Traversee de la Nouvelle-Caledonie a l'Australie.

Départ de Nouvelle-Calédonie vers le détroit de Torrès en  Australie.


          « Cette aventure ne peut être vécue pleinement qu’au travers de mes écrits. Ils sont la seule et unique façon de garder le contact avec vous, de partager et de vous faire vivre, ensemble, ce que j’observe, ressent, imagine parfois. Mais j’ai bien noté que vous aimiez aussi les nombreuses photos que je télécharge sur Facebook ! Tout ce que je souhaite ; c’est du bonheur pour toutes et tous…  Bon vent et @ bientôt  ».



Petit rappel du programme de navigation post Nouvelle-Calédonie.

La saison des cyclones étant définitivement terminée, il nous faudra mettre le cap sur le détroit de Torrès (entre le nord de l'Australie et la Papouasie - Nouvelle-Guinée) via la route des Alizés de sud-est (car toujours dans l'hémisphère sud). 1 500 milles.
La navigation qui relie le détroit à l'île de Bali devrait être assez rapide car le vent et le courant pousse dans le même… et en principe ; LE bon sens. Encore 1 600 milles. Il nous faudra quitter Bali au plus tard mi-juillet.
La longue route à travers l'océan Indien peut-être entrecoupée d'escales à l'atoll Coco Keeling (1 080 milles), l'île Rodrigue (1 950 milles), l'île Maurice (340 milles), l'île de La Réunion (120 milles), le sud de Madagascar (600 milles), et enfin l'Afrique du sud en décembre (1 500 milles). Ce qui nous fait un total approximatif d'environ 9 600 milles nautiques... Disons 10 000 milles ! A parcourir en moins de 7 mois car la saison des cyclones dans l'océan Indien sévit à partir de la fin du mois de novembre, date à laquelle il faut impérativement avoir touché les côtes de l'Afrique du sud. La saison des cyclones dans l'Indien étant beaucoup plus active que dans le Pacifique, pas question de prendre des risques inutiles. Quant au passage par la Mer Rouge et le Canal de Suez ; merci… mais non merci !



-          Mercredi 29 mai 2013 :
Ce sera donc à Koumac que se feront mes « au revoir » à la Nouvelle-Calédonie, du moins à un entourage connu. Merci encore à tous mes amis, ces belles rencontres et expériences qui rendent le voyage et les escales inoubliables.

16h00 :  allons-y mon fidèle compagnon, allons testé la propreté et l’efficacité de ta carène toute fraîchement repeinte ! Malgré un léger surpoids relatif aux préparatifs de grande traversée ; on va tout de même vite sentir la différence !
Vent de sud-est 20 nœuds. Beau temps, mer calme. Nous partons dérive relevée car notre itinéraire nous fait passer dans des eaux peu profondes, à proximité de la côte.
Voiles en ciseaux, GV à 1 ris, cap au 320°, plein vent arrière.
Nous passerons la nuit à la baie du Croissant, à 25 milles de Koumac, que nous atteindrons en moins de 4 heures, grâce à quelques accélérations à 9 nœuds, un vent qui va tenir jusqu’à notre arrivée au mouillage à 19h30, et malgré un courant de marée contraire car montante d’environ 0,5 nœud (rien à voir avec le Raz-de-Sein non plus !). En général : l’Alizé tombe avec le soleil, dû au phénomène thermique. Parfois, il joue les prolongations pour notre plus grand bonheur.     

-          Jeudi 30 :
Prochaine et dernière escale proche de la civilisation ; le village de Wala, île Art aux Belep, distant de 45 milles dans le 325°.
Le ciel s’est couvert après une nuit très étoilée, le vent souffle irrégulièrement de 12 à 20 nœuds du sud sud-est.
La marée étant montante ; nous devons encore lutter contre un courant contraire dépassant 1 nœud à certains passages proche de caps ou d’îles. Vous allez me dire : « Comment fait-on pour estimer la force du courant ? ». Facile : à conditions d’avoir des instruments de navigation bien étalonnés. La vitesse du courant est égal à la différence entre la vitesse affichée par le GPS (vitesse fond, ou vitesse instantanée par rapport au sol) et la vitesse affichée par le loch-speedo du bateau (petite hélice placée sous la carène, elle indique la vitesse surface, ou vitesse du bateau par rapport à la mer).
Exemple : mon loch-speedo indique régulièrement 12 nœuds, le GPS ne dépasse jamais les 11 nœuds. Résultat : nous nous battons contre un nœud de courant défavorable. OK ?
GV à 1 ris, voiles en ciseaux : notre route est tellement proche de l’axe du vent (portant heureusement) que je ne sais sur quelle amure danser !
11h00 :  nous quittons le parallèle 20° de latitude sud. Nous les retoucherons de nouveau dans l’océan Indien, lors de notre arrivée sur l’île Maurice.
11h30 :  l’Alizé a forcit d’un coup d’un seul avec l’arrivée d’un grain. De plus ; nous ne sommes plus du tout abrité par la Grande-Terre.  Il s’établit à 30-35 nœuds (mais pas plus !). J’affale la grand-voile, et hisse la trinquette sur bâbord, le génois très très enroulé reste tangonné sur tribord. La mer se creuse, se croise et déferle par intermittence, creux de 1,5 à 2 mètres. On accélère foncièrement ; le GPS indique souvent 10 ! Et pourtant, par sécurité, je navigue toujours sous-toilé.
Je vois ma ligne se tendre et se détendre dans la même seconde. Je ne saurais jamais ce que c’était, mais ce n’était sûrement pas une bonite ! En tout cas ; tout le bas de ligne a disparu. L’attentat n’a pas été revendiqué !
16h00 :  nous arrivons à la baie qui abrite le village de Wala : 24 heures d’arrêt-repos bien mérité !  Ah ici aussi y’a des serpents ! J’en surprends deux qui serpentent de concert, écailles contre écailles. Je les soupçonne d’être en mode accouplement.

-          Vendredi 31 mai :

Bon anniversaire Papa !

Beau et bon mouillage, belle baie, village très pittoresque constitué de nombreuses cases mélanésiennes traditionnelles, noyées dans une végétation tropicale très abondante. Toute la panoplie des arbres fruitiers y passent. L’ambiance nonchalante et amicale me rappelle beaucoup les îles Marquises en Polynésie, mais sans l’odeur perpétuelle et particulière de la fleur de Tiaré et des pamplemousses endémiques de ces îles enchantées.
Les villageois sont souriants et accueillants, la vue panoramique de l’église vaut le coup d’œil. Dommage qu’il ne fasse pas beau.
J’en profite pour consulter ma messagerie électronique, donner les derniers coups de téléphone ça et là, prendre les prévisions météorologiques lesquelles, une fois n’est pas coutume, m’autorisent encore à constater que tout ça ; c’est du pipeau !!!
16h00 :  pour la peine : je lève l’ancre et mets les voiles… na !
Météo France annonce 15 à 20 nœuds de sud-est, averses éparses. D’accord pour la direction, mais pour le vent et la pluie ; il suffisait de constater : depuis hier déjà : il pleut beaucoup plus que annoncé, et surtout ça buffe à 30-35 nœuds ! J’en arrive à me demander s’ils touchent des primes sur les ramassis de co.....es qu’ils divulguent au grand public jour après jour ?
A la sortie de la baie : une fois sur le cap 320°, l’anémomètre affiche un mini à 30 et des claques à 40 nœuds ! GV à 3 ris + 3 m2 de génois tangonné sur bâbord suffiront largement à nous propulser à plus de 6 nœuds de moyenne. Le ciel est tout gris et menace de nous rendre la vie dure. Il pleut en mode crachin breton. La mer est très agitée, désordonnée, croisée en tous sens, creux de 2 à 2,5 mètres. Je pense que c’est dû aux différentes rencontres de courants, ainsi qu’à la proximité de nombreux îlots et hauts-fonds car nous naviguons dans le lagon. A l’extérieur de la barrière récifale, la houle de sud était annoncée à plus de 4 mètres.
Minuit :  le ciel se dégage enfin, les nuages endiablés laissent place aux étoiles étincelantes, à la demi-lune décroissante rendant parfaitement visibles les 15 m2 de toiles que portent Free Spirit ainsi que les crêtes déferlantes sculptées par le vent et les courants du pacifique sud. J’ai dit « Pacifique ? ».
Au moment où nous touchons les grands fonds, à la sortie nord du lagon, dans le transit du Grand Passage large d’une trentaine de milles, nous ressentons de suite la montée de la fameuse houle du sud sud-ouest. Cette portion de route jusqu’aux récifs d’Entrecasteaux sera fort désagréable. Impossible de trouver le sommeil dans ces conditions. De plus ; je veille  chaque demi-heure au cas où. Mais personne d’autre ne navigue…

