera la treizième grande traversée océanique du voyage de Free Spirit, elle est également la plus longue (enfin elle est égale à quelques milles près à celle qui relie les îles Galapagos aux îles Marquises dans l’Océan Pacifique). La différence fondamentale par rapport à cette dernière ; c’est qu’elle peut-être entrecoupée d’escales. Notamment l’île de Fernando de Noronha, laquelle se positionne exactement sur notre route entre l’île de Sainte-Hélène (à 1 745 milles de cette-ci) et Kourou. Ce petit bout de territoire insulaire appartient au Brésil, il est situé au plus proche de la côte à 200 milles dans le nord-est de la ville de Natal, et à 300 milles de la ville de Récife. Côté avitaillement : j’ai connu mieux. Pas d’orange ni de pomme (heureusement qu’il m’en reste encore de Walvis Bay). En fait ; concernant les fruits ; je n’ai pu me procurer que des bananes (jaunes et vertes). Du côté des légumes ; pas de choux, mais quelques tomates, concombres et carottes. Pas de Yaourt, de viande, ni de jambon. Stock de pain, de conserves et d’eau douce = OK ! J’avais prévu d’appareiller en milieu de journée… et puis vous savez ce que c’est : une grasse matinée, un petit déjeuner ambiance no stress, enregistrer les nouvelles cartes sur le GPS Garmin, écrire un bout du journal de bord, ranger et nettoyer Free Spirit, faire sécher le linge propre d’hier soir (la pluie intermittente n’arrange pas trop les choses), bâcher l’annexe sur le roof, gratter la carène en plongée (ça s’est top lorsque l’eau est aussi tiède que translucide). Un déjeuner en mode petite vitesse grande lenteur. Une petite sieste le temps de laisser passer les grains qui s’enchaînent, accompagnés de pluie drue et de risées catabatiques à 40 nœuds. Le bateau voisin qui vient d’arriver demande quelques renseignements sur le mode d’emploi de ce petit territoire couronné par les anglo-saxons (des Néo-zélandais sur un magnifique 50 ou 55 pieds en aluminium typé course-croisière et signé Farr, je crois que le bateau s’appelle Kiwi Spirit). J’aperçois 4 hydro-générateurs nouvelle génération fixés sur sa jupe. Houahou, il doit avoir de sacrés besoins en énergie à 40 ampères par appareil (le coût global de ces 4 Hydro-générateurs de marque Watts&Sea représente à quelques deniers près le budget total de la circumnavigation en 3 ans et 9 mois de Free Spirit !). Bref, profitant d’une accalmie pluviométrique et partant du principe qu’il est tout de même temps de faire nos adieux à cette brave et Sainte Hélène ; tout ceci nous amène donc à larguer le corps-mort à 18h00 pétante ! Car avant l’heure c’est pas l’heure. Après l’heure c’est plus l’heure ! 5 minutes de moteur seront nécessaire afin de nous dégager en toute sécurité de la zone de vents forts et surtout très instables générés par les hautes falaises de près de 200 mètres d’altitude qui surplombent le mouillage. Puis le génois se voit tangonné et déroulé sur bâbord, la trinquette hissée et également tangonnée sur tribord, tandis que la GV prend du repos à l’abri de son lazy-bag, le dérive était déjà relevée, elle le restera. Nous sommes encerclés par les grains, et j’aime moyennement cet état de fait. Le vent de sud-est souffle à 10-15 nœuds. La houle de sud-ouest de 2 mètres environ nous fait danser la Samba. Cap au 310°, presque plein vent arrière. De connivence avec le crépuscule : le vent chute à 8-10 nœuds. Avec la houle qui nous prend par le travers bâbord ; c’est parti pour la grande valse de Vienne… que deviennent donc les Alizés d’antan… Ils reviendront nous bercer vers 23 heures pour notre plus grand bonheur nocturne. Je ne ressens pas le besoin de gréer le lit de camp ; c’est plutôt bon signe quant à l’état global de notre terrain de jeu des quelques 3 ou 4 prochaines semaines. J’y suis bien dans ma cabine avant, avec vue imprenable sur la girouette ainsi que mes 2 voiles d’avant. Lundi 3 mars : 7h30 : ça glisse ! Une nuit tranquille et sans surprise. Loulou assure à la barre et le soleil donne de bon matin. Au thermomètre : ambiance tropicale ! Au baromètre : pas ou peu d’évolution, quant au taux d’humidité : 90%. Le vent souffle de secteur sud-est à 18-20 nœuds. La mer est agitée, quelques mousses naissent ça et là, la houle de sud s’estompe peu à peu. Tout cela sous un beau ciel d’Alizé classique. En résumé : c’est cool. 10h00 : le contraste est remarquablement bluffant ; les grains et leur rideau de pluie défilent sur notre tribord tandis qu’à bâbord : le ciel d’Alizé prédomine. Et Free Spirit de tailler sa route entre les deux climats bien distincts, sans soleil certes, mais au sec ! Jusqu’à ce que… alerté par Trinquette qui ne se toilette plus que derrière l’oreille exclusivement tellement la pluie va tomber en abondance. A 12h40 : le big, l’énorme, le grain en chef finisse par nous happer et nous arroser copieusement, avec toutefois des rafales ne dépassant pas les 25 nœuds, et plus embêtant, des molles à 10 nœuds, des changements de direction du vent allant jusqu’à 40 degrés, ainsi qu’une mer croisée épouvantable. Il va pleuvoir de midi à 18 heures quasiment en continu. Pour qu’enfin vers 21 heures ; nous puissions apercevoir quelques étoiles briller au firmament d’un ciel plus clément. 18h00 : JOUR 1. 15°19 de latitude sud, 07°37 de longitude ouest. 116 milles parcourus ces premières 24 heures. Il nous reste 2 946 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 1 628 milles jusqu’à l’île de Fernando de Noronha. 23h00 : l’apocalypse reprend les rennes du climat ; le grain se pointe, le vent forcit à 25, puis 30 nœuds tout en tournant au secteur est. Le signal viendra de la trinquette qui s’est mise intempestivement à contre. Je dois sortir, enrouler le génois, enregistrer le nouveau cap au compas de Loulou (- 40 degrés, cap plein ouest), me sécher et me mettre à l’abri. Puis ressortir 10 à 20 minutes plus tard afin de relancer du génois et recaler Loulou au cap 310°, notre route initiale, Free Spirit naviguant au plus proche possible du vent arrière. Et dire que certains pensent ce trajet est parmi les plus agréables de la circumnavigation ! Mardi 4 : 7h30 : météo exécrable ! Pluie, vent à 25-30 nœuds basculant du secteur sud-est au plein est. Les grains s’enchaînent et se déchaînent. La mer est très agitée avec des creux de 2,5 à 3 mètres. Côté moral : moyen bof ! Si ça part en sucette comme c’est le cas actuellement ; qu’est-ce que nous réserve l’approche de l’Equateur et sa fameuse ZCI, Zone de Convergence Intertropicale. Toute la matinée ; ce sera une succession sans fin de grains, où le soleil n’arrivera guère à se frayer un chemin à travers tout ce chaos. C’est pourtant pas faute de persévérance, parfois j’y crois… en vain ! 13h00 : la masse d’air semble enfin vouloir s’assécher par l’est. Le vent se stabilise à 20 nœuds, pour à nouveau forcir à 25 nœuds en début d’après-midi. La mer se met à déferler. En milieu d’après-midi, par 09°37 de longitude ouest ; nous débordons le méridien qui positionne la ville marocaine d’Agadir, située à 2 700 milles dans notre nord (ce n’est pas si long que ça quand on y pense). Et pourquoi une telle précision me direz-vous ? Parce que Agadir et la ville natale de Trinquette. Et c’est donc justement à partir de là que son propre voyage a commencé, en date du 28 octobre 2010. 18h00 : JOUR 2. 14°36 sud, 09°41 ouest ; 130 milles parcourus. Il nous reste 2 818 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 1 500 milles jusqu’à Fernando de Noronha. Une journée qui se termine comme elle a commencé ; dans la tourmente et l’humidité. 2 heures sous la pluie battante, agrémenté de vent fort d’est en alternance avec de la pétole. Je laisse filer barre amarrée au vent de travers sous un bout de génois seul en attendant que tout ça se débine. Le cap est bon, par contre nous perdons 3 à 4 nœuds de vitesse au cours de cette bataille perdue d’avance. Retour à une certaine normalité vers 20 heures, l’heure du dîner au chaud et au sec ; des petits bonheurs simples. 23h00 : rebelotte ! La pluie et la pétole s’installe à nouveau durant 2 bonnes heures (et ce qui est perdu… est perdu pour de bon !). Le roulis devient d’une rare violence. Je n’arrive pas à trouver le sommeil, peut-être parce que tout ce manège me commence sérieusement à me saouler. 1h30 : on repart comme si de rien n’était. Mercredi 5 : 7h30 : le vent est sud-est plus ou moins régulier, non plus en direction, mais en vigueur (soufflant de 10 à 25 nœuds en rafales), en fonction des couleurs du ciel. Les grains continuent leur petit train-train quotidien. Heureusement ; dès que l’astre solaire fait son apparition : il sèche tout en 10 minutes ! La mer est agitée, toutefois bien ordonnée. Les flux s’écoulent tous dans le même sens (houle, mer d’Alizés, faible courant de Benguela), c’est-à-dire du sud-est en direction du nord-ouest. Du petit lait pour Loulou, très peu sollicité dans de telles conditions. La mer, mon jardin, mon royaume, mon joyau bleu comme un Saphir, où naissent et scintillent mille et un éclats de diamants sous l’influence du soleil des tropiques. L’or du monde s’étale sous mes yeux toujours aussi émerveillés. 18h00 : JOUR 3. 13°56 sud, 11°24 ouest ; 108 milles parcourus. La faute aux grains qui nous plombent méchamment notre moyenne pourtant bien engagée. Il nous reste 2 711 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 1 385 milles jusqu’à Fernando de Noronha. 22h30 : j’ai beau scruté le ciel à la recherche de la moindre de trace de nuage… rien ! C’est extraordinaire ; une voûte céleste parfaitement dégagée et à fortiori étoilée comme je n’en avais pas vu depuis bien des milles. A 2 heures du matin ; la bascule de la brise à l’est sud-est m’oblige à changer de bord et donc nécessite une manœuvre d’empannage. La trinquette est hissée sur bâbord et le génois tangonné sur tribord ; notre nouvel amure, allure de très grand largue. Je ne crois pas me tromper en identifiant dans notre nord le retour de la Grande Ours ; les 4 étoiles qui forment la casserole plus 3 autres qui partent vers la droite en mimant la queue de celle-ci. Tel un duel stellaire ; la Croix du Sud lui fait face ; celle-là disparaîtra bientôt au fur et à mesure de notre progression vers le nord. Jeudi 6 : 7h30 : du bleu, du bleu, et encore du bleu ; ma couleur préférée ! Une certaine émotion que je n’arrive à contenir en arrive à me faire monter les larmes aux yeux tellement je ne m’y attendais plus. Enchaîner une si belle nuit avec une si belle matinée. Quelle surprise ! Par rapport à ces 72 dernières heures ; c’est le jour et la nuit ! Beau temps, belle mer. Quelques nuages d’Alizés se déplacent placidement au sein d’un flux d’est sud-est de 14 à 18 nœuds. A 9h30 : les batteries affichent « full de chez full ». 18h00 : JOUR 4. 13°15 de latitude sud, 13°15 de longitude ouest ; 118 milles parcourus. Il nous reste 2 594 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 1 269 milles jusqu’à Fernando de Noronha. Vous avez remarqué ? La coïncidence du point GPS d’aujourd’hui ? Ce n’est pas fait exprès je peux vous l’assurer. Les mêmes données concernant la latitude et la longitude, le même parallèle croisé avec le même méridien. C’est une première dans l’histoire notre journal de bord. Une journée digne d’un conte de fée ! Je l’aime bien cet Océan Atlantique sud. Il faut quand même en avoir soupé et parcouru une pelletée de milles nautiques pour enfin décrocher cette récompense. Les véritables Alizés bonheurs existent donc vraiment, il faut juste être patient… et persévérant ! Car j’ai cru comprendre que bon nombre de bateaux sont quelque peu freinés à l’idée de passer le Cap de Bonne Espérance, voire même pour certains de tout simplement pénétrer dans l’Océan Indien. Ceux-là préfèrent s’installer en Nouvelle-Calédonie où le travail ne manque pas et où il fait bon vivre, ou en Indonésie, Mélanésie, Thaïlande, ou même carrément arrêter là le voyage en commençant par vendre leur monture ! Solution radicale pour stopper net le voyage… en mer du moins ! Vendredi 7 : 8h00 : RAS. Le beau temps d’Alizés se maintient. La mer est un peu plus agitée qu’hier, alors que paradoxalement ; le vent d’est sud-est ne souffle qu’à 10-15 nœuds aujourd’hui, pas plus… pas moins. A 9 heures, par 14°25 de longitude ouest ; nous débordons le méridien qui positionne l’île de l’Ascension, située à 240 milles dans notre nord. Ce petit bout de terre est une escale idéale pour les voiliers désireux de shunter les Caraïbes afin de rallier directement et plus rapidement l’Europe via les îles du Cap Vert, les îles Canaries puis les Açores. L’Equateur est donc coupé quasiment à la perpendiculaire, ainsi que la ZCI. Ensuite ; il faut être psychologiquement prêt à affronter les Alizés de nord-est au près. Non merci ; très peu pour moi, surtout sur une aussi longue distance. Ce matin, au petit déjeuner, j’ai déballé le pain de mie non tranché acheté à Sainte-Hélène vendredi dernier et dont j’avais pris la précaution de l’emballer dans du papier journal. Le résultat me surprend agréablement car je m’attendais à bien pire que cela. Quelques moisissures sont à déplorer sur la croûte, mais à l’intérieur ; il est nickel ! Je devrais donc avoir du pain encore jusqu’à mercredi. Le thermomètre vient de dépasser la barre symbolique des 30 degrés à l’intérieur. Une température que nous n’avions plus attente depuis notre traversée de l’île de La Réunion vers l’Afrique du Sud. 12h00 : un temps de Demoiselle semble vouloir nous faire la cour. Le vent faiblit peu à peu, pour ne plus dépasser 12 nœuds. Le génois léger a beau avoir pris la place de la trinquette : rien n’y fait ; nous ralentissons inéluctablement notre allure. Ca risque d’être difficile de maintenir les 5 nœuds de moyenne dans ces conditions. Mais attention : je ne me plains pas bien au contraire, car même s’il nous ventile fébrilement ; il nous fait quand même avancer, sans peine et surtout dans des conditions de vie à bord quasi optimales. 18h00 : JOUR 5. 12°27 sud, 14°57 ouest ; 111 milles parcourus. Il nous reste 2 485 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 1 159 milles jusqu’à Fernando de Noronha. Nuit tranquille. Décidément, si mes traversées eussent été toutes à l’image de celle-ci ; mon journal de bord aurait été des plus monotones ! Samedi 8 : 8h00 : j’attendais ta venue tel le condamné qui sent venir le couperet du bourreau. Changement de décor ; le climat contre-attaque ! Le retour du temps à grains est confirmé. Finis les vacances. La bataille contre le temps reprend. Aux armes chevaliers ! Ne pas s’affole non plus… Mais dommage quand même : le week-end risque d’être gâché. Bref… la pluie tombe par intermittence. Du côté du vent ; il opère des bascules de plus de 40 degrés des 2 côtés ; tantôt à l’est, tantôt au sud, en seulement 20 minutes d’intervalle. Et autant de changement de cap. A 10h00 : le vent semble durablement vouloir viré au secteur sud sud-est. Troisième empannage ces 12 dernières heures. Voiles en ciseaux, bâbord amure, cap au 315°. La mer est devenue agitée, croisée et très indisciplinée. C’est ainsi qu’à 13 heures ; sans que rien ne laisse présager un truc pareil : après s’être faufilé entre 2 grains et tandis que le vent nous poussait vaillamment à plus de 9 nœuds de vitesse au surf durant une petite heure, le vent va complètement tombé, ne me laissant d’autre choix que d’affaler les voiles qui ne tiennent plus en place alors qu’en tête de mât ; la girouette s’excite dans tous les sens au gré des mouvements saccadés de la mer indomptable. 3 heures à la dérive. 16h00 : nous repartons à la faveur d’une gentille brise alizéenne d’environ 10-15 nœuds. Chouette alors ! 3 heures de perdues ; ça passe encore, et puis nous avons tout de même bien marché jusqu’à maintenant, et sommes même au dessus de mes espérances ; comptant sur 100 milles quotidiens, nous sommes bénéficiaires ! Certes, mais il y a encore de l’eau à courir… et beaucoup de milles aussi ! Oh un voilier ! Non je plaisante, il n’y a pas âme qui vive par ici. Nous sommes absolument seuls au monde ! Mes concurrents du Saint-Hélène Globe Challenge sont de plus de sérieux prétendants au titre ; catamaran de 20 mètres de long gréé en ketch (Catafjord), catamaran Lagoon 42 (Ushuaïa), Dufour 50 (E-One), un superbe plan Farr de 55 pieds environ (Kiwi Spirit), un ketch de 14 mètres (Dana), Bavaria 42 (Flow) etc… et Free Spirit : le « petit » de la bande, mais assurément le plus vaillant ! 18h00 : JOUR 6. 11°39 sud, 16°24 ouest ; 98 milles parcourus. Il nous reste 2 388 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 1 062 milles jusqu’à Fernando de Noronha. Le coucher de soleil me laisse coi ! Pourquoi ? Parce que les formes des nuages posés sur l’horizon rappellent aisément la silhouette de quelques îles montagneuses. Ombres projetées de couleur gris/noir sur fond orange/rouge. Ces îles du pays imaginaire que je n’atteindrai jamais. Dommage, j’aurai bien fait un petit crochet ! Dimanche 9 : 7h00 : vent d’est sud-est 10-15 nœuds, synonyme d’empannage, un de plus, un de moins ! Mer agitée, ciel couvert. Taux d’humidité à 81%, temps chaud et sec. 7h15 : Vous connaissez mon addiction pour les chiffres (celle-ci parmi tant d’autres !!!). Mais alors… que ce passe-t-il de si bon matin de si important ??? 52 milles ont été couverts depuis notre dernier point position de 18 heures hier, et c’est exactement la distance au mille près qui nous manquer afin de fêter un anniversaire très spécial par 11°25 de latitude sud et 17°14 de longitude ouest : les 30 000 milles du Voyage de Free Spirit. 3 fois 10 000 ! Presque une fois et demie la circonférence de la Terre. Bravo à tout l’équipage et surtout un très grand merci au véritable héro ; vous l’avez devinez ; Free Spirit-le seul-l’unique ! 10h00 : la longue houle de sud sud-ouest fait son grand come-back, à hauteur de 1,5 à 2 mètres. Elle nous rend la vie à bord bien plus inconfortable que nécessaire si l’on peut dire. Surtout que, et c’est là que la bât blesse ; le vent mollit à 8-109 nœuds, tandis que le ciel s’est progressivement entièrement dégagé. 18h00 : JOUR 7. 11°08 sud, 17°51 ouest ; 92 milles parcourus. Il nous reste 2 297 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et seulement 970 milles jusqu’à Fernando de Noronha. Une semaine s’est déjà écoulée et Free Spirit a parcouru 773 milles à 4,5 nœuds de moyenne, soit une distance quotidienne de 110 milles. Nous sommes, pour l’instant au dessus de mes espérances. Croisons les doigts pour que ça dure. Est-ce que cette deuxième semaine commence bien ? Elle débute avec du très beau temps certes, mais au cœur d’une zone ou l’Alizé souffle faiblement et où nous nous déplaçons en mode petite vitesse grande lenteur. De plus : nous naviguons tellement dans l’axe du vent que très souvent je ne sais quel amure choisir afin d’optimiser notre cap/vitesse. Mais vent faible + plein de l’arrière = y’a rien à faire ! Il n’est pas possible de jouer sur le vent apparent puisque le vent vitesse vient exactement se soustraire au vent réel, sans compter que lorsque la houle vous fait danser la salsa ; il faut en priorité préserver le gréement. Bref, 3 empannages par jour correspondent à mon exercice quotidien, en plus de ma petite séance de yoga que je m’autorise au cours de l’heure qui précède le coucher de soleil, alors que j’assure mon dernier quart de la journée à la barre. C’est bon pour les connexions entre les neurones et les synapses de faire deux choses en même temps. Concentration, respiration, admiration, contemplation ! Lundi 10 : 8h00 : toujours du vent faible de secteur sud sud-est. Du courant favorable ? Oui, peut-être, mais je n’en suis pas convaincu au regard des chiffres. Normalement ; ce devrait être le cas, mais très faible alors, de l’ordre d’un quart de nœud et encore. Et puis vous savez ; avec tous ces dérèglements climatiques, les océans et leurs courants respectifs ne sont pas épargnés, bien au contraire. Le ciel est nuageux, quant à la mer : elle est agitée, voire même croisée avec un certain nombre de diverses houles résiduelles telles que la houle de sud sud-ouest dont l’origine provient des dépressions se déplaçant d’ouest en est vers les 40èmes de latitude sud, la houle de nord qui commence à nous atteindre alors que nous nous situons encore par 10 degrés de latitude sud (c’est la petite nouveauté du jour !) et dont l’origine prend sa source au sein des dépressions se déplaçant toujours d’ouest en est au même latitude, mais dans l’hémisphère nord évidemment, et enfin la houle générée par la constance des Alizés de sud-est qui sévices sans relâche dans cette zone de l’Atlantique sud. 15h00 : il semblerait que l’Alizé daigne bien reprendre un peu de vigueur. Mais vous êtes le bienvenu cher Eole ! Soufflez, soufflez tant que vous pouvez, nos voiles prendrons avec joie et véhémence tout ce qu’il y aura à prendre. A cœur vaillant !!! J’en profite par conséquent pour établir le génois léger à la place de la trinquette sur tribord (équivalent en surface de toile à un petit génaker). Réglage en mode booster ; c’est-à-dire génois et génois léger se faisant face, chacun son bord, chacun son tangon. 18h00 : JOUR 8. 10°31 sud, 19°04 ouest ; 82 milles parcourus (fatal pour la moyenne !). Il nous reste 2 216 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 890 milles jusqu’à Fernando de Noronha. Mardi 11 : Bienvenu sur Free Spirit Transatlantique à bord duquel vous naviguez comme sur des rails ! Bon cap, bon équilibre de barre, bonne allure. Il faut croire que vous avez misé sur la bonne compagnie. Le capitaine ainsi que son équipage vous remercie de l’avoir choisi. Bon vent et bon voyage à toutes et tous ! Lever du soleil = 7h25. Toujours du grand beau temps, passé, présent, et j’espère à venir ! Mer agitée et houles croisées complètent le décor marin. Vent de sud-est avec une petite pointe d’est de 10-15 nœuds. Depuis minuit environ ; nous sommes plus proches de Fernando de Noronha que de Sainte-Hélène de Napoléonia. Ca fait plaisir ! 15h00 : dépité ; je constate une nouvelle fois la baisse sensible de l’Alizé qui faiblit à 8-12 nœuds. Impossible dans ces conditions de garder le génois léger qui ne se gonfle plus que par intermittence au rythme bien rôdé du roulis trop saccadé. Je dois donc le remplacer par la trinquette, beaucoup plus petite en surface, plus légère et donc plus douce avec le gréement. C’est ça qu’il faudrait dans du petit temps : des voiles rigides, qui ne pourraient faseyer, déventer, se gonfler et se dégonfler intempestivement. Côté pratique ; il faut avouer que pour le stockage : la chose ne serait pas des plus évidentes. 18h00 : JOUR 9. 09°39 sud, 20°50 ouest ; 117 milles parcourus. Il nous reste 2 100 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 774 milles jusqu’à Fernando de Noronha. Et voici la différence entre une journée avec une moyenne de 10 nœuds de vent, et une journée à 15 nœuds. Environ 35 milles de bénéfice. 20h30 : la clarté générée par l’astre lunaire supplante peu à peu la douce lumière du crépuscule offerte par son homologue solaire. D’ici 4 ou 5 nuits ; nous y verrons comme en plein jour. 3h00 : le premier millier de milles de cette longue traversée vient juste d’être couvert en 9 jours et 9 heures, moins 3 heures à la dérive, ce qui nous donne une moyenne compensée de 4,5 nœuds pour 108 milles quotidiens. La journée à 82 milles nous a gravement plombé notre moyenne ! Mercredi 12 : Après une nuit un peu trop calme en terme de brise, celle-ci revient du secteur sud-est à 15 nœuds aux alentours de 9 heures. Quelques nuages défilent poussés par le flux constant des Alizés, à part cette constatation que je qualifierais de classique : le beau temps se maintient. La mer est agitée, sans plus. Les différentes houles se chevauchant se sont estompées, mais de toute façon, elles sont quasiment imperceptibles lorsque le vent souffle à bon escient. 18h00 : JOUR 10. 08°50 sud, 22°50 ouest ; 103 milles parcourus. Il nous reste 2 000 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 672 milles jusqu’à Fernando de Noronha. Une petite parenthèse concernant mon emploi du temps ainsi que la vie à bord. - Pour commencer : il est bon de noter que je ne barre plus que 3 heures par jour en moyenne car pour Loulou ; les conditions climatiques sont plus qu’honorables, et je ne soulagerai pas grand-chose en barrant 6 heures par jour. Ce serait même dégradant pour le statut que je lui voue à mes côtés. D’autant que côté charge en énergie : nous sommes gorgés de soleil. - Coucher le journal de bord sur le papier me prend entre 30 minutes et une heure. Le taper sur l'ordinateur : 1 à 2 heures. L'imaginer, le réfléchir : c'est un travail à temps plein ! - La préparation et la consommation des repas prend 2 à 3 heures. - La toilette matinale, plus une, voire deux douches quotidiennes : entre 30 et 45 minutes. - Le temps passée à la manoeuvre dépend entièrement des conditions climatiques du jour (ça peut aller de 10 minutes... à 3 heures !). - Il y les heures de repos, durant lesquelles je lis (les romans policier, d'aventure, thriller, suspence, ou encore des récits entre autres), j'écoute la musique, je joue à quelques jeux électroniques : cela dépend du temps passée à la manoeuvre, et surtout au poste de barre (parfois 2 heures à peine lorsque l'Alizé souffle en mode baston et que je dois beaucoup barrer, ce qui n'est pas trop le cas sur cette traversée plutôt pépère. Parfois 8 heures lorsque Free Spirit navigue barre amarrée par exemple, et que le ciel s'en trouve être dépourvu de grains ou tout autres contrariétés). - Et bien entendu : la nuit, je dors (enfin j'essaie malgré la veille obligatoire que je m'inflige toutes les 90 minutes grand maximum). Je passe en gros une dizaine d'heures au lit. Pour en revenir à Loulou : son réglage concernant la réactivité et la rapidité est en position 1 sur 9 depuis que nous avons quitté l’île de Sainte-Hélène. Autrement dit le choix minimum mais qui semble être largement suffisant pour affronter sereinement les conditions rencontrées lors de cette traversée. 1 sur 9 = moteur très peu sollicité = faible dépense en énergie. Procédons à une simple comparaison par rapport à un barreur de niveau correct (pas un cador, mais pas une bille non plus) : - Mode de réglage 1 sur 9 = notre cobaye barre à une main, l’autre étant occupée pour la cigarette, la bière, ou même les 2, plus la musique sur les oreilles, - 2 sur 9 = la cigarette est partie en fumée, la bière en rots, - 3 sur 9 = l’Ipod n’a plus de batterie, - 5 sur 9 = au top de sa concentration, notre barreur décide de s’y prendre à 2 mains, - 9 sur 9 = il est devenu l’égal de Franck Camas !!! 22h30 : allongé dans ma cabine avant, par le panneau à moitié ouvert permettant ainsi à la brise de rafraîchir l’atmosphère, Morphée s’apprête à m’accueillir bras ouverts, bercé par le clapotis de la vague d’étrave provoquée par Free Spirit fendant bravement la mer, le tout dans une semi-clarté que nous offre la lune montante. Bonne nuit tout le monde et à demain… Jeudi 13 : 8h00 : RAS. Nous avons bien marché depuis hier matin, et je m’en réjouis comme il se doit. Pourvu que ça dure ! Les jours s’enchaînent, s’écoulent et se ressemblent, dans la paix et la sérénité. Cela fait maintenant presque une semaine que je ne ferme plus du tout le bateau. Je ne suis généralement peu enclin à ce genre d’entreprise, ayant fini par déplorer quelques menues catastrophes par le passé, au sein de l’Océan Indien en particulier, mais entre les mains de cet océan ci : je me sens plus en confiance, levant ainsi toutes inhibitions de ce côté-là. Donc tout est grand ouvert ; nuits comme jours, profitant de la stabilité d’un temps sec et d’une mer dépourvue de toutes déferlantes incongrues. Ce serait impensable de réunir ces 2 paramètres en d’autres océans dont je tairai les noms, du moins dans un laps de temps aussi long. Et voilà ; j’ai fini par épuiser mon stock de pain. Ce dernier a tenu glorieusement 13 jours grâce à ma petite histoire de journal. J’ai tout de même dû me résigner à jeter par-dessus bord la dernière moitié du dernier pain de mie restant. La cause : il arborait avec une certaine créativité plus ou moins élégante toute la panoplie des couleurs de l’arc-en-ciel. Je pense que tôt ou tard, j’en aurai sûrement fait autant si j’avais ingurgité ne serait-ce qu’une bouchée de cette denrée assurément périssable et malodorante. Dans le même timing ; mon approvisionnement en légumes fond comme granita au soleil des tropiques. En vérité ; il me reste seulement 4 oignons ! Je termine carotte et concombre restant aujourd’hui même. En revanche côté fruits ; j’ai encore une bonne marge. Pommes, bananes, oranges ; assurément de quoi tenir 2 petites semaines supplémentaires. Pour le reste ; je suis en mesure d’assumer un siège jusqu’à la fête de la musique. Biscottes, céréales, thé, chocolat, lait en poudre, sucre, un foisonnement de boîtes de conserve en tout genre (cassoulets, saucisses-lentilles, raviolis, thon au naturel, maïs, pâté, fruits au sirop), paquets de gâteaux, purée en sachet, et bien entendu des pâtes et autres sachets de nouilles chinoises à profusion. Manque que le gaz !!! Ah oui : je ne vous ai peut-être pas encore mis dans la confidence ? Je suis au bord de la rupture de gaz. Une fin imminente que j’attends d’un jour à l’autre telle l’épée de Damoclès. Afin de retarder cet inévitable échéance : j’ai pris quelques mesures de précaution, à savoir que j’utilise la gazinière seulement pour la préparation du dîner (les boîtes, les œufs, les pâtes « cuisson rapide » évidemment, la purée, le poisson bien que visiblement sur cette traversée je ne sois pas trop embêté de ce côté-là). Pour le petit déjeuner : je réchauffe l’eau de la bouilloire… au chalumeau ! Le déjeuner est constitué comme toujours d’un repas froid (club-sandwichs, salades composées de légumes frais puis de boîtes de conserve, etc…). Et pour le café de l’après déjeuner : je laisse naturellement monter la température de la bouilloire une bonne heure… aux bons soins du soleil des tropiques ! Certes l’ébullition est comme l’apparition du Dieu Poséidon en personne : elle ne viendra jamais, mais je m’y suis habitué. Et puis il faut savoir un jour faire des sacrifices sur certaines choses afin de toujours en apprécier les véritables valeurs, même pour des petits gestes de tous les jours aussi simples et anodins soient-ils. J’utilise cette même technique pour la semoule. 17h00 : le vent chute de nouveau à 10 nœuds (on dirait comme un cycle de 24 heures avec du bon vent, 24 heures avec du vent faible…). Peut-être un signe annonciateur d’un éventuel changement de temps qui pourrait se dessiner dans notre nord, où les orages commencent à s’accumuler et à méchamment prendre un peu trop d’ampleur à mon goût. Si leur route infléchit vers le sud ou le sud-ouest ; nous n’y réchapperons pas. D’un autre côté ; nous nous rapprochons inéluctablement de l’Equateur et de sa ZCI. Donc tôt ou tard… Et puis après le beau temps viendra la pluie !!! 18h00 : JOUR 11. 07°58 sud, 24°09 ouest ; 121 milles parcourus. Il nous reste 1 880 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 552 milles jusqu’à Fernando de Noronha. En ce qui concerne le recensement de la faune locale ; on constate que nous sommes à des années lumières de la richesse offerte par les eaux territoriales namibiennes et sud-africaines. Quelques poissons-volants éparpillés en petit groupe ça et là, un ou deux oiseaux du large de temps à autre, et, ce n’est pas pour radoter, mais elles sont vraiment très curieuses ses surprenantes petites méduses (Punkys Medusa Pinkyas) aux filaments bleus immergés, et surtout cet espèce de coussin gonflable transparent aérodynamique émergé de la taille et de la forme d’une petite mangue qui leur permet de rester en surface et d’arborer une splendide coupe à l’iroquoise de couleur rose bonbon du plus bel effet. Mais attention : je pense que « qui s’y frotte s’y pique ». 22h00 : 3 grains, 3 gouttes, et le vent bascule de plus de 30 degrés, venant dorénavant du plein est. Vers minuit : la chance nous abandonne tandis que le vent devient quasiment nul. Paradoxalement : la mer est déchaînée, ultra-sensible et plutôt lunatique quant à tous ces changements climatiques. Toujours est-il que les mouvements du bateau deviennent tellement violents et incontrôlables que je me résigne à baisser la dérive afin d’en limiter les effets néfastes et de pouvoir supporter un certain confort de vie à bord. Patraque : je n’étais déjà pas bien vaillant avant cet épisode, mais là ; cette nuit quasi blanche, du moins sans repos réel, fini de m’épuiser psychologiquement et physiquement. Sans le vent : c’est tout un univers qui s’écroule autour de nous. Il est moralement incontournable. « L’eau : c’est la vie, le vent l’est aussi ! ». Vendredi 14 : 7h30 : ciel mi-ange, mi-démon. Paradisiaque d’un côté, apocalyptique de l’autre, Free Spirit au beau milieu d’un duel de titanesque entre le bien et le mal. Bref… un temps à grains, mais alors ce qui s’appelle très très menaçant. Bon an mal an : la faible brise maintient sa vitesse autour de 10 nœuds et nous permet donc de ne pas stagner sur place. En revanche, il est très volatile en ce qui concerne la direction, allant parfois du plein est au plein sud sous l’effet pervers de quelques masses nuageuses. Les manœuvres d’empannages s’enchaînent, contribuant à accentuer un peu plus une fatigue que j’ai un peu de mal à escamoter. Allez uh… en selle mon Free Spirit ! Ce n’est plus de la navigation : c’est de l’équitation ! La grande chevauchée sauvage en mode liquide ! Le croisement fatal entre la longue houle de nord, son homologue du sud, ajoutée à la mer agitée de sud sud-ouest en friction avec la mer d’est sud-est nous accable d’un véritable bourbier, un beau terrain de jeu pour un spécial saut d’obstacles ! Perso le cavalier s’en passerait bien. 9h00 : après Greenwich (la longitude 00°00), puis le méridien du port de Saint-Denis, nous croisons ce matin un autre méridien que j’affectionne tout particulièrement : 25°00 de longitude ouest, plus exactement la longitude sur lequel se positionne le port de Mindelo situé à Sao Vicente dans l’archipel des îles du Cap-Vert. La ville natale de Césaria Evora a vu l’équipage de Free Spirit s’élancé vers les Caraïbes pour sa première grande traversée transocéanique en date du 21 décembre 2010. D’où nous nous situons aujourd’hui ; 1 450 milles nous séparent de Mindelo, positionné de l’autre côté de l’Equateur. Toute l’après-midi se déroulera sous génois seul, poussé par une brisounette à 6-8 nœuds, et surtout secoué comme un cocotier des Cococ Keeling Islands en plein mois d’août. 18h00 : JOUR 12. 07°16 sud, 25°30 ouest ; 91 milles parcourus. Agréablement surpris d’avoir couvert une telle distance malgré toutes nos péripéties. Il nous reste 1 790 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 462 milles jusqu’à Fernando de Noronha. 19h57 : coucher de soleil somptueux. Le vent est tellement, au degré près, dans l’axe de notre route, que nous sommes obligés de louvoyer au portant (encore heureux !), accumulant les manœuvres d’empannage et alternant bâbord et tribord amure. Vicieux état de fait : notre route s’en trouve être rallongée, mais ai-je le choix ? Avec du vent aussi faible : l’idéal pour descendre parfaitement dans le lit du vent serait d’avoir un vrai booster ; 2 voiles triangulaires prises sur le même étai et qui se déroulent chacune de son bord, écartées par 2 tangons. Avec 35 nœuds, ou l’Alizé en mode baston ; la question ne se poserait pas. Un bout de génois tangonné et basta ! Samedi 15 : 8h00 : BTBM ! Alizés classiques. Vent d’est sud-est 10-15 nœuds. Longues houles croisées mettant en scène une ondulation d’environ 2 mètres. Mer agitée, mais pas trop quand même. Il fait chaud ; déjà 30° à l’ombre alors qu’il n’est pas encore 9 heures. Le thermomètre grimpe allègrement à 32° en journée. Priorité absolue : se cacher du soleil par tous les moyens possibles et imaginables. Full vent arrière, génois plus génois léger, chacun son bord, chacun son tangon. Il faut reconnaître que la vulgarisation de la fameuse expression « Naviguer sur la route des Alizés » n’a jamais été aussi impossible à démentir qu’au cours de cette traversée. Pas de vent supérieurs à 15 nœuds, et inférieurs à 8 nœuds, encore moins de coups de vent, pas ou très peu de pluie, du sud-est de chez sud-est, du soleil et de la chaleur. 18h00 : JOUR 13. 06°16 sud, 26°40 ouest ; 93 milles parcourus. Il nous reste 1 700 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 373 milles jusqu’à Fernando de Noronha. Le temps est idéal pour observer la lune aux jumelles. Elle sera complètement pleine dans la nuit de dimanche à lundi (c’est-à-dire demain soir), qu’à cela ne tienne, elle est déjà parfaite ce soir. Sauf que c’est pas évident du tout de faire le point depuis un sol mouvant, avec tout le respect que je dois à mon fidèle compagnon ! Ce sera pour la prochaine pleine lune alors… au mouillage si possible. Nous avons eu la visite cette nuit d’un gentil couple d’oiseaux, sorte de merle du large, au plumage noir de jais avec le contour des yeux blancs. Repérer Free Spirit, baignant au sein de cette clarté lunaire faisant presque oublier que la nuit était tombée depuis un bon moment, n’a sans doute pas dû être trop difficile pour ces 2 voyageurs des océans. Cependant ; dénicher un endroit peinard une fois atterri, à l’abri de l’unique prédateur de tout l’Océan Atlantique sud, lequel considère Free Spirit comme son environnement personnel, sa propriété privé en quelques sortes, ne sera pas aussi simple qu’il n’y paraît aux premiers abords. Trinquette, le redoutable prédateur des lieux, ne le voit pas du tout du même œil qu’une bande d’inconscients, de fripouilles, de malotrus, viennent envahir son domaine, à moins qu’elle n’y trouve son compte sur le point de vue « culinaire » si vous voyez ce que je veux dire ! Le couple d’aventurier des flots décide bon an mal an de tenter un atterrissage forcé sur le panneau solaire. Trinquette est aux aguets, en mode mission = atomiser les intrus un peu trop curieux ! J’ai l’impression de vivre un remake de Titi et Grominet en direct. Et comme je l’a connais : elle en serait bien capable, de tout tenter au péril de sa propre vie, pour les chasser de sa cour. Non mais : pour qui ils se prennent les 2 tourtereaux : pur Bonnie Parker et Clyde Barrow ??? Seulement voilà Trinquette, c’est un combat perdu d’avance. Cette fois-ci ; tu n’auras jamais le dessus. Avant même que tu ne penses à poser une patte sur le rebord du panneau, les protagonistes en question (qui ne t’ont rien fait après tout, mais ça tu t’en tamponne le coquillard je suppose !) auront eu 10 fois le temps de mettre les voiles, et toi tu partiras en glissade incontrôlable sur cette surface aussi lisse et glissante que le crâne de l’inspecteur Kojak, et tu finiras ton ride dans le sillage de Free Spirit, le ventre creux et des sentiments de culpabilité et de regrets plein les neurones. Donc ; tout ce dont tu auras droit : c’est à ta laisse… afin que Bonnie and Clyde puissent se reposer tranquillement quelques heures, et que tu puisses les surveiller de tes yeux de merlan frit pour ne pas qu’ils tentent de pénétrer dans une zone disons plus prohibée, genre le cockpit par exemple, ou pire encore à l’intérieur de ton antre ! Bref, l’histoire se termine bien pour tout le monde. Trinquette gardera tout de même une plume en souvenir (je pense qu’elle a dû l’attraper sur l’un des 2 infâmes avant que je me décide à me m’extirper du lit afin de voir de quoi il y retourner). Dimanche 16 : 8h00 : statu quo du côté de la météo du jour. Avec un vent peut-être légèrement plus vigoureux qu’hier dans l’ensemble. Enfin, ça ne casse pas 3 pattes à un canard non plus. L’anémomètre enregistre des rafales à 15 nœuds parfois. Incroyable mais vrai : un grain ! Avec de la vraie pluie (4 minutes montre en main), et du vrai vent (19 nœuds maxi). Ben ça alors… 17h30 : alerte générale ; la ligne de traîne est en tension ! Après s’être furieusement débattu pendant plusieurs minutes ; le coup de grâce fini par achever ce thon d’une bonne demi-douzaine de kilos. Trinquette est aux anges, à la limite de la jouissance ! A défaut de se taper de la volaille, allons-y goulûment sur le poisse-caille ! Pendant ce temps là ; un réel changement de temps s’amorce. Bascule du vent de près de 30 degrés, grains de moyenne intensité accompagnés de pluie, puis rapidement orages agrémentés d’éclairs et de quelques coups de tonnerre. Le vent va chuter à 6-8 nœuds au cours du début de soirée. Et même carrément s’effondrer 2 bonnes heures durant lesquelles je devrais affaler les voiles nous laissant à la dérive au gré des flots sans cesse en mouvement. J’ai sollicité une réservation pour la Lune ce soir ! Elle m’a répondu qu’elle était « FULL » ! Ronde comme je l’a considère ; je l’a crois sur parole ! 18h00 : JOUR 14. 05°28 sud, 28°18 ouest ; 110 milles parcourus. Il nous reste 1 593 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et seulement 264 milles jusqu’à Fernando de Noronha. Deux semaines de navigation consécutives qui s’achèvent au cours desquelles Free Spirit a engendré 1 490 milles à 4,4 nœuds de moyenne, soit une distance quotidienne de 106,5 milles. Nous sommes toujours au dessus de mes espérances. La chance nous sourira-t-elle encore longtemps ??? Cependant, comme je vous le disais un peu plus haut ; cette troisième semaine en mer ne s’annonce pas forcément sous les meilleurs auspices. Pluie, pétole molle, chaleur étouffante pervertie par un taux d’humidité à 92%. Il nous faut « positive attitude » garder… et tout va s’arranger ! Lundi 17 : 8h30 : l’Arche de Noé se porte bien en cette belle matinée alizéenne ! Bonnie and Clyde ont trouvé le squat sympathique et ils en ont donc profité pour rameuter quelques potes. Ils sont donc au nombre de 6 individus à plumes en tout à s’être éparpillés un peu partout ; un sur le panneau solaire, deux sur la bôme, un autre sur le barbecue de balcon, et les deux autres au bout des tangons. Au lever du soleil ; ils reprennent le cours de leur vie et quitte nonchalamment le bord comme si tout était normal. Je peux ainsi libérer la bête qui fonce illico presto à la cueillette aux exocets venus s’échouer sur les passavants durant sa nuit de captivité. Elle s’en empiffre 4, certes pas plus long qu’un doigt, en moins de 2 minutes, puis part se coucher. Les 2 heures de pétole de cette nuit ont dû favorablement contribuer à relancer l’Alizé qui souffle dorénavant à 15 nœuds établis. La mer est agitée, croisée avec les différents résidus de houle venus de très loin. Le ciel est très nuageux avec encore quelques grains éparses se baladant fébrilement dans le flux de sud-est. 9h00 : C’est la Bi-route !!! Et aussi la Saint-Patrick !!! Alors « bonne fête Papa !!! ». Free Spirit a effectué cette première moitié du trajet entre l’île de Sainte-Hélène et Kourou, soit exactement 1 550 milles, en 2 semaines et demi. Plus exactement : nous avons couverts les 1 550 milles en 14 jours et 15 heures, à 4,4 nœuds de moyenne en temps réel, et 4,5 nœuds de moyenne en temps compensé (moins les 5 heures passées à la dérive à attendre le vent). Soit une moyenne quotidienne compensée de 107,5 milles. Une performance qui n’en ai pas vraiment une mais que je qualifierais de largement honorable compte tenu du fait que nous aurions pu rencontrer bien plus de temps calme, loin d’être rare dans les parages. J’ai même lu qu’il était possible de se faire littéralement scotcher pendant une dizaine de jours avec pour seule brise du pet de mouche à 5 nœuds en rafales ! Craignos… 18h00 : JOUR 15. 04°37 sud, 29°54 ouest ; 109 milles parcourus. Il nous reste 1 485 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Et 158 milles jusqu’au mouillage de Fernando de Noronha. Il semblerait d’ores et déjà inévitable d’effectuer un atterrissage de nuit. Ce qui m’étonne qu’à moitié ! Messieurs Eric Tabarly, Marc Pagot, Olivier de Kersauson, Riguidel, les frères Bourgnon, Francis Joyon, les frères Peyron, Franck Camas, Thomas Coville, Lemanchois, Jean-Pierre Dick, François Gabard, Michel Desjoyaux, Armel Le Cléach, Vincent Riou, Sir Peter Blake, Mesdames Isabelle Autissier, Florence Artaud, Ellen Mc Arthur, Samantha Devis et… et j’en passe et des aussi bons, au cours de courses océaniques interplanétaires, en équipage ou en solitaire, telles que Le Vendée Globe, La Volvo Ocean Race, La Mini-Transat, sans omettre la chasse ouverte aux divers records, ont, pour un aller-retour au moins, navigué au cœur de cette vaste zone de l’Océan Atlantique sud où Free Spirit ne fait que humblement passer en ce instant de grâce. Je pense également à Joshua Slocum, Vito Dumas, Bernard Moitessier, Antoine… La plupart de toutes ces sommités de la voile hauturière ont plus souvent été amenés à prendre cette route que moi celle qui relie La Palmyre à Courchevel ! Coucher de soleil = 20h13. Ce soir : la lune déballe le grand jeu en arborant son plus bel habit de lumière aux reflets roux brillants et éclatants. Depuis le début du bal et l’entrée en scène de l’éblouissante Reine du ciel ; les Alizés n’ont eu de cesse de se ragaillardir et ainsi nous propulser à plus de 6 nœuds de moyenne durant toute la nuit, et ça se prolonge encore en journée. 85 milles couverts en 14 heures, tout au long de cette belle nuit claire et sans entrave. On peut dire que la fête fût très réussie. Mardi 18 : 8h00 : vent d’est sud-est 18-20 nœuds. Mer très agitée et plutôt désordonnée. Quelques creux culminants à 2,5 mètres environ ne manquent pas de se métamorphoser en déferlante, sans trop de conviction néfaste toutefois. Ciel très chargé voire menaçant au nord, rassurant au sud. La climatologie méridionale prendra rapidement le dessus pour notre plus grand bonheur. 14h30 : TERRE EN VUE !!! Deux mamelons se dessinent au sein du puissant, viril et chaleureux halo solaire. Celui de droite est surmonté par quelque chose de long, droit comme un « i »… Un phare quoi ! Ah, que vous avez les idées mal placées ! Il nous reste 20 milles à parcourir jusqu’à la pointe Pontal Da Macaxeira, située au nord-est de l’île Ilha Rata. Puis encore 2 milles jusqu’au mouillage de Fernando de Noronha. Euh, alors au temps pour moi : cette forme phallique que j’ai pris d’abord pour un phare n’en ai absolument pas un. C’est une sorte d’énorme piton rocheux dominant le mouillage et qui ressemble, en miniature, au célèbre rocher qui surplombe la non moins célèbre baie de Rio de Janeiro. 18h00 : JOUR 16. 03°48.65 sud, 32°23.77 ouest ; 157 milles parcourus. Je n’y crois pas ! Nous sommes à 5 milles de notre record des 24 heures ! Je pense très certainement que le courant portant à l’ouest nous a bien aidé. Mais pas que… 20 nœuds de vent régulier au lieu de 10 ou 12 ; ça fait toute la différence. Et puis Free Spirit était bien toilé, voire un chouia boosté ! Accessoirement… mais nous verrons cela demain ; il nous reste 1 330 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française, ainsi qu’un tout petit mille et demi avant de laisser tomber l’ancre par 10,5 mètres de fond, mi sable, mi roches. Et nous serons enfin au repos ! Nous toucherons donc Terre exactement à la fin du 16ème jour de navigation. Position GPS de la baie de San Antonio : 03°50 de latitude sud, 32°24.34 de longitude ouest. Je recule ma montre d’une heure. Heureusement que la bonne brise de ces dernières 24 heures nous a dispensé d’une arrivée by night, car le mouillage est gavé, non pas de voiliers de passage (il n’y en a pas un seul à part Free Spirit bien évidemment), mais de très nombreux dayboats, daycharters, bateaux à fond de verre, de plongée ou de promenades en tout genre, sans oublier bien sûr les quelques embarcations de pêche. A peu près 50% des bateaux sont signalés par une lumière quelconque la nuit ; la plupart d’entre elles sont des flash-lights, genre on se croirait au milieu d’un champ d’une vingtaine de bouée Cardinale Nord !!! Résumé de cette première partie de la traversée vers la Guyane. Free Spirit a parcouru 1 758 milles en 16 jours exactement, à 4,6 nœuds de moyenne pour 110 milles journaliers en temps réel, et 4,64 nœuds de moyenne en temps compensé (moins les 5 heures passées à la dérive à attendre le vent). Soit une moyenne quotidienne compensée de 111 milles. 0 coup de vent ! Eh oui, je sais bien, ça paraît incroyable mais c’est la stricte vérité. 10 minutes de moteur. 5 heures à la dérive. 1 heure de barre pour Free Spirit, 18 heures pour Kit, 55 heures pour le capitaine, et 305 heures pour Loulou notre Grand Champion ! Les 30 000 milles du Voyage de Free Spirit. Une journée « presque record » à 157 milles en 24 heures. En tout cas ; il ne sera pas dit que Free Spirit n’aura pas fait escale à Fernando de Noronha, et que son capitaine n’aura pas nagé au milieu des tortues et surtout des dauphins qui sautent et virevoltent dans tous les sens dans une eau chaude et cristalline. Trinquette ne savait plus où donner de la tête ; il y en avait des dizaines éparpillées un peu partout au sein même du mouillage. Quelle expérience unique ! Et être réveillé le matin par leur champ, sorte de sifflement mélodieux. L’île doit également abrité plusieurs colonies de Frégates et autres Fous-de-bassans. Mercredi 19 : Il semblerait qu’une instabilité pluvio-orageuse se soit installée sur la zone depuis la minute où j’ai laissé tomber l’ancre dans la baie de San Antonio. La nuit s’est avéré être très humide durant laquelle les grains se sont succédés, jusqu’en milieu d’après-midi. Je ne regrette donc pas ma décision d’avoir relâcher 24 heures afin de me ragaillardir un peu, autant physiquement, physiologiquement que moralement. En résumé : ça fait un bien fou de ne pas avoir à se lever toutes les heures ou même toutes les 90 minutes, et de pouvoir dormir sereinement dans un lit qui ne ressemble pas à un simple matelas posé dans une voiturette enraillée sur les montagnes russes de la Foire du Trône. C’est pourquoi ; j’appréhende un peu un appareillage dans ces conditions, à subir les assauts climatiques d’une météo défavorable. Paradoxalement ; je ne tiens pas non plus à m’éterniser dans les parages. Il n’est de toute façon pas prévu que je mette les pieds à terre. Je tiens par contre à faire passer un message à ma famille, via les autochtones qui travaillent sur les daycharters, et on peut dire qu’il y a du passage autour de Free Spirit, qui les préviendront que tout va bien et que nous continuons comme prévu notre route en direction des Antilles, avec toujours une escale de quelques jours prévue à Kourou en Guyane Française. Le dinghy que j’interpelle transporte 3 jeunes brésiliens qui ne parlent pas un mot ni de français, ni d’anglais. Et bien entendu ; je ne parle pas plus le brésilien que le russe ou le chinois ! Bref ; je leur note 2 adresses électroniques sur une feuille de papier datée, avec mon nom et celui de Free Spirit, accompagné d’un petit message laconique, allons à l’essentiel et faisons fi de toutes convenances politiquement correctes. Pas besoin d’écrire une réplique, même succinct, du journal de bord. Ils comprennent très rapidement le service que je leur sollicite. Gracias amigos… Hasta luego ! L’histoire nous dira si mes Parents auront bien reçu le mail. Je lève l’ancre à 17h45 ; 24 heures après l’avoir immergé. Et c’est directement sous voile, dans un silence parfait, presque solennel, que nous disons Adios à cette terre brésilienne (laquelle méritait sûrement une escale de 2 ou 3 jours), afin de remettre ça ; 1 330 milles à parcourir jusqu’à notre prochaine escale, Kourou, en terre tricolore ! Vent faible de secteur est sud-est 10 nœuds. Le soleil est en grève, tandis que de nombreux et grincheux nuages se dessinent à l’horizon. Petite houle de nord faisant face à son homologue du sud, ondulation de 1,5 mètre, mer peu agitée. Nous déhalons plein vent arrière, cap au 315°, voiles en ciseaux, génois tangonné sur bâbord, et la trinquette tangonnée sur tribord. La brise est trop légère et les mouvements trop aléatoires pour maintenir gonfler le génois léger. La nuit tombe rapidement dans une certaine obscurité qui ne me dit rien qui vaille. L’île n’est plus matérialisée que par quelques lumières au raz de l’eau. Elles ne tarderont pas à disparaître dans notre sillage, si peu bouillonnant soit-il. A 22 heures ; les hostilités commencent. Les arcanes du chaos s’apprêtent à se déchaîner sur notre bord ! Euh… j’exagère un peu là ! Non mais sérieusement : le ciel se zèbre de quelques éclairs, l’orage gronde, et la pluie commence à tomber dru. Je n’avais plus vu un ciel aussi menaçant depuis Knysna en Afrique du Sud (nous nagions encore sous la protection éphémère et peu convaincante de l’Océan Indien). Deux couleurs me viennent instantanément à l’esprit : noir pour le ciel, et blanche pour ma nuit ! Il pleut en moyenne toutes les 90 minutes, des trombes d’eau qui vont durer 20 à 30 minutes environ, durant lesquelles le vent forcira (sans, toutefois, ne jamais dépasser les 20 nœuds. Au cœur de l’Océan Indien ou même Pacifique ; il y a longtemps que nous aurions dû subir un coup de vent à au moins 35 voire 40 nœuds !), et surtout mollira à peau de chagrin, c’est-à-dire zéro ! Bref du grand n’importe quoi, mais qui a le mérite de porter un nom et d’être ainsi connu, redouté et donc respecté, j’ai nommé la ZCI : la Zone de Convergence Intertropicale, plus communément identifié sous le doux nom de « pot au noir ». En principe : la ZCI de l’Océan Atlantique concerne surtout les latitudes juste au nord de l’Equateur, le sud de ce parallèle demeure (toujours en principe) sous l’influence des Alizés de sud-est, et donc épargné par ce phénomène. Mais il n’est toutefois pas rare de rencontrer quelques résidus dérivant vers le sud, au-delà du parallèle équatorial. Nous avions rencontré quelques désagréments en coupant celle qui se trouve entre Panama et l’archipel des îles Galapagos, à une époque où elle fût d’ailleurs activement méprisable. Je n’en garde pas de très bons souvenirs. En plus : nous avions tout au long de ce difficile trajet le vent et le courant dans le pif. Ce qui n'est pas le cas dans notre situation actuelle, bien au contraire. Pour information : cette zone de vent variable, autant en direction qu’en force, de pluie parfois diluvienne, d’orages plus ou moins violents, de mers croisées détestables, séparent la partie où règnent les Alizés de nord-est (donc au nord de la ZCI) de la partie où soufflent les Alizés de sud-est (au sud de l’Equateur), et s’étale de la côte ouest africaine jusqu’au nord du littoral brésilien (avec plus ou moins d’ampleur suivant la saison). A 3 heures du matin : le vent chute complètement, la girouette tourne en rond comme un manège dans une fête foraine, il pleut des cordes, et je suis rincé. Sapristi ; tout en fulminant après je ne sais quoi ; j’affale tout et j’essaie de dormir une ou deux heures. Jeudi 20 : 7h00 : la masse d’air semble s’assécher, le vent d’est souffle à 6-8 nœuds. Nous repartons sous génois seul, tangonné sur tribord, après avoir passé 4 heures à dériver dans les méandres du néant. Le courant nous porte à l’ouest avec une pointe vers le sud, à environ 3 quarts de nœud. Ce n’est pas violent, mais il devrait en principe s’accéléré et être idéalement favorable (en principe !) à mesure que nous nous rapprocherons de l’Equateur. 18h00 : JOUR 1. 03°35 sud, 33°44 ouest ; 82 milles parcourus ces premières 24 heures. Il nous reste 1 250 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. 14h00 : la vie sous l’influence bénéfique des Alizés reprend son cours paisible, serein, long comme un fleuve tranquille… Le soleil brille, la mer est peu agitée, vent stable à 10-12 nœuds ; je hisse le génois léger sur bâbord, lequel nous fera joyeusement gagner un nœud. 4h00 : nous sommes en train de croiser le méridien qui positionne la côte est de ce grand et beau pays, terre de football, carnaval, samba et caïpaïrinha que l’on nomme le Brésil. Par cette action ; nous naviguerons dorénavant au sein des longitudes attenantes au continent sud-américain. Vendredi 21 : 6h00 : l’Alizé doit avoir un petit caractère susceptible, à moins que ce ne soit Eole (j’avoue qu’il m’arrive parfois de psalmodier lorsque le vent s’abstient de souffler pendant trop longtemps). Toujours est-il que la brise nous honore d’un bon 20 nœuds de sud sud-est. Et Free Spirit s’enorgueillit d’allonger puissamment la foulée, surfant la houle de sud-est, fendant celle de nord, et faisant abstraction de celle de nord-est. Vous l’avez donc compris ; L’état de la mer laisse apparaître une certaine confusion, Loulou en est nettement plus sollicité. En revanche ; la bonne nouvelle ; c’est que la houle de sud ne se fait plus du tout ressentir, et pour cause, elle est d’ores et déjà masquée par les côtes du Brésil, que nous longeons parallèlement à moins de 200 milles de distance. Nous ne la reverrons pas de sitôt celle-là ! Ciel nuageux avec averses éparses. 18h00 : JOUR 2. 02°28 sud, 35°50 ouest ; 144 milles parcourus. Il nous reste 1 107 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Le soleil s’efface peu à peu afin de laisser la place aux lignes de grains. Pas cool… 22h00 : le vent chute à 6-10 nœuds. 22h30 : un orage cataclysmique nous passe comme un bulldozer. La nuit est noire… et blanche… enfin stroboscopique, ça me rappelle un passage du film « Les Visiteurs » dans lequel Christian Clavier s’amuse avec l’interrupteur et gueule : « JOUR… NUIT… JOUR… NUIT… etc… ». Sauf que moi ; je ne m’amuse absolument pas : bien au contraire ; j’ai même plutôt la frousse. Le vrombissement assourdissant du tonnerre fait trembler le plancher sous mes pieds. La foudre tombe a chaque fois bien trop près de Free Spirit. IL tombera des hallebardes durant plus de 5 heures. Au plus fort de l’orage : les rafales de vent atteindront 25-30 nœuds. Mais j’ai préféré de toute façon tout affaler juste avant, éteindre tout l’électronique, et couper les coupe-circuits, tout fermer et me cantonner à l’intérieur en attendant que ça passe. Deux heures à la dérive à se faire violenter par ce mastodonte venu d’outre-tombe dans le seul objectif : nous rendre la vie dure, le stress et la peur au ventre. Je n’ai pas honte de dire qu’il a réussi son coup. Sachant que nous n’avons toujours pas encore géographiquement atteint cette fameuse ZCI, fichtre, je ne préfère pas y penser… 4h00 : on repart comme si de rien n’était… Je n'arrive toujours pas à trouver le sommeil, sûrement instinctivement rongé par la culpabilité de laisser Loulou et Free Spirit seuls dehors gérer la situation en milieu tourmenté. Samedi 22 : Bon anniversaire Tom ! 7h00 : je n’ai quasiment pas dormi de la nuit, me lève du pied gauche (enfin c’est ce que j’en ai déduis par la suite), me cogne une fois… deux fois. Je m’aperçois que Trinquette a quelque peu passé ses nerfs sur la feuille volante qui me sert pour le brouillon manuscrit de mon journal de bord. Elle a fait des confettis d’une bonne moitié de la page, pareil avec la fin d’un rouleau de papier toilette. Salle journée en perspective. Petit déjeuner : sur un violent coup de roulis intempestif ; mon mug de thé encore à moitié plein échappe à ma vigilance et en profite pour se faire la malle et se déverser sur mes genoux. J’enrage, je crie, je hurle !!! Mais finalement, je prends sur moi et me dit que c’est qu’à moitié grave. Côté conditions climatiques : l’assaut semble levé, nous devons être en période de couvre-feu. Le vent souffle du sud sud-est à 20 nœuds, le ciel est très couvert, sur plusieurs couches atmosphériques, il fait chaud, et très humide. La mer est démontée ; à savoir que les houles croisées de nord, nord-est, sud-est, plus quelques déferlantes ne font pas bon ménage. Mais ce que je sais et qui me rend d’humeur un peu plus jovial : c’est que malgré tous ces déboires : nous progressons plus qu’honorablement. Je l’aime bien ce courant de Guyane d’un bon nœud, qui nous fait gentiment mais sûrement glisser là où nous projetons de nous rendre. C’est quand même tellement rare ! A partir de 11 heures : le soleil fera de belles apparitions. 18h00 : JOUR 3. 01°48 sud, 38°02 ouest ; 140 milles parcourus. Il nous reste 970 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. L’orage menace de nouveau notre convoi. 18h30 : le vent mollit à 8-10 nœuds. Sachant qu'il est bien entendu que je donne toujours la vitesse et la direction du vent réel (comme pour les fichiers météo Grib... euh non ça ce n'est pas un bon exemple !), avec un bon nœud de courant qui nous pousse au cul, plus l'accélération substantielle mais non négligeable des vagues, vous imaginez ce qui reste (donc en vent apparent) pour gonfler nos voiles : peau de balles et balai de crin ! 19h30 : "Le train à grande vitesse sud-est vient d'entrer en gare... Terminus... le train est prend la relève ! Mais alors attention ; c'est pas le TGV celui-là, il ne dépasse guère les 20 km par heure, et encore en vitesse de pointe dans les descentes. Remarque : il faut dire que sur un terrain pareil ! On est loin du plat pays, mais plus proche des montagnes russes. Bref ; manœuvre d'empannage et nous voici tribord amure, trinquette sur bâbord et génois tangonné sur tribord, allure de petit largue, et la nouveauté : c'est que ainsi réglé : j'amarre la barre et Free Spirit assure la gouverne. Minuit : le sondeur a chopé la terre par 50 mètres de profondeur ! En revanche : le détecteur de radar n'a pas chopé les 3 bateaux de pêche qui gravitent dan la zone, sûrement attirés par les hauts-fonds. Génial phénomène astrologique que l'on n'observe uniquement le long de l'Equateur tout autour du globe : peu après être sortie de sa tanière orientale : représentez-vous la lune à moitié pleine et donc coupée en deux comme une orange (elle en a d'ailleurs aussi la couleur). Et bien la partie "coupée", disons le plat, est parfaitement horizontal, alors que au delà des latitudes 40-50 degrés et plus encore ; ce plat n'est plus horizontal mais vertical. La pluie, les épisodes de vent calmes et de bourrasques vent se succéder toute la nuit. Vers 3 heures et demi, le vent est monté à 30 nœuds durant un quart d'heure. Je constate que plus nous nous rapprochons de l'hémisphère nord, plus les grains gagnent en force et en intensité. Puis viendra nos 2 heures de pétole quotidienne nocturne. Dimanche 23 : 6h00 : retour d'une faible brise de sud sud-est (et bien : je pensais qu'elle nous avait définitivement abandonné, j'avais tort). On repart, bâbord amure cette fois ! Et Loulou reprend du service. Le ciel est chargé de partout, ne laissant même pas apparaître la moindre petite trouée afin que quelques rayons du soleil puissent s'y glisser. La mer est toujours très agitée, désordonnée. Ah ; elle ne range jamais sa chambre celle-là !!! 9h00 : nous sommes à 200 milles environ du waypoint qui nous fera passer la frontière entre la moitié sud et la moitié nord... à l'échelle mondiale j'entends ! Nous sommes prêts à honorer nos Dieux comme le veut la tradition. Neptune, Poséidon, Eole, comme tout bon marin qui se respecte ; ils ne refusent jamais une rasade de rhum ! 10h00 : la pluie diluvienne s'installe durablement durant 2 bonnes heures, le vent a quant à lui rendu son tablier. Toutes les voiles sont affalées ; j'en profite pour me reposer un peu, car malgré mon inextinguible optimisme, je suis recru de fatigue, flapi jusqu'aux os ! 12h30 : la pluie semble vouloir se calmer, sans pour autant s'arrêter, le vent d'est nord-est très faible nous déhalera durant 4 heures, barre amarrée. Puis de nouveau une longue période sans vent, tandis que la pluie stoppera son activité néfaste pour mon moral. 18h00 : JOUR 4. 01°03 sud, 39°33 ouest ; 102 milles parcourus. Il nous reste 869 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. 20h00 : la vie reprend ses droits ; vent de sud sud-est 6-8 nœuds, ciel relativement dégagé, mer agitée, houle en diminution. Nous repartons bâbord amure, mais c'est Kit qui prend la barre. Dans le light wind ; je ne sais pas pourquoi mais Loulou n'arrive pas à garder son cap. Lundi 24 : Lever de soleil = 7h46 (peut-être le dernier au sein de l'hémisphère sud ! Enfin jusqu'à la prochaine fois quoi !). A part une manœuvre d'empannage opérée en milieu de nuit ; la nuit a été somme toute sèche, paisible, sans surprise ni déception. 8h00 : vent d'est 10-12 nœuds. Serait-ce LES fameux Alizés de l'Atlantique nord ??? Ce qui voudrait dire que nous en aurions fin avec la ZCI et ses tracasseries. Il est encore trop tôt pour le dire. Tout de même, je constate un signe très encourageant en analysant le ciel : les nuages bas caractéristiques des Alizés ambiants se déplacent d'ores et déjà de l'est nord-est vers l'ouest sud-ouest. Et non plus du sud-est vers le nord-ouest. Mais attendons malgré tout de passer l'Equateur, ainsi que les deux premiers degrés nord pour en être définitivement certains. Comme dit le proverbe : "Il ne faut pas vendre la peau de l'ours... oh non il ne faut pas !". Jean-Marie Bigard. Le ciel est voilé dans notre nord-est, la mer est agitée, croisée avec une houle moyenne de nord-est d'environ 1,5 mètre. Free Spirit fait cap au 320°, allure de grand largue, tribord amure. A 9h00 : la trinquette sera remplacée par le génois léger. 18h00 : JOUR 5. 00°35 sud, 41°01 ouest ; 93 milles parcourus. Il nous reste 777 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. 19h30 : un grain mal attentionné fait tomber la pluie, tandis que le vent en profite pour rebasculer au sud sud-est. Terrible ! Et c'est à la vitesse de l'escargot que nous déambulerons, bâbord amure, toute la nuit jusqu'à l'aube naissante. Mardi 25 : 7h00 : trinquette bordée à contre : le vient de virer au secteur est, à environ 8-10 nœuds. Tous à la manœuvre bande de fainéants !!! Le capitaine a dit : changement de stratégie ! Objectif : couper le parallèle équatorial à l'heure de l'apéro afin de trinquer à la santé de nos Dieux ! Je range les 2 tangons le long des filières bâbord en proue, hisse la grand-voile (laquelle n'avait pas vu le jour depuis les cieux namibiens !), trinquette souquée plus le génois en parallèle. Cap au 330°, allure de petit largue au début, puis vent de travers, et enfin bon plein en s'appuyant sur la vitesse de Free Spirit. La mer est agitée, enfin toujours la même quoi. Le ciel est voilé est laisse glisser quelques nuages d'Alizé. Très bon présage ! Ceci dit : les orages ne manquent pas à l'horizon. Barre amarrée : Free Spirit assure la gouverne ! Yalah... 12h30 : avant même d'avoir croisé l'Equateur ; les Alizés de nord-est d'environ 14-18 nœuds tant désirés nous happe tendrement vers notre prochaine destination. Je n'ose y croire. En revanche : fini le portant, Free Spirit navigue dorénavant au près bon plein. Avantage : il barre tout seul et maintient parfaitement son cap. Inconvénient : le confort de vie à bord, avec toujours cette mer croisée, sans compter que maintenant : la houle nous heurte par le travers tribord. 17h10 : heure GMT - 1, par 00°00.000 de latitude sud puis 00°00.000 de latitude nord, et 42°16.233 de longitude ouest ; nous croisons l’Equateur pour la seconde fois au cours du voyage de Free Spirit... et pour la quatrième fois au cours de ma vie d'écumeur des mers. Hourra !!! 17h11 : nous évoluons donc de nouveau au sein des latitudes propres à l’hémisphère nord après avoir navigué 2 ans et 9 mois dans l'hémisphère sud ! "Je m'adresse à vous ; Neptune, Poséidon, ainsi que Eole. Buvez donc une rasade de bon rhum agricole antillais à notre santé, Free Spirit et moi ! Trinquons ensemble Nobles Dieux des Océans... A la votre !". "Je m'adresse à toi ; mon Free Spirit dont je suis très fier. Bienvenu dans l'hémisphère nord. Bon vent. Longue et belle route ensemble mon fidèle Compagnon de voyage !". Certificat de passage de l'Equateur. "Je, soussigné OZON Benoît, agissant en tant que Capitaine de vaisseau sus nommé "Free Spirit", certifie sur l'honneur, avoir bien croisé l'Equateur du sud au nord par 42°16.233 de longitude ouest le mardi 25 mars 2014 à 17h10 (GMT - 1 heure), en approche de la Guyane Française, à 155 milles des côtes brésiliennes, après 22 jours de mer et 2 380 milles parcourus depuis l'île de Sainte-Hélène. Afin de faire valoir ce que de droit ! " OZON Benoît De plus : nous nous payons le luxe d'avoir un témoin sous la forme de ce pétrolier qui se dirige vers le port de Belém, et qui croisera notre sillage à moins d'un mille à la seconde exacte où nous quitterons l'hémisphère sud. Une bouteille sera jetée à la mer pour cette occasion très spéciale... en espérant toujours qu'elle trouvera sa voie vers une âme à l'esprit curieux et voyageur. 18h00 : JOUR 6. 00°02 nord, 42°20 ouest ; 87 milles parcourus. Il nous reste 690 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Nous assistons avec une certaine nostalgie, pimentée d'un soupçon de mélancolie, au premier coucher de soleil des latitudes nord : il est très exactement 19h59. 20h00 : ce que je redoutai arriva : la pluie, passe encore, mais la pétole... flûte alors ! Je suis contrains de tout affaler en attendant que la brise nous reprenne. Minuit : après 4 heures de dérive, l'Alizé de nord-est nous honore de sa douce puissance. Trinquette + GV à 2 ris, allure de travers bon plein, barre amarrée, cap au 330°. 1h30 : c'est la bi-route entre Fernando de Noronha et Kourou. Mercredi 26 : Lever de soleil : 7h54. Vent de nord-est 15-18 nœuds. Ciel d'Alizés, à tendance très nuageuse. Mer agitée, houle de nord-est de 1,5 à 2 mètres. Le fait de retrouver de la gîte, de prendre la mer par le trois-quarts de face, me rappelle que je suis loin de tenir la grande forme olympique. J'ai l'impression d'avoir un mois de saison estivale dans les pattes, que je sens parfois se dérober sous mon poids au gré d'un mouvement imprévisible et brutal comme il y en a tant. Une petite différence (il y en a d'autres quand même !) subtile à prendre en considération : c'est qu'en saison : je perds en moyenne 3 à 5 kilos. Là : j'en prends 4 !!! Mais, vous allez penser : "Il se repose toute la journée !!! ". A cela je réponds "Oui et non". D'abord ; il est certain que je passe plus de temps en position allongée, que dans toutes les autres positions confondues. MAIS... Préparer les repas, manger, faire la vaisselle, lire, dormir, manœuvrer, barrer, se déplacer, se doucher etc... tout ceci se joue dans un contexte de mouvement perpétuel, immuable, avec plus ou moins de d'insistance et de violence. A cela s'ajoute : la veille obligatoire qui consiste quoi qu'il arrive à me lever pour faire un tour d'horizon toutes les 90 minutes grand maximum, les nuits blanches ou sans sommeil pour les raisons que vous connaissez, le manque d'exercices, la chaleur, l'humidité, la fatigue accumulée etc... Croyez-moi : je ne suis pas du genre petite nature, mais tous ces facteurs mis bout à bout ; ça use ! Et quand j'analyse l'exploit que réalisent les coureurs autour du monde, en solitaire ou en équipage, de tous âges, et bien je dis "Respect". Ceux sont de véritables héros des temps modernes. 18h00 : JOUR 7. 00°43 nord, 43°32 ouest ; 85 milles parcourus. Le courant nous fait encore faux bon, de plus ; 4 heures à la dérive, c'est encore une vingtaine de milles de perdus. Il nous reste 607 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Une semaine s’est déjà écoulée et Free Spirit a parcouru 733 milles à 4,4 nœuds de moyenne et 105 milles en temps réel, et 5 nœuds en temps compensé (moins les 23 heures passées à la dérive à attendre le vent ou les tracasseries du pot au noir), égale à une distance quotidienne parcourue de 121 milles. Quoiqu'il en soit : les chiffres ne mentent pas, et nous sommes toujours bénéficiaires par rapport aux prévisions les plus optimistes que je nous avais fixé qui étaient de 100 milles par jour. J'installe le lit de camp parce que dans la cabine avant ; ce n'est plus jouable. On se croirait embarqué dans un frêle avion au beau milieu de turbulences perpétuelles les pires qui soient possibles d'imaginer. La nuit est noire, mais pas si étoilée que cela malgré une faible couverture nuageuse. Peut-être une forme de brouillard en haute altitude. Jeudi 27 : 7h00 : RAS, pas de changement côté météo. En revanche : deux matins de suite, j'ai droit à une petite contrariété dont je me passerai bien. Hier : je découvre au pied du puits de dérive les restes d'écailles et d'ailes d'exocet le tout tachés de sang sur le tapis persan de Belle-Maman ! Catastrophe... au saut du lit ; ça fait plaisir ! Et ce matin ; le sachet de croquettes qui part en sucette sous le coup de gîte imprévisible et fatal. Je hurle de douleur neuronale ! Trinquette sait d'avance que là : il vaut mieux qu'elle s'éclipse quelques instants, le temps, que je me calme, que je ramasse et nettoie tout ce fourbi, que je me réveille, prenne mon petit dèj... et après on verra. 12h00 : on se traîne ! le vent adonne légèrement à l'est nord-est tout en faiblissant à 12-15 nœuds. Je libère le second ris dans la GV, que je reprendrai à minuit, heure à laquelle la brise reprendra des forces, et Loulou de s'adjuger de nouveau les commandes de Free Spirit... pour la première fois depuis que nous sommes repassés dans la moitié nord du globe. 18h00 : JOUR 8. 01°32 nord, 44°47 ouest ; 90 milles parcourus. Mais pourquoi on n’avance pas ??? Toujours ce contre-courant équatorial sans doute, car en surface notre vitesse demeure plutôt stable autour de 4,5 à 5 nœuds. Il nous reste 518 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. Vendredi 28 : Bonne anniversaire Maman chérie ! 8h00 : changement de décor. Le vent souffle irrégulièrement de secteur nord-est à est nord-est, de 15 à 25 nœuds, le ciel est gris, chargé de nuages opaques, la mer est très agitée jumelée à une houle courte de nord-est de 2 à 2,5 mètres. Au moins : l'air ambiant est un peu plus respirable. Paradoxalement : la pluie s'abstiendra de tomber. On pourrait presque s'attendre à un temps à neige... taux d'humidité dépassant allègrement les 90%, en revanche 32 degrés au thermomètre ; ce n’est sûrement pas l'idéal ! Malgré ce ciel chaotique, avec la latitude 2° nord dans notre sillage ; nous sommes définitivement débarrassé de la menace ZCI et son lot d'orages, de pluies diluviennes, de calmes plats et de rafales sporadiques. Afin d'asseoir ma théorie : la constance des Alizés de nord-est confirme cette analyse. Donc ça glisse ! Grosso modo à cinquante/cinquante : Loulou et Free Spirit se partagent à tour de rôle les quarts au poste de barre au gré des variantes de cap et de direction de l'Alizé. Moi : je compte les points, et en profite pour me plonger sans retenu dans la lecture, à raison d'un roman tous les 3 ou 4 jours ! Mes auteurs préférés du moment : Jack London, Maxime Chattam, Jean-Christophe Grangé, Guillaume Musso, Clive Cussler (Kirt Austin, la NUMA : j'adore), Harlan Coben, Stephen King, Henning Mankell, Mickael Connely, Deon Meyer, Marc Levy, Exbrayat, Sylvain Tesson, Alexandre Poussin, Eric Tabarly... 18h00 : JOUR 9. 02°28 nord, 46°20 ouest ; 109 milles parcourus. Il nous reste 410 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. 22h00 : fini les vacances, le farniente les doigts de pieds en éventail, retour à la dure réalité de la vie océanique à bord de Free Spirit. Le vent forcit à 30 nœuds, me contraignant à sortir afin de prendre le 3ème ris dans la GV, alors que doucereusement : je me préparais à me pelotonner corps et âme dans les bras de Morphée. Je m'extraie donc de mon lit de camp, puis de la descente, et, frontale à poste et bille en tête, et là je me prends une claque piscicole monumentale en pleine tronche sous la forme d'un exocet gros comme un bar de ligne en mode vol de nuit. Trinquette ne tardera pas à me venger, malgré l'imposant morceau. Donc je me remets de mes émotions et chemin faisant en direction du pied de mât (car je vous le rappelle j'étais parti pour prendre le 3ème ris), encore sur le passavant tribord : VLAM !!! Une déferlante me submerge des ampoules à leds de la lampe frontale jusqu'aux ongles des doigts de pieds. Sapristi, qu'est-ce que j'ai fait, ou ne pas fait, pour mériter pareil châtiment. 1h00 : le petit coup de boost alizéen s'en est allé, et l'anémomètre n'affiche guère plus que 22 nœuds, et descend parfois à 12. Je laisse courir côté voilure. On ne sait jamais. Samedi 29 : 7h00 : le vent souffle de secteur est ce matin, 15 nœuds en force. Nouvelle allure de largue. Chouette : du portant ! Je repasse la GV à 2 ris et tangonne la trinquette sur tribord. A oui : je ne vous ai pas dit... mon génois s'est déchiré, sur 1 mètre environ, à 1 cm ou 2 parallèlement à la bande anti UV, le long du bord de fuite (vertical). C'était un endroit légèrement découvert lorsque le génois était enroulé, et donc les UV ont fortement fragilisé le tissu. L'usure et les milles parcourus ont fait le reste... C'est exactement la même avarie que sur le premier "vieux" génois acheté d'occasion aux puces de La Rochelle un peu avant le départ. Celui-ci s'était déchiré en arrivant à Ouvéa, au moment où j'étais en train de l'enroulé sous un grain menaçant. Il doit aujourd'hui faire le bonheur de quelques pêcheurs de l'île Rodrigues à qui j'en avais fait don. Pour en finir avec la météo du jour : la mer agitée ondule sur une longue houle d'est de 2 à 2,5 mètres. Soleil et nuages se partagent équitablement le ciel tropical. 11h00 : 1 000 milles de distance viennent d’être engrangés depuis l'île de Fernando de Noronha en 9jours et 17 heures, soit 4,3 nœuds de moyenne et 103 milles en temps réel, et 4,7 nœuds en temps compensé (moins les 23 heures de dérive), égale à une distance quotidienne parcourue de 114 milles. Nous sommes toujours dans les temps fixés, malgré une baisse sensible de la moyenne par rapport au bilan de la première semaine de navigation. 14h00 : à nouveau de l'Alizé de nord-est, plutôt faible ; entre 10 et 15 nœuds grand maximum. Trinquette + GV à 1 ris, allure de bon plein, toujours tribord amure. Loulou en profite pour prendre une pause, Free Spirit fait route au 320°. 18h00 : JOUR 10. 03°19 nord, 47°56 ouest ; 110 milles parcourus. Il nous reste 302 milles à parcourir jusqu’à Kourou en Guyane Française. En pleine pause dinatoire : un petit grain crépusculaire aux idées un peu tordues me contraint à prendre le 2ème, puis dans la foulée le 3ème ris à la vitesse de l'éclair. Une heure plus tard, le temps de terminer mon repas, froid, et la GV repasse à 2 ris pour la nuit. Dimanche 30 : 6h00 : vent de secteur est nord-est sifflant dans les haubans à la vitesse de 15 nœuds. Passage en mode ciseaux, trinquette tangonnée sur tribord. La mer est agitée, évoluant sur une houle de nord et parfois nord-est, creux de 2 à 2,5 mètres. Le ciel a revêtu son complet gris uni, costume 3 pièces, sans oublier les gants, l'écharpe et le bonnet. Pas le moindre mètre carré d'espace libre afin d'y laisser s'engouffrer le rayonnement solaire. Le baromètre joue au yoyo depuis 2 jours : semblant mimer par de faibles amplitudes les rythmes des marées. Baro haut à midi et minuit, baro bas à 6 heures et 18 heures... Taux d'humidité dans l'air et température : - la nuit = 96%, 29°C, - le jour = 89%, 32°C. 9h30 : euh, l'addition s'il-vous-plaît ! Il était temps ; à 200 milles de l'arrivée ! Et oui : les conditions s'annoncent musclées. Le vent mugit d’une plus grande vigueur pour s'établir à 25-30 nœuds. Le ciel laisse entrevoir de larges éclaircies, tandis que quelques fines averses sporadiques contribuent au rinçage à l'eau douce de Free Spirit et de son capitaine qui reprend ses quarts au poste de barre. Et pour cause : la mer gronde, les déferlantes vrombissent comme les moteurs de voitures garées sur un parking de night-club un samedi soir sur la Terre. La longue et majestueuse houle de nord nord-est ne cesse de s'amplifier, et par la même de nous assaillir avec une certaine insistance par le travers tribord. Des conditions pas faciles à gérer pour Loulou, surtout que nous filons aux allures très légèrement abattues ; à mi-chemin entre le vent de travers et le largue, juste à la limite du détangonnage. Mais comme d'habitude ; c'est en véritable conquérant qu'il domine toujours sans ciller la situation. L'avantage : c'est que ça cartonne !!! Les milles défilent à la vitesse de... de... de la fusée Ariane tiens ! Tout de même : elles ne vont pas être de tout repos ces dernières heures de navigation vers la Guyane. 15h30 : oh !!! Incroyable mais vrai... je reste coi, hébété, tellement surpris à la vue d'un voilier qui nous prend en chasse ! Je reconnais la silhouette de ce catamaran de 15 mètres et son couple de propriétaires anglais pour avoir été voisin de mouillage à Walvis Bay en Namibie, puis à Sainte-Hélène. Un appel VHF sur le canal 16 me le confirmera. Nous ne nous sommes jamais côtoyés, je dirais même que c'est la première fois que nous entamons un semblant de discussion. Surprenant : le sondeur vient de capter le plateau continental sud-américain par 100 mètres de profondeur, à 65 milles des côtes brésiliennes et à 85 milles de la frontière entre le brésil et la Guyane. 18h00 : JOUR 11. 04°31 nord, 50°17 ouest ; 159 milles parcourus. Encore une fois : nous échouons à 3 milles du record des 24 heures, bien que ces dernières 12 heures aient été extrêmement rapides. Il nous reste 145 milles à parcourir jusqu’à la bouée d'atterrissage du chenal d'accès, puis encore 7 milles jusqu'au mouillage de Kourou. 20h31 (toujours à l'heure de Free Spirit !) : le soleil s'éclipse derrière l'horizon. En espérant que le prochain sera sur terre ! Et comme tous les soirs depuis quelques jours maintenant ; toujours à l'heure du dîner cela va de soit, grain, pluie, petit coup de zef à 30 nœuds, prise du 3ème ris dans la GV, le tout sans dissimuler un léger ras l'bol ! La bonne nouvelle vient de ce génial courant de Guyane qui devrait, si tout se passe bien, nous faire passer la prochaine nuitée... au mouillage, et surtout au calme. En attendant, c’est une nuit macabre que nous vivons en ce moment, une pure et diabolique hécatombe ! Oui : Trinquette s'est métamorphosée en la plus redoutable et cruelle serial killer du monde des chats-navigateurs ; des meurtres en série ainsi que d’horribles et insoutenables atrocités vont être perpétrés ici même, à bord de Free Spirit. Le modus operandi (mode opératoire du tueur en série) est semblable à celui de tous les plus grands prédateurs de la race féline ; à savoir ablation des yeux, des naseaux, de la bouche, la tête, les nageoires, les ailes, la queue, dépeçage de ce qui reste du corps, pour enfin se décider à achever sa proie en la dévorant. Ce véritable carnage est un des plus sauvages jamais exécuté lors de ce voyage. En fin de nuit : elle ne tuait même plus pour se délecter de ses victimes, mais juste pour assouvir ses instincts destructeurs et fantasmagoriques d'assassin en puissance, aux tendances pas encore vraiment définies : moitié psychopathe, moitié psychotique, comme poussée par une inextinguible folie furieuse et meurtrière. Je ne la reconnaissais plus. Quelques corps sans vie, affreusement mutilés, jonchent encore la scène de crimes, à savoir le plancher en teck ajouré et tâché du sang de ses nombreuses victimes, malgré quelques déferlantes venues, en vain, effacer les traces indélébiles de ce monstrueux carnage. Notre sillage phosphorescent ressemble à la trace éphémère dessinée par une étoile filante, au milieu d'une myriade d'autres étoiles brillantes et scintillantes laissées par les crêtes déferlantes alentour. Vas mon brave Free Spirit ; hardi et insatiable écumeur des mers ! Fin de nuit : nous forçons la frontière marine entre les eaux territoriales brésiliennes et guyanaises, retour en territoire français. Lundi 31 mars 2014 : Lever de soleil : 8h27. Vous avez remarquez ! A 4 minutes près : 12 heures de jour, 12 heures de nuit. 8h30 : vent d'est 25-30 nœuds, avec des rafales à 35 nœuds sous quelques nuages de basses altitudes. C'est marrant car on ne ressent pas le vent sur le bateau comme il devrait être. Et pour cause : jumelé au courant de Guyane que j'estime entre 2 et 2,5 nœuds, nous filons grand-largue à près de 9 nœuds de moyenne, ponctué de surfs à 12-13 nœuds, sans jamais descendre en dessous de 7 nœuds. Autant vous dire que ça avionne. La mer est très agitée, parfois forte. La houle d'est nord-est a nettement pris de l'ampleur, sûrement sur-gonflée de part la faible profondeur de la zone que nous abordons : entre 30 et 40 mètres de fond. Les creux atteignent 3,5 mètres par série. Les départs au lof sont parfois impossibles à minimiser. Mais Loulou assure comme un pro. Le ciel est gris tous azimuts et sur plusieurs couches atmosphériques. Il pleut faiblement par intermittence. On dit que nous avons 98% de chance d'atterrir, de séjourner, puis de repartir de Guyane sous la pluie. Mais le mois de mars est censé être le plus sec de l'année paraît-il, période durant laquelle ce pourcentage chute littéralement à... 96% !!! Ah la Guyane et la pluie, c'est comme les Cocos Keeling Islands et ses Alizés soutenus : indissociables ! "Fusée Ariane en approche de la base aérospatiale de Kourou, vous me recevez ? Over..." Nous avons couvert en mode diurne 108 milles en l'espace de 13 heures, dont 12 sous les manettes aguerris de Loulou. Mon Champion a maintenu une moyenne record de 8,3 nœuds. Bon d'accord, il est impossible de nier l'intervention bénéfique et virulente du courant marin, mais quand même : les conditions n'en demeurent pas moins musclées, donc respect... et bravo ! Vous savez à quoi cette navigation me fait penser ? A une entrée fracassante en Gironde par baston de nord-ouest, marée montante. La couleur de l'eau (entre vert kaki ambiance armée de Terre et marron très clair), la vitesse GPS, l'état de la mer, des cieux etc... La terre se fait désirer et tarde ainsi à se dessiner dans cette espèce de brume de chaleur. A moins de 10 milles de la côte, et alors que le ciel se dégage progressivement, toujours pas de relief visible. Etonnant. Il faudra attendre d'être à 6 milles des îles du Salut pour en apercevoir leur forme, au nombre de 3. Par contre : le continent n'est toujours pas visible. Mais ça va venir… 10h45 : Terre continentale en vue ! Manœuvre de détangonnage suivi par un empannage. Il nous reste 7 milles à parcourir jusqu’au mouillage, en embouchure de rivière. Nous empruntons donc le chenal d’accès régulièrement dragué afin de maintenir une profondeur minimum de 4 mètres à marée basse, allure de petit largue, cap au 210°. Malgré la marée montante, et un courant favorable faible au début : Free Spirit est parti une demie douzaine de fois au surf, catapulté par de véritables déferlantes comme on en voit le long de plages de la côte sauvage. Il est vrai que la mer est relativement mauvaise, mais si le courant avait été contraire, bonjour l’ambiance. La couleur de l’eau est définitivement marron, semblable à celle de la baie de Bonne-Anse. J’aperçois 3 kites naviguant le long de la longue plage qui s’étend vers le nord-ouest, à partir de l’embouchure de la rivière. Arrivée à midi, voiles affalées, 5 minutes de moteur, juste le temps se s’amarrer sur une place de ponton… que je pensais libre… alors qu’il va s’avérer qu’elle appartient à quelqu’un de peu fréquentable, et je pèse mes mots afin de ne pas tomber dans l’engrenage de la vulgarité. Position GPS du mouillage de Kourou : 05°08.85 de latitude nord, 52°38.64 de longitude ouest. Je recule ma montre de 2 heures. Ce soir ; le soleil se couchera à 18h32. Pour en revenir à notre marathon de fin de parcours : 152 milles ont été parcourus en 18 heures, 6 heures avant d’entamer le début du douzième jour de navigation. Mais surtout l’extraordinaire nouvelle : 205 milles ont été couverts les 24 heures qui ont précédées l’arrivée sur les îles du Salut, soit 8,5 nœuds de vitesse moyenne ! Juste impensable. Un record pulvérisé, un exploit absolu pour Free Spirit pour lequel je ne saurais exprimer une certaine fierté ! Bravo la Team2Choc ! 2 heures plus tard : je foule avec délectation le sol continental sud-américain, rigide, immuablement ferme et immobile. A 19 heures : le monsieur en question, d’ores et déjà à couple de Free Spirit sur son gros catamaran Lagoon, me somme de quitter le ponton illico presto car je suis amarré sur SON emplacement. Je m’exécute car je ne veux pas me prendre la tête avec ce genre d’individu néfaste pour mon moral. Le mouillage dans la rivière est un peu technique, et laisse quelque peu à désirer. Lorsque l’Alizé souffle fort et que la marée se met à descendre ; le courant, lequel atteint 3 nœuds au plus fort de la marée (en plus : nous sommes en pleine période de vives eaux, avec un coefficient de 105, et plus de 2,5 mètres de marnage), lève alors un violent clapot et le bateau ne sait plus s’il doit se mettre face au vent, ou face au courant. Par conséquent : il reste en travers des 2 éléments, d’où le côté désagréable et inconfortable de la position anormale. Bref : grâce à cette mise à la porte : une fois mon ancre au fond (une vase bien visqueuse bien entendu), une voix me demande si je veux venir prendre un verre à bord de leur bateau. Mon voisin est un Pago 10,50, baptisé Safran Rouge, immatriculé à La Rochelle. Super cool… après cette très mauvaise expérience que je viens de subir : j’accepte l’invitation avec enthousiasme !!! Ils connaissent notre ami commun pour avoir vécu exactement la même expérience que moi. Sauf qu’ils étaient 2 et qu’ils ont bien failli en venir aux mains ! Passons… Une fois les présentations faites, je pose la question de savoir si Safran Rouge a déjà régaté, et si par le plus grand des hasards ils connaissent Team2Choc (le Bepox de couleur rose) et son heureux propriétaire. Et de me répondre : « Alex… ah ben oui bien entendu. Qui ne le connaît pas ? Il connaît d’ailleurs Safran Rouge pour avoir participer à une séance d’entraînement à bord ». Du tac-o-tac, accentué par une certaine excitation : je leur annonce que Alexandre Ozon, la personne dont nous parlons depuis 5 minutes, est mon frère jumeau. Patrick me braque sa frontale dans mes yeux fatigués et légèrement rougis par le soleil et les embruns… et peut-être les 2 cl de rhum que je viens de m’enfiler en guise de bienvenu, et me lance « Mais c’est vrai qu’ils ont un certain air de famille ces 2 là ! Dans la pénombre et avec ta barbe de un mois, la ressemblance n’était pas évidente de prime abord ! ». Encore une rencontre qui, à mes yeux, n’a pas de prix ! Résumé de la deuxième partie de la traversée vers Kourou. Free Spirit a parcouru 1 353 milles en 11 jours et 18 heures, à 4,8 nœuds de moyenne pour 115 milles journaliers en temps réel, et 5,2 nœuds de moyenne en temps compensé (moins les 23 heures passées à la dérive à attendre le vent). Soit une moyenne quotidienne compensée de 125 milles. 1 coup de vent à 30-35 nœuds à l’arrivée sur Kourou, mais rien de bien méchant ! 10 minutes de moteur en tout afin d’assurer la manœuvre d’accostage au ponton, puis le mouillage. 23 heures à la dérive. 100 heures de barre pour Free Spirit, 106 heures pour Loulou, 18 heures pour Kit, et 35 heures pour le capitaine. Une journée « record des 24 heures » à 205 milles ! Et juste pour le fun : Résumé des 2 traversées successives depuis l’île de Sainte-Hélène. Free Spirit a parcouru 3 111 milles en 27 jours et 18 heures, à 4,7 nœuds de moyenne pour 112 milles journaliers en temps réel, et 4,9 nœuds de moyenne en temps compensé (moins les 28 heures passées à la dérive à attendre le vent). Soit une moyenne quotidienne compensée de 117 milles. Des chiffres parfaitement honorables comte-tenu des conditions défavorables qui peuvent être rencontrées sur cette route. LE coup de vent à 30-35 nœuds à l’arrivée sur Kourou. 20 minutes de moteur en tout. 28 heures à la dérive. 101 heures de barre pour Free Spirit, 411 heures pour Loulou, 36 heures pour Kit, et 90 heures pour le capitaine (proportionnellement au nombre de milles parcourus ; c’est une des traversée durant laquelle j’ai passé le moins de temps au poste de barre). Et cette fameuse journée mémorable : « THE record of 24 hours » à 205 nauticals miles ! Of course…

1 commentaire:

  1. félicitations mon caf pour ton record
    profites en bien pour kitter un peu
    bon vent à toi
    Franck de la Run

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