-          Samedi 1er juin :
7h00 :  je troc la frontale contre les lunettes polarisantes. Nous nous engageons entre l’atoll de la Surprise que nous laissons sur tribord, et l’atoll du Portail sur notre bâbord. La mer semble s’être calmée un peu, mais pas pour longtemps. Car à 9h30 : nous retouchons du courant contraire, et la mer redevient bouillon. En revanche : le vent paraît vouloir s’établir à 25-30 nœuds sous les larges éclaircies. Il remonte à 35 nœuds au passage des grains. Et il y en a encore : surtout lorsque tu as besoin de naviguer à vue, et qu’à fortiori, tu ne vois plus rien !
Nous pénétrons dans l’atoll de Huon par la passe sud avant midi. Le soleil est haut dans le ciel, et la visibilité est suffisante. Mais c’est sans compter la loi de Murphy !
Dans la passe ; nous devons faire du près car orientée ouest-est, presque dans l’axe de l’Alizé. Le soleil se cache derrière un énorme grain. Il se met à pleuvoir. Le vent faiblit et refuse. GV à 2 ris + trinquette. Et la cerise sur le gâteau : l’atoll, comme aux Tuamotu lorsqu’il est soumis à une forte houle, subit le phénomène d’ensachage. C’est-à-dire que l’atoll se remplit de toute part, les vagues passant allègrement par-dessus la barrière de corail, et les seuls endroits où le surplus d’eau peu s’évacuer : ce sont par les passes.
Donc nous sommes refoulés par 2 à 3 nœuds de courant sortant !
 Il nous faudra lutter pendant plus d’une heure et tirer 3 bords pour pouvoir gagner 1,5 mille au vent de l’entrée de la passe. Une fois dégagée, je mets directement le cap sur le mouillage, il reste 9 milles et quelques, que nous couvrirons au bon plein tribord amure en 1 heure et demi, à plus de 6 nœuds de moyenne !
Les grains s’enchaînent, la visibilité reste médiocre car le soleil est souvent caché. Le sondeur indique 40 à 45 mètres sur au moins 6 milles. Sauf qu’à un moment donné ; je laisse à tribord à moins de 30 mètres de nous, une patate recouverte d’à peine 2 mètres d’eau. Un truc qui monte carrément à pic, pas signalé sur les cartes ou alors avec 1,5 mille d’erreur de positionnement, et que j’ai failli me prendre à plus de 6 nœuds de vitesse !
D’ailleurs pour en revenir avec le positionnement GPS : depuis l’archipel des Bélep, j’ai remarqué un écart de 0,4 mille sur certaines zones. J’ai déjà entendu parler de cette erreur par un copain de bateau. Il faut donc naviguer prudemment, en connaissance de cause, et si possible toujours à vue.
Peu avant d’entrée dans l’atoll ; j’avais plongé ma ligne de traîne avec un bas de ligne neuf puisque l’ancien a été littéralement arraché par je n’sais quoi. Tout ce que j’arrive à chopper ; c’est un abruti de fou-de-bassan, pas très sympathique d’ailleurs. L’hameçon était planté dans sa patte palmée. Il m’a mordu 2 fois au poignet et a tenté  d’en faire autant sur Trinquette lorsqu’elle a essayé de lui sauter dessus pour peut-être lui bouffer une cuisse ou je ne sais quoi d’autre. Bref ; il a fallu que je lui plaque le bec avec une main, et que je libère l’hameçon avec l’autre main. Pas facile comme manœuvre. Mais tout se termine bien. Le fou rejoindra les siens, lesquels sont présents sur l’îlot par centaine, avec puffins, mouettes et frégates. Le paradis des oiseaux, loin de tout et principalement des hommes !
14h00 :  je laisse plomber l’ancre par 3,5 mètres de fond de sable. L’eau est très claire. Le mouillage est abrité du clapot et du ressac, mais pas du vent, qui restera fort toute la nuit et même la journée de dimanche, avec des rafales à 40 nœuds sous les grains.
120 milles parcourus en 22 heures,  à 5,5 nœuds de moyenne.
Loulou a barré 17 heures, 5 heures pour le capitaine.

Au fait : pour celles et ceux qui suivent ; Free Spirit est, en ces lieux aussi sauvages que éloignés, officiellement à la moitié de son parcours autour de notre belle Planète Bleue.  17 900 milles dans le sillage, 17 900 milles à venir ! Ce qui veut dire qu’à partir de maintenant, jours et nuits de navigations enchaînées, chaque mille parcouru nous rapproche un peu plus de l’Europe. Dans le sillage de Côte-de-Beauté il y a 26 ans, Marie-Christine et Jean-Luc de Magalyanne (qui viennent juste de toucher la côte Basque), Jean de Ti Jon, Gaétan et Claire de Ty Punch, la famille Gwennelli.
J’espère reprendre bientôt contact avec Karine, Maurice et Mistral de Kappa, et peut-être Laurence et Marc de Rantanplan, à Torrès ou bien Bali.


-          Dimanche 2 juin :
La journée des derniers préparatifs de départ. Le vent est toujours fort et le temps semble plus sec malgré encore quelques passages de grains pluvieux.
Je mets pieds à terre une dernière fois histoire d’aller m’extasier devant ce merveilleux spectacle offert par la nature restée vierge de toute trace d’activité humaine et photographier la faune locale. Fous-de-bassan, puffins, bernard-l’hermites (j’ai un doute sur l’orthographe !). Ils y a beaucoup d’œufs posés à même le sol, des tous petits qui viennent juste de mettre le bec dehors ! Des plus grands recouverts d’une sorte de duvet tout doux qui deviendra plus tard leur plumage. Tous ces autochtones ne sont ni agressifs, ni peureux ! Ils n’ont aucune appréhension de l’homme. C’est vraiment génial de pouvoir observer leur habitat naturel sans qu’ils en soient perturbés. Les fous sont souvent en couples, ils crient et sifflent à mon approche, mais ne bougent pas pour autant. Je pourrais presque les caresser.
Je rentre à la nage au cas où il y aurait du poisson à tirer. Y’en a mais ils sont beaucoup plus craintifs que les oiseaux. La visibilité est bonne, dommage qu’il n’y ait rien à voir côté flore. Nous ne sommes pas au bon spot pour la plongée. Et je rentre bredouille aux grands damnes de Trinquette qui me fait la gueule !

-          Lundi 3 :
Si je ne pars pas aujourd’hui comme c’était initialement prévu ; c’est par manque de vent, si si !  Ce qui ne gâche rien finalement car le mouillage n’en est que bien plus agréable.
D’ailleurs j’en profite pour tout cheker à bord et bien préparer Free Spirit au longues routes qui nous attendent.
L’accalmie sera de toute façon de courte durée. Vers 20 heures ; le vent s’installe en venant du sud et en soufflant à 20 nœuds toute la nuit pour atteindre les 30 nœuds demain matin. Par vent de sud ; la protection offerte par l’îlot ainsi que la barrière perd nettement de son efficacité. La nuit sera longue et peu réparatrice, dommage…

-          Mardi 4 :
8h30 :  le vent du sud atteint 30 nœuds maintenant. La bonne nouvelle vient de la couleur du ciel, aussi bleu que peut l’être un ciel dégagé sous les tropiques !
Des creux de 1 mètre rendent le mouillage très inconfortable voir pas safe du tout.
Il nous faut prendre la mer, et serrer les fesses pour l’appareillage car si au moment où l’ancre va décrocher ; nous partons sur bâbord, côté îlot : il nous sera très difficile d’éviter le fond constitué de sable et de dalles rocheuses qui remonte dangereusement, surtout avec 30 nœuds de vent traversier !
Cette fois-ci : pas question de faire abstraction du moteur. Le risque est trop grand de jouer les Bernard Moitessier !
9h00 :  l’ancre et décrochée et nous partons bien évidemment sur bâbord. Grâce au moteur, merci Nanni ; tout se déroule sans accro ! Je hisse la GV à 3 ris + la trinquette. Nous devons faire du près sur 4 milles environ afin de déborder par le sud côté au vent un haut fond potentiellement pas cool. Cap au 240°.
45 minutes plus tard ; une fois le danger sécurisé, cap au 275° droit sur la passe qui saigne la Grande Barrière de Reef nommée Raine Island Entrance à travers la mer de Corail, qui marque l’emplacement nord-ouest de l’océan Pacifique sud. Après cela : nous quitterons ce dernier afin de rejoindre l’océan Indien via le détroit de Torrès puis la mer d’Arafura.
Mais en attendant ; à Free Spirit de lâcher les chevaux ! Au reaching, ou vent de travers si vous préférez, ça déménage.
Nous gardons la trinquette jusqu’à 9 heures mais je sens bien que nous manquons de power sur l’avant. J’affale la trinquette et déroule le génois. Et qu’ça glisse !
11h30 :  les oreilles de Trinquette (celle avec les poils) se tendent de concert avec la ligne de traîne. Yes, j’ai faim de poisson frais ! Un Mahi-mahi en plus ! Peu gênant à nettoyer et à préparer lorsque que l’on navigue confortablement, mais au reaching dans 30 nœuds avec 3 mètres de creux nous fouettant par le travers ; l’opération devient tout de suite beaucoup plus acrobatique. Qu’à cela ne tienne, et puis le Mahi-Mahi est mon poisson préféré après tout. Soigneusement découpé en filet, 2 minutes de chaque côté dans la poêle accompagné d’oignons, curry, citron, herbes de provence et poivre ; un délice. Nul besoin d’autre accompagnement car les doses que je m’enfile, cause toujours pas de frigo, sont à quelque bouchée prêt équivalentes à 5 ou 6 fois la part de filet que je servais au resto.
13h30 :  après 2 départs au lof un peu violent à mon goût ; je roule le génois pour renvoyer la trinquette. La douche est garantie au poste avant.
Le vent demeure irrémédiablement callé à 30 nœuds, et toujours du sud. Nous attendons la bascule au sud-est avec impatience pour la simple et bonne raison que optimiser le rapport vitesse, sécurité du bateau ainsi que son équipement, et confort n’est pas chose aisée. Priorité absolue à la sécurité de ma monture, vient ensuite la vitesse, car dans tous les cas ; plus le bateau va vite (dans le cas des allures portantes bien évidemment), plus il est safe. « un Free Spirit rapide est un Free Spirit sécurite » ! Le danger vient le plus souvent de l’état de la mer et non pas de la force du vent. Ceci dit ; les 2 sont liés. Mais le vent se gère en réduisant la voilure. La mer ne se gère pas, elle se fait subir ! Lorsque l’on sait que la vitesse de propagation d’une vague est d’environ 40 à 60 km/h, on peut se dire que si votre navire (ou avion de chasse) peut atteindre cette vitesse, et bien il ne part plus au surf mais au planning. Il sera donc en total sécurité grâce à une manœuvrabilité maximale. A condition que tout le matériel tienne le coup. J’en veux pour preuve les nombreuses avaries sur le Vendée Globe Challenge. Et enfin le confort de vie à bord en dernier. Et là : on s’adapte. Pas le choix…
D’ailleurs l’adaptation et la recherche de confort commence par l’installation du lit de camp au plus proche du centre de gravité, et donc au sol, côté au vent du puits de dérive. Tiens en parlant du puits de dérive ; j’ai enfin élucidé le mystère de ces craquements inquiétants qui survenaient quelquefois sans aucune explication logique. Et bien si il y en a une ; ceux sont les pierres ponces. Il y en a des milliards flottantes ou échouées sur les plages de Nouvelle-Calédonie depuis l’éruption d’un volcan sous-marin observé dans la zone du Vanuatu. Ces pierres, heureusement particulièrement très friables, viennent se loger entre la dérive et les parois du puits, d’où ce fameux écrasement et son bruit qui m’inquiétait parfois au plus haut point ! Il n’y a rien à faire.
17h44 :  coucher du soleil, spectaculaire soit dit en passant !
21h00 :  72 milles en 12 heures depuis notre départ. Ca ne vaut pas la performance réalisée sur la traversée entre l’atoll Beautemps-Beaupré et Hienghène ;  80 milles en 11 heures, mais tout de même.
5h00 :  la marche du bateau a changé et j’entends souvent la trinquette déventée. Pas de doute possible ; la bascule du vent au sud-est nous touche enfin me forçant à me lever et à effectuer la manœuvre de nuit, à la frontale, avec ma Trinquette dans les pattes ! Je décide d’affaler entièrement la GV (remarque elle était déjà à 3 ris !) et de garder le génois très enroulé sur bâbord ainsi que la trinquette sur tribord. Nous totalisons environ 20 m2 de toile, guère plus.  
Avantages de cette configuration :  Free Spirit est tiré vers l’avant à 95% , au lieu d’être moitié tiré et moitié poussé lorsque nous naviguons en mode ciseaux classique génois tangonné sur un bord et GV sur le bord opposé. Conséquences : beaucoup moins de départs au lof, la barre est plus douce et donc Loulou force, fatigue et consomme moins. La GV, à l’abri dans son lazy-bag est économisée, elle qui commence à montrer quelques signes de faiblesse et autres points d’usure. Le mât est idéalement tenu car   
Les 2 bastaques sont à poste. Et sans la GV ; les minutes d’ensoleillement sur le panneau solaire s’en trouvent démultipliées.
Inconvénient : je n’en vois pas. Dommage que je n’y ai pas pensé sur la transat ou surtout sur la transpac entre les îles Galapagos et les îles Marquises.
J’aimerai relever la dérive mais la mer est encore grosse, d’ailleurs passons au point météo du jour…

-          Mercredi 5 :
7h00 :  vent de sud-est 20-25 nœuds, creux de 2 mètres. Mais non j’déconne ; ça, ce sont les prévisions affichées par les fichiers Gribs américains de la NOA. Pour leur défense : ils datent de 5 jours. Mais bref.
Nous, à bord, subissons un Alizé costaud de 30 nœuds, certes de sud-est ! La mer est très agitée, et toujours jumelée à cette houle de sud qui nous fait bien rouler d’un bord sur l’autre et nous rend la vie à bord plutôt pénible. Creux de 3 à 4 mètres déferlants. La houle devrait s’estomper d’ici 48 heures, enfin j’espère.
Le ciel est plus couvert que la journée d’hier. Il nous a, afin de se faire pardonner,  honoré d’un magnifique lever de soleil.
Pour en revenir à la météo : ces messieurs « les ingénieurs du temps qui fait » devraient se mettre à la page, ou changer de métier, prendre leur retraite…
Il a été prouvé que la vitesse des Alizés moyens a pris 10 nœuds en 25 ans. Tous les marins le constatent chaque jour passé à naviguer au cœur des zones concernées. La mer a sacrément grossit également ; l’un ne va pas sans l’autre. Alors pourquoi persistent-ils à nous communiquer des moyennes basses, voir encore inférieur à cette moyenne parfois ???
Vous imaginez si le phénomène devient récurant, peut-être même exponentiel ! Effectuer une circumnavigation dans 25 ans avec des Alizés moyens de 35 à 50 nœuds accompagnés de creux déferlants et culminants à plus de 6 mètres ! Cela risque de calmer les ardeurs et les envies de voyage en voilier pour bon nombre de passionnés, moi le premier. Autant tourner par la route du Vendée Globe Challenge, d’ouest en est par les 3 caps et les fameux 40èmes rugissants. Tiens… A méditer !
Encore un exemple concret concernant les services de météo France, prévisions à 6 jours pour un endroit, une passe ou un îlot donné. Un spot que je connais bien pour y être resté 3 mois et demi : Koumac. Du 5 janvier, après le passage de la dépression tropicale Freda, et jusqu’à sa grande sœur Sandra, survenue début mars, les Alizés ont soufflé très fort, renforcé par les brises thermique de deuxième moitié de journée. La nuit le vent tombe quasi totalement sur la côte ouest, dite sous le vent. Sur leur site Internet ; il est possible de prendre connaissance des relevés presque en direct (à une ou deux heures prêt), de leur base météo éparpillées un peu partout en Nouvelle-Calédonie. Koumac, régulièrement dans la semaine, on peut lire pour chaque après-midi 25-30 nœuds de vent et même 35-40 pour les journées les plus ventées. Je n’ai jamais, je dis bien jamais, lu des prévisions dépassant les 25 nœuds, sauf en cas d’alerte cyclonique, ou journées à fort risque de passage de grains. Ils spécifient « rafales à 30 sous les grains ». Ceci correspond à une moyenne (même plutôt basse en général) et on peut s’apercevoir en lisant les relevés que des rafales sont enregistrées à 40 nœuds et plus !
Il se passe exactement la même chose sur le célèbre site Windguru. Ils ne prennent pas en compte les phénomènes de brises thermiques. C’est fâcheux, regrettable et dans tous les cas faux ou erroné.

          9h00 :  JOUR 1.  17°29 de latitude sud,  160°33 de longitude est ;  142 milles parcourus ces premières 24 heures. Reste 1 025 milles dans le 278° jusqu’à la passe. Et 1 140 milles jusqu’à Thursday Island. Nous sommes à 285 milles de Koumac en route fond.

9h30 :  Oh, un minéralier. Il ne faut pas demander d’où il vient celui là !
Cette belle journée suit son cours… dans l’humidité saline ! Les déferlantes ont pris l’habitude de s’inviter dans le cockpit un peu trop souvent à mon goût. Les surfs à plus de 11 nœuds sont fréquents. Je sais qu’il me faudra lever le pied pour la nuit.
Les panneaux de descente sont constamment fermés depuis que la première d’entre elles ai voulu s’incruster jusque dans le carré ! Enfin pas des litres non plus mais tout de même. 
Bref, tout ça pour dire que ça avionne. Et dans le rôle principal du pilote ; je tire mon chapeau à Loulou, mon fidèle et indispensable équipier au poste de barre. Super Costaud envoie du gros, même réglé à 22% de sa capacité en terme de rapidité et de réactivité face aux éléments déchaînés, par souci d’économie d’énergie ! Loulou est réglé à 2 sur un maximum de 9. Ce qui me paraît, avec l’expérience, être largement suffisant pour Free Spirit. 
Vous ai-je déjà fait le coup du soleil qui se couche 10 minutes plus tard chaque soir lors d’une traversée d’est en ouest ?  900 milles de distance effectués au cap 270° (soit 15° de longitude) équivaut à 1 heure de décalage horaire, soit 60 minutes.  150 milles parcourus par 24 heures nous donnent un décalage du coucher (et du lever) de soleil de 10 minutes.
3h00 :  visiblement : sur cette traversée de la mer de Corail, toute manœuvre sera amenée à être réalisée by night ! Armé de ma lampe frontale, et d’un minimum de courage ; je m’en vais jouer les funambules au poste avant afin de tangonner la trinquette. En cause : une énorme masse nuageuse vient dévier l’Alizé pour le faire venir de l’est sud-est, agrémenté de pluie, et de vents très irréguliers. Notre trajectoire est parallèle au vent et donc je passe les voiles d’avant en mode papillon. Chacune sont bord, chacune sont tangon ! Pendant que je continue à faire le pantin sous quelques goûtes de pluie ; j’hallucine en voyant Trinquette qui aura eu le temps (et surtout une volonté inébranlable !) d’effectuer 3 fois le tour du pont en quête de poissons volants échoués après avoir été pris au piège par le rail de fargue. Sans succès. Je soupçonne les exocets de cette partie du Pacifique de posséder la vision infrarouge !

-          Jeudi 6 :
Je pense à ce restaurant/glacier sympa en face du Casino à Pontaillac, Charente-Maritime, France !
6h30 :  vent d’est sud-est irrégulier ponctué de larges plages de vent à 30 nœuds (mais pas plus !) ainsi que des molles à 20 nœuds, guère moins… La houle de sud oblique au sud-est, mais ne mollit pas. La mer reste forte. En revanche ; les déferlantes se font plus rares, au même titre que le soleil d’ailleurs. Le « Râ » des astres boude la partie ce matin. Le ciel n’en ai que plus gris et morose. Une journée bien maussade en somme !

Sinon ; la vie à bord commence à s’organiser autour de mes heures de quarts passées à la barre. Soit environ 8 heures par jour, réparties entre 6 heures et 22 heures. Cette organisation du planning me laisse que peu de temps pour le reste, la lecture par exemple. 
Organisation et gueuleton !
6h30 :  j’attaque la journée par une heure de barre pour me réveiller et m’imprégner des conditions du jour.
A suivre le petit déjeuner constitué d’un fruit (orange, banane, pamplemousse), thé ou chocolat, biscottes-beurre-confiture, jus de fruit. Un brin de toilette.
9h00 :  l’heure du point ! J’aime cet instant !
2 heures de barre avant une longue pause déjeuner. Salade composée (tomate, concombre, carotte, choux rouge, maïs, semoule, cornichons… ), une Vache-qui-rit, un fruit, un café.
14h00 :  4 heures de barre entrecoupées d’une pause d’une heure.
19h00 :  dîner (alternance entre du poisson frais, des pâtes, Ebly ou riz à la tomate et œufs durs, purée/saucisses, des œufs en omelettes ou au plat, avec ou sans morceaux de coquille, ça dépend de l’état de la mer ! J’y ai pris goût à force. Euh pas à l’état de la mer, mais aux bouts de coquilles !, des soupes aux nouilles chinoises, une boîte de cassoulet, ou lentilles/saucisses, ou bien encore choucroute). En dessert : yaourt, fruit, crème au chocolat ou vanille, ou bien encore compote.
Ces menus ne correspondent pas vraiment à de la grande gastronomie, mais ils me conviennent très bien.
Après cet agréable moment : une dernière heure de barre avant le repos, toujours soumis à une veille stricte espacée d’environ les 90 minutes.

          9h00 :  JOUR 2.  16°54 sud,  158°18 est ;  135 milles parcourus.

12h06 :  (Midi 6) :  je pense à Catherine !

Nous n’aurons pas beaucoup aperçu le soleil aujourd’hui. Qu’à cela ne tienne ; le principal, c’est que mes batteries soient chargées à bloc. L’énergie indispensable à mon fidèle équipier étant fournie exclusivement par le soleil via les cellules photovoltaïques du panneau solaire de 75 watts orientable à souhait grâce à sa fixation souple sur diabolo de mât de planche-à-voile qui améliore de 40% le rendement de ce dernier.
La luminosité ainsi que la réverbération sont de très bonne qualité sous les tropiques ;  les rayons UV transpercent efficacement la couche nuageuse. A 11 heures, après avoir barré 2 heures et demi ; les 285 ampères réparties sur 3 batteries à technologie AGM (à décharge lente ndlr) étaient déjà rechargés.
Et hop :  une bouteille à la mer ! Message, blog, mail etc… la routine quoi !
19h00 :  l’accalmie (enfin tout est relatif !) aura été de courte durée. A la barre ; j’entends déjà les déferlantes me faire vibrer les tympans, la mer gronde et se fâche, les embruns viennent indélicatement se joindre dans le cockpit, l’anémomètre crache du 30-35 nœuds à foison, la vitesse au GPS s’affole… C’est reparti pour la baston !

-          Vendredi 7 :
Avec seulement 20 m2 de voilure ; on peut aisément se dire que la nuit n’a pas été commode.
6h30 :  je découvre en gros les mêmes conditions qu’hier, avec cependant une petite nouveauté non négligeable, à savoir une longue houle venant du nord-est qui vient croiser celle de sud-est, additionnée à la mer forte de l’Alizé. Ce qui nous donne aux croisés des chemins… des p’tites montagnes ! Pas vraiment déferlantes et heureusement, mais carrément impressionnantes tout de même ! Les crêtes culminent parfois à 5 mètres dans les plus grosses séries.
- « Ascenseur monsieur ??? ».  – « Oui, 2ème étage s’il-vous-plaît ! ».
Bref ; le terrain de jeu est épouvantable ! Et la vie à bord ; j’vous en parle même pas. Ce roulis violent et perpétuel ne fait pas du tout parti de mes gros kiffes au sein du voyage !
Pour ajouter à ces bonnes nouvelles : l’objectif du jour va être d’emmagasiner suffisamment d’énergie solaire afin de recharger efficacement les batteries. Ceci vous donne un indice sérieux sur la couleur du ciel. Beurk !
Enfin, à défaut de stocker du soleil, nous amassons avec frénésie les milles nautiques par paquets de 12 !

          9h00 :  JOUR 3.  16°11 sud, 156°00 est ;  141 milles parcourus.  Reste 751 milles dans le 280° jusqu’à la passe.  Et 870 milles jusqu’à Thursday Island. 
Nous avons couverts 418 milles en 3 jours à la vitesse moyenne de 5,8 nœuds. Sans l’aide des courants océaniques favorables que nous devrions toucher bientôt je l’espère.

14h00 :  le vent a dû mal à ce stabiliser, autant en force qu’en direction, oscillant de 20 à 30 nœuds, du plein est à l’est sud-est. En revanche ; le soleil fait finalement et contre toute attente de très belles apparitions afin de nous envelopper de sa douce et indispensable chaleur. La mer est toujours forte.
Minuit :  le vent se stabilise à 30 nœuds. Les déferlantes se font de nouveau entendre et manifestent leur mécontentement. Free Spirit porte moins de 20 m2 de toiles toujours réparties ainsi : la trinquette tangonnée sur tribord, et le génois plus ou moins enroulé et également tangonné sur bâbord. Quel soulagement de ne pas avoir à gérer la grand-voile ! C’est beaucoup de stress en moins je dois avouer.
A 3 heures :  mon détecteur de radar m’arrache des bras de Morphée ! Un cargo croise notre route à 2 milles de notre proue. J’imagine qu’il effectue la liaison Brisbane ou Sydney vers les îles Salomon.

-          Samedi 8 :
7h08 :  lever du soleil. Si je le note pas (pareil au lever) : cela veut dire qu’il est caché derrière les nuages.
Le beau temps semble vouloir nous rendre la vie plus agréable. Seuls les petits nuages caractéristiques courant dans l’Alizé viennent entacher le bleu du ciel. D’ailleurs : les crêtes déferlantes me font exactement cette même impression avec le bleu de l’océan.
30 nœuds d’est sud-est. Etat de la mer inchangée.

          9h00 :  JOUR 4.  15°27 sud, 153°52 est ;  131 milles parcourus. Peut-être une veine de courant contraire. Notre route a dû être pavée de pas mal de zigzag également. Au plein vent arrière ; il n’est pas chose aisée de faire une route droite, surtout avec des mers croisées et des creux atteignant 5 mètres parfois. Je dois reconnaître que Loulou s’en sort très bien. Il m’épate même !
Reste 621 milles dans le 282° jusqu’à la passe.

Coucher du soleil :  18h24.
Free Spirit, imperturbable, cours dans l’Alizé « bonheur » au cœur de son élément naturel, la mer à perte de vue. Et moi, à la barre, scotchant mon regard vers l’ouest et émerveillé devant ce spectacle toujours aussi fascinant offert par le soleil tirant sa révérence à la journée afin de laisser place à la nuit, ses étoiles et son lot d’inconnu !  Nous sommes bien en mer… Ces expériences vécues me rendent quelque fois un peu mélancolique envers le non partage. Mais ceci dit ; tout n’est pas toujours rose, comme ce pût être le cas les 4 premiers jours. Dans ces moments pénibles : la solitude ne me pause aucune soucis. Je vis l’instant présent sans y penser. C’est comme lorsque l’on part en couple faire du camping sauvage et que la météo se met à tout gâcher. On préfèrerait savoir l’être aimée au chaud, tranquille devant la télé. Etre en solitaire dans les situations difficiles : c’est éviter de s’en prendre à quelqu’un d’autre qu’à soit même. Cela évite également les mauvais choix, les regrets, et autres remises en question. Naviguer en solitaire est avant tout un état d’esprit.

Minuit :  bi-route ! A mi chemin entre l’atoll Huon et Thursday Island.

-          Dimanche 9 :
Bonnes nouvelles :  il semblerait que la houle s’estompe peu à peu au fur et à mesure de notre progression vers l’ouest, au sein de la mer de Corail. La mer s’auto-diagnostique sur son état de santé, s’organise et tend à s’embellir progressivement.
Les ventilos-Alizés sont réglés sur 25-30 nœuds, ponctués de quelques rares molles à 20 nœuds ! Rien de très inquiétant en soit !
Il fait beau et le thermomètre remonte nettement, on range la veste de quart ainsi que l’écharpe au placard. Nous touchons les mêmes latitudes que la Polynésie (et tout ce qui se rapproche de près ou de loin à la Polynésie ne peut être que bénéfique ! Oh que je t’aime toi !) tout en nous rapprochons donc de l’équateur. La pression atmosphérique ne varie quasiment plus, l’aiguille du baromètre stagnant sur 1010-1012 hectopascals.  

          9h00 :  JOUR 5.  14°38 sud, 151°43 est ;  136 milles parcourus. Toujours pas de courant favorable.  Reste 487 milles dans le 282° jusqu’à la passe.  Et 607 milles jusqu’à Thursday Island.

Je décide de relevée entièrement la dérive. Le roulis est plus fréquent mais s’en trouve être moins violent. La barre est un chouia plus dur, mais les écarts de route deviennent plus rares. Ce qui est important ; c’est d’éviter les départs au lof ou à l’abattée, de faire une route la plus droite possible, de soulager Loulou, tout en gardant une bonne moyenne. Naviguer au portant avec la dérive relevée est un excellent compromis.
Cette nuit encore : une grosse déferlante nous a fait partir au lof avec une violence inouïe, me faisant sursauter de mon lit de camps. Heureusement qu’il n’y en avait qu’une, car en général ce genre de vague marche par 2 ou 3. Dès la première et unique vague; Free Spirit était en travers de la lame, et donc en danger.
17h00 :  Proche de la perfection ! Trinquette et moi sommes littéralement sous le charme, fascinés par le vol majestueux, rapide et précis des fous-de-bassan au gré des vents ascendants générés par l’ondulation des vagues rugissantes. Fascination, certes ; mais pas pour les mêmes raisons. Trinquette et ses instincts de fauve-en-recherche-perpétuelle-de-bouffe en ferait tout simplement bien son 4 heures ! Alors que moi : je pense à mes longues heures de vol en parapente au dessus des forêts jouxtant les pistes de ski de Courchevel en hiver, ainsi qu’en speed-riding, moitié en vol, moitié en glisse, sans relâche à la découverte des sentiers hors-piste du domaine des 3 Vallées.
Problème : ces oiseaux là ont une fâcheuse habitude à vouloir satisfaire une curiosité quasi maladive envers la girouette et l’anémomètre fixés en tête de mât ! Autant dire que je n’aime pas tellement trop bien ça !
Bien plus drôles et sympathique : ces tout petits oiseaux noir et blanc, battant inlassablement des ailes et rasant les flots. J’ai parfois peur qu’il se fasse happer et prendre au piège tendu par les mousses violentes et imprévisibles occasionnées par les déferlantes. Mais la nature fait bien les choses ! Petit mais costaud… ils sortent toujours vainqueur en toute situation, parfaitement adaptés à leur milieu hostile. 
19h30 :  le vent faiblit, notre vitesse diminue, anéantissant à jamais et pour toujours mes espoirs de pointer l’étrave de Free Spirit devant Raine Island Entrance mercredi dans la matinée. Fin dommage c’t’histoire là…
22h00 :  le vent vire quasiment plein est. Je dois empanner et passer tribord amure afin de pouvoir garder un bon équilibre au cap 282°. Une heure de manœuvre à la frontale avec une chatte dans mes pattes qui ne fait que s’amuser et me déconcentrer. Remarque, dit comme ça ; la situation paraît plutôt agréable, voir sensuelle. Je peux vous dire qu’il n’en est rien. A 2 heures du matin : l’Alizé gonfle du torse et nous impressionne de ses 35 nœuds établis jusqu’au lever du soleil.

-          Lundi 10 :
          7h00 :  notre route et parfaitement parallèle à l’axe du vent. C’est vraiment très rare, mais ça arrive. Impossible de choisir un bord plutôt qu’un autre. Je décide de hisser la trinquette au vol sur la drisse de spi, toujours tangonnée sur bâbord. Les 2 voiles, prises sur l’étrave, forment un losange d’environ 18 m2 ! Encore une heure de manœuvre à jouer l’équilibriste au gré des vagues qui n’en finissent plus de trembler, ainsi qu’une petite erreur de jeunesse qui aurait pu aboutir à des conséquences dramatiques. Le haut de la trinquette se glisse sous l’étrave de Free Spirit lancé à plus de 9 nœuds au surf. La tension sur les points d’écoute, de drisse et d’amure est juste inimaginable. Je me précipite dans le cockpit afin d’enrouler le génois et ainsi freiner le plus possible la progression de ma carène fraîchement repeinte. Une fois ralenti ; je récupère sans peine le précieux sésame (qui ne fait que 12 ou 13 m2, parce que sinon ! Genre lorsqu’il se produit le même désagrément avec le spi par exemple : aie aie aie !), qui gardera de cette mésaventure une petite tâche claire aux reflets bleuté (couleur de mon anti-fouling) afin que je n’oublie jamais et que ça me serve de leçon.
Heureusement : pas de casse.
Le grain arrive ; j’envoie la voilure et remets tout en ordre.
8h00 :  nous repartons à fond les ballons !
Vent d’est sud-est 25-30 nœuds. Mer inchangée (toujours aussi sympa !). Ciel nuageux, averses et grains éparses. Plein portant, cap au 282°.
Pour en revenir au roulis, ou chevauchée fantastique d’un voilier au portant dans la baston, vous allez me dire : « mais s’il est plein vent arrière, il ne devrait pas giter ??? ». Et bien j’ai l’honneur de vous informer que ça ne marche pas comme ça ! Au contraire : les coups de gite sont bien pires. Comme Free Spirit n’a pas de bord sur lequel prendre appui, il ne sait pas sur quel pied danser et oscille entre les 2 à grands coups de va-et-vient plus ou moins violents. Plus nous allons vite, légèrement surtoilé dans l’idéal, moins le rituel sauvage se fait ressentir.
Une chose est certaine ; tout doit être irréprochablement bien arrimé à l’intérieur, comme à l’extérieur d’ailleurs. Sinon : gare aux planchers ! La moindre petite chose insignifiante aux premiers abords peut être amenée, tôt ou tard, à devenir un projectile redoutable voir dangereux. J’ai trouvé Trinquette accrochée aux rideaux une fois, et moi la gueule collé sur le plexiglas de roof après avoir mimé une figure à la Matrix, mon chocolat chaud étalé un peu partout dans le carré ainsi que la table à cartes.

          9h00 :  JOUR 6.  13°32 sud,  149°36 est ;  141 milles parcourus.  Reste 349  milles dans le 281° jusqu’à la passe.

En tout cas : tout se déplace dans le même sens ce matin ; la mer, la houle, le vent, le courant (bien que très faible), la course des nuages et des grains, les oiseaux, les chats et Free Spirit… Tout, sauf les bateaux que nous croisons, exclusivement la nuit bien entendu !
Il faut le souligner ; ce qui est bien avec les allures portantes, c’est que même quand on râle pensant qu’on avance pas, le bateau court tout de même ses 4 ou 5 nœuds. Au près ; lorsque tu as l’impression de te traîner, et bien tu as raison. J’ajoute que très souvent ; c’est pire encore !
11h00 :  nous nous faisons cueillir par un grain qui nous fait bien profiter de sa panoplie de grain-qui-fait-le-malin : pluie, visibilité nulle, froid, vent à 40, avec des rafales à 45 nœuds. Mais il ne fait que passer, juste pour faire c…r quoi !
« C’est ça, arraches-toi d’là t’es pas d’ma bande ! ».

17h00 :  le temps se couvre sérieusement. Le soleil se cache derrière une multitude de couches nuageuses. Le baromètre est descendu à 1009.
Température intérieur : 30°,  extérieur : 27,7°. Taux d’hydrométrie (pourcentage d’humidité dans l’air) à 90%. 

-          Mardi 11 :
Une semaine que nous avons quitté le merveilleux atoll Huon, et déjà la Nouvelle-Calédonie me manque. I would be back, i promess !
7h00 :  vent d’est sud-est 25-30 nœuds. Mer très agitée, mais en bonne collaboration avec les Alizés. Houle plus longue et plus espacée, creux de 3 à 3,5 mètres. Pas de déferlante. L’ambiance est plutôt maussade à tendance incertaine. Les grains menacent ça et là. La couleur grise prédomine.
La visibilité est médiocre. Peut-être même un peu trop d’ailleurs ! J’étais à la barre lorsque j’ai entendu un gros bing au-dessus de ma tête, qui était pourtant déjà un peu dans les nuages ! Un fou-de-bassan a voulu jouer au Baron Rouge et il s’est vautré lamentablement dans le pataras (câble qui retient le mât sur l’arrière du bateau ndlr) en essayant de passer entre celui-ci et la balancine (drisse qui relie le bout de la bôme à la tête de mât). Heureusement qu’il avait un casque et une bonne assurance. Tout s’est arrangé à l’amiable. Il est reparti avec un bon mal de crâne tout de même.


          9h00 :  JOUR 7.  12°52 sud, 147°17 est ;  143 milles parcourus, portant à 960 le nombre de nautiques accumulés en une semaine (5,7 nœuds de moyenne).  Reste 207 milles dans le 284° jusqu’à la passe.  327 milles jusqu’à Thursday Island.

13h00 :  les périodes de vent à 20-25 nœuds sont de plus en plus fréquents ; cause d’un léger ralentissement. Fini les surfs à plus de 12 nœuds.
Mais quoique ; finalement ça repart une heure plus tard !  35 nœuds sous les grains, un surf à 12,4 nœuds. Tout va bien.
17h00 :  1 000 milles dans le cabas ! Hourra !
Et c’est reparti mes Amis !  30-35 nœuds. Rafales à 40. La mer redevient forte. Déferlantes, creux de 4 mètres et plus parfois.

Les jours passent et ne se ressemblent jamais tout à fait.

          « Bienvenu sur Free Spirit Airlines ! Nous espérons que vous avez effectué un bon voyage en notre compagnie et vous informons que vous venez de parcourir 28 milles en à peine 3 heures. Votre vol fût ponctué de diverses accélérations appelées couramment départ au surf. UNE pointe de vitesse instantanée au GPS officie le nouveau record de Free Spirit d’ores et déjà établi à 15,1 nœuds ! C’est le gendarme avec les grosses jumelles qui l’a dit : « Vous avez été surpris en flagrant délit d’excès de vitesse, et venez d’être flashé à 28 km/h monsieur ! Vos papiers s’il-vous-plaît ». 
Oh ce surf d’anthologie mes amis ! Je m’en rappellerais de celui-là : longue et inarrétable accélération, la barre dure mais pas trop, juste ce qu’il faut, les moustaches de part et d’autre de la carène puissante de Free Spirit, les voiles gonflées à bloc, la stabilité parfaite. Que de bonheur sous le regard témoin du premier croissant de lune de ce nouveau cycle mensuel qui nous confirme que nous avons pulvérisé notre ancien record de vitesse instantanée de 0,9 nœud, établi en décembre 2010 lors de la traversée de l’océan Atlantique.
Si un de ces malheureux poissons pélagiques a eu l’idée saugrenue de venir mordre à l’hameçon à ces moments de glisse pure ; j’imagine qu’il doit déplorer quelques dents en moins, une plaie béante au niveau de la joue, la mâchoire cassée peut-être… En tout cas ; il aura la vie sauve ! J’me moque mais figurez-vous que lorsque j’ai relevé la traîne : je me suis aperçu avec désarroi que le bat de ligne avait encore disparu, coupé net au niveau du câble ! Je suis très désappointé !
Au plaisir de vous revoir bientôt sur nos lignes à fortes sensations ! ».
En parlant de sensations à la limite de l’extrême ; j’ai réussi à faire atterrir un fou-de-bassan sur la barre de flèche bâbord du premier étage du gréement. Je peux vous dire que l’opération n’était pas simple du tout. Mais, ensemble, nous avons relevé le défi à la hauteur de l’équipage, Free Spirit frôlant allègrement les 14 nœuds à chaque poussée de houle telle une flèche lancée par la catapulte. Au poste de barre ; mon rôle est d’essayer de stabiliser tout ça, avec des vents à 35 nœuds nous dit l’anémomètre, que notre fou a bien failli arracher d’ailleurs durant quelques tentatives d’atterrissage forcé. Mais enfin, après s’être pris les ailes 2 ou 3 fois dans chaque bastaques, haubans, pataras et autre lazy-jack, nous parvenons à le faire se poser tant bien que mal.
Je sais ce que vous vous demandez ! Et Trinquette dans tout ça ? 
Impossible de lâcher la barre pour aller la récupérer en train de jouer les funambules sur le lazy-bag de la grand-voile la garce, avec ses yeux fixés sur notre passager clandestin repu de fatigue, que je baptiserai plus tard « Fou-de-haubans » ! J’attends impuissant. Puis vient un gros coup de mer qui frappe Free Spirit de toute sa puissance. J’ai peur pour Trinquette ; je la sais en équilibre précaire sur son piédestal. Le fou’l’camp a pris la poudre d’escampette. Trinquette s’en revient dans le cockpit la queue entre les jambes, déçu de ne pu avoir goûté au fruit défendu. Cri de soulagement en ce qui me concerne ! L’histoire ne s’arrête pas là ! Fou-de-haubans revient à la charge, s’emmêle les palmes dans les bouts du lazy-jack, et atterrie le bec dans le gaz à l’extrémité de la bôme, à 1 mètre de Trinquette que j’attache par principe de précaution. Trop drôle… Tout ça dans la baston je vous le rappelle, avec en témoin privilégié le jour qui laisse progressivement la place à la nuit.
22h00 :  voilà que je commence à voir des lumières de bateau un peu partout éparpillées sur la ligne d’horizon. Mon imagination, la fatigue aidant, nous joue de bien vilains tours quelque fois. Ce ne sont que les mousses des déferlantes gorgées de phytoplanctons phosphorescents. Il est quand même temps que j’aille dormir un peu…

Question :  que fait un fou-de-bassan se reposant tranquillement sur un voilier lancé pleine balle dans l’Alizé costaud ? Il chie, il se papouille, il dort (j’en connais une autre ndlr)… comme les canards d’ailleurs : sur une patte et la tête dans le cul ! Enfin là il a vraiment trop de mal vu que le sol est légèrement mouvant. Dans l’histoire ; il profitera du voyage paisiblement. Trinquette ne le quitte plus du regard. Fou-de-haubans est devenu l’objet de toute son attention, à la limite de l’obsession. Je ne vais tout de même pas la garder attachée toute la nuit, bien que la vie du fou soit en jeu !
Nous nous enfermons à l’intérieur. Et Trinquette de me lâcher : « On est même plus libre chez soi ! Mais il est devenu fou le capitaine ! ».

En milieu de nuit : j’ai une curieuse impression. Mais qu’est-ce qui a changé ??? Eureka ! Je me disais aussi, il y a quelque chose de différent à l’intérieur. Le bruit ! Celui des remous perpétuels et incessants générés au cœur du puits de dérive… lorsqu’elle est en position basse. Grâce à ce bruit très particulier ; j’arrivais à sentir et analyser les accélérations (à fortiori les décélérations aussi) de Free Spirit, surtout en dormant au sol dans le carré. Mais lorsque la dérive est relevée : le phénomène disparaît. Plus rien, à 5 ou à 12 nœuds de vitesse. Comme si le puits était bouché. Il me faut adapter ma tac-tic et me fier à l’écoulement d’eau caressant la carène, aux réactions plus ou moins rapides et mouvementées de Loulou, aux roulis, au tangage. Tous les sens doivent être en éveil : états physique, physiologique et psychique primordiaux voir vitaux pour un marin solitaire. 

-          Mercredi 12 :
7h00 :  moi qui pensais naïvement que l’horizon se calmerait en s’enfonçant dans la mer de Corail. Que nenni ! C’est carrément la foire d’empoigne ce matin. Nous avons même des mers croisées. Faudra qu’on m’explique ??? Nous sommes par conséquent bringuebalés en tous sens comme dans un shaker… Santé les amis !
S’en suit un p’tit dèj. en mode Rock’n Roll-show ! Pas d’la tarte quoi. Le roulis perpétuel me pause un sérieux dilemme à résoudre. Tenir la tasse avec la main droite, le pot de confiture dans la main gauche, le beurre avec le menton. OK ! Mais comment fait-on pour beurrer les biscottes ??? Tu lâches la confiture, le couteau se débine, tu lèves la tête : le beurre fout le camp, les biscottes se font la malle. Tu lâches la tasse… AH NON ! Surtout pas la tasse malheureux ! Tu te demandes parfois si y’a pas quelqu’un la haut qui s’amuse avec tes nerfs, et qui se mare bien en t’observant subir les éléments et se débattre comme un beau diable.

          9h00 :  JOUR 8.  12°06 sud,  145°01 est ;  142 milles parcourus.  Reste 68  milles dans le 284° jusqu’à la passe.  188 milles jusqu’à Thursday Island.
Observez la coïncidence relative à la date d’aujourd’hui ainsi que la latitude relevée au point du jour :  12/06 et 12°06 sud !!!! C’est fou ça…
9h30 :  vent d’est sud-est faiblissant sérieusement. Notre moyenne chute. Mer encore très agitée, houle en diminution. Grains et pluie à venir.
Notre passager-artiste-peintre est encore présent. Il aura trouvé le billet pas cher et la ballade nocturne plutôt confortable au bout du compte. En tout cas ; il ne se plaint pas. C’est un fou que j’aurais dû adopter finalement. Quoique : il nous a dédicacé une jolie fresque odorante sur la capote, une partie du roof, du passavant tribord, ainsi que le lazy-bag bien-entendu, au chaud duquel il a stocké ses fesses et ses pinceaux toute la nuit.
9h45 :  Fou-de-haubans bat des ailes et met les voiles. Bon vent l’Artiste, et merci pour le tableau !

J’accélère sur la consommation de fruits et légumes, surtout les fruits, vu qu’à la visite des phytosanitaires ; ils vont encore tout me « sucrer ». Oui ; ils ne sont pas trop « salé » ces gens là !
C’est donc ainsi que je me délecte de mes derniers petits plaisirs me rappelant que la Kanaky : c’est le top quand même ! Bananes écrasées dans du jus de citron vert et sucre roux. Noix de coco. Pamplemousses sucrés et juteux à souhait…

12h00 :  il est l’heure du rituel sacré du hissage des couleurs. Pavillon français à la poupe de Free Spirit. Pavillon de courtoisie (pays visité : ici l’Australie) surmonté du pavillon jaune (pour les douanes) et hissés au premier étage de barre de flèche, à tribord.
C’est donc ça les Alizés « tapis roulants » dont Papa me parlait souvent ; 18-20 nœuds de vent, longue houle de 2 à 2,5 mètres, mer peu agitée à agitée, le tout dans le même sens que le courant océanique. Rare comme conditions !
15h00 :  vent de sud-est 20-25 nœuds. Nuages d’Alizés classiques.
Grâce au GPS : je m’aperçois qu’une veine de courant nous a dépalé de plus de 5 milles dans le nord de notre route. Si prêt du but, zut !
La dérive est importante, cap compas au 265° pour un cap fond au 285°, nouvelle allure de largue, bâbord amure. Il me faut par conséquent reprendre tout le plan de voilure, et en premier lieu : baisser la dérive. Puis tangonner le génois bâbord, hisser la trinquette sur tribord, ainsi que la GV à 3 ris. Free Spirit repart de plus belle ! Ou je t’aime toi…
Dernière nuit en mer de Corail, dernière nuit au sein de l’océan Pacifique sud. Jusqu’à la prochaine fois, mais pas dans 25 ans par contre. Je t’en fais la promesse ici et maintenant.

PS ;  je suis toujours en heure de Nouvelle-Calédonie.
20h30 :  nous y sommes, sous la protection de la Grande Barrière de corail ! Tout est instantanément beaucoup plus calme d’un coup ! Quel bonheur. Si nous pouvions avoir ce genre de conditions sur toute une traversée ! Conditions de demoiselle si je puis m’exprimer ainsi. Nous sommes guidés par le clair de lune droit devant et la Croix du Sud sur notre bâbord. Le sondeur renoue avec les fonds, australien ceux-là ! Le système de marée est semi-diurne à inégalité diurne dans cette zone… ça laisse pantois !

C’est donc par la petite porte dérobée, naturellement et judicieusement creusée dans la Grande Barrière de Corail, que nous nous engouffrons dans le lagon et nous apprêtons à laisser derrière nous dans notre sillage l’océan Pacifique, deux ans quasiment jour pour jour après y avoir pénétré par le transit du Canal de Panama. Des souvenirs pleins la tête, des images pleins les valises, avec en moments forts tous les atterrissages de grandes traversées ; îles Galapagos, îlesMarquises, atolls des Tuamotu, Nouvelle-Zélande, île des Pins en Nouvelle-Calédonie, détroit de Torrès. Ma préférence pour l’arrivée en Polynésie, La baie des Vierges sur l’île de Fatu Iva, et l’atoll de Takaroa au Tuamotu, où seuls ceux qui n’ont rien sont prêts à tout partager, le cœur gros comme ça ! Et bien sûr les rencontres, encore et toujours.
Aucune lumière artificielle en vue. C’est partie pour une navigation d’environ 120 milles au sein du lagon, dans des profondeurs allant de 12 à 50 mètres. Et je peux vous dire que c’est les montagnes russes là-dessous !
Le taux d’humidité, à l’extérieur comme à l’intérieur frôle les 100%.
22h00 :  j’affale la GV qui commence, de part notre nouveau cap au 300°, à déventer la trinquette. Nous continuons presque plein vent arrière, les 2 voiles d’avant chacune tangonnées sur son bord respectif. La lune vient de disparaître à l’horizon, laissant au dessus d’elle un magnifique ciel étoilé. Conditions de demoiselle comme je vous disais !

-          Jeudi 13 :
7h00 :  vent de sud-est 20 nœuds. Bonjour Mesdemoiselles !  100% de couverture nuageuse, calquée sur le taux d’hydrométrie. Mer « intérieur » peu agitée, pas de houle mais quelques creux de 1 mètre.
Nous nous battons contre le courant de marée descendante et donc défavorable (d’environ 1,5 nœud) depuis minuit, et ce jusqu’à 6 heures ce matin. On le sent en notre faveur depuis 8 heures, environ 1 nœud, guère davantage.

          9h00 :  JOUR 9.  11°05 sud,  143°41 est ;  130 milles parcourus.  Reste 67  milles dans le 300° jusqu’à Thursday Island.

En fin de matinée : nous entrons enfin en contact visuel avec un semblant de quelque chose qui ressemble à un îlot de sable. Et vous allez pas me croire : un serpent de mer énorme, rayé tout pareil que les Tricots Kanaks, qui ondule tranquille à la surface, et passe, stoïquement, à un mètre à peine de la carène de Free Spirit lancée bille en proue !

A 16 heures :  je n’ai toujours pas réussi à joindre les autorités sur le canal 18, ni sur le 16 d’ailleurs. Personne au bout du fil ! C’est fâcheux car je sais que les Walabis sont plutôt pointilleux sur les procédures d’arrivée et de départ des navires quels qu’ils soient. Ca m’agace !

14h30 :  TERRE Aborigène en vue sur bâbord !
16h20 :  nous doublons Pitt Rock (Albany Island) par l’est callé comme sur des rails à 8 nœuds sur une mer peu agitée. Un bon nœud de courant favorable.
Il fait toujours beau mais je ressens une sensation bizarre difficile à expliquer, comme si nous étions sur une autre planète. Le ciel n’est pas brumeux, mais plutôt laiteux, ce qui donnera plus tard un coucher d’un autre monde ! La couleur de l’eau est également très particulière. Je n’avais jamais vu ça auparavant. En fait je ne saurais décrire cette couleur. Vert/bleu/turquoise/transparent/laiteuse. Vous voyez le genre ?

Après 18 waypoints suivis et enchaînés de main de maître par Loulou, nous touchons Thursday Island… Coïncidence : un jeudi ! Nous avions une chance sur 7 vous allez me dire !
« Mais de quelle coïncidence il parle ? ». « Euh, jeudi se dit Thursday en anglais ndlr ».

Il est 20 heures pile lorsque j’affale les voiles et laisse tomber l’ancre à proximité de la bouée jaune de quarantaine, par 7,7 mètres de profondeur.
Position :  10°35 de latitude sud,  142°13 de longitude est.  70 milles parcourus depuis le dernier point effectué à 9 heures ce matin.
La nuit ne va malheureusement pas être de tout repos car le vent va souffler fort, de 20 à 30 nœuds (un grain à 35 nœuds me sortira même du lit afin de veiller durant 20 minutes à la bonne tenue du mouillage). Si ça dérape : nous n’avons pas beaucoup de marge de sécurité avant le récif qui borde la plage. L’endroit est plutôt rouleur, très agité avec beaucoup de clapot en raison de forts courants de marée, jusqu’à 5 nœuds.



Résumé de la 7ème traversée transocéanique depuis le départ de France :


Free Spirit a parcouru 1 320 milles en 9 jours et 11 heures,  à 5,8 nœuds de moyenne pour 140 milles par jour.
157 heures de barre pour Loulou qui s’est encore une fois surpassé car les conditions étaient, « encore une fois », pas faciles du tout !  70 heures pour le capitaine.
5 minutes de moteur au départ de l’atoll Huon.
Nouveau record de vitesse instantanée établi à 15,1 nœuds.
Pas de record des 24 heures (toujours égal à 162 milles).
8 jours sur 9 et demi passés sans l’aide de la grand-voile.


-          Vendredi 14 :
Ah oui au fait ; je vais peut-être remettre les pendules à l’heure, au sens propre j’entends ! Il n’est plus 9 heures, mais 8 heures du matin.
J’arrive enfin à joindre Thursday Island Station sur le canal 18. C’est pas trop tôt. Ils viennent à bord à 10h30. Toute la communication se déroule en anglais bien évidemment ! Bienvenu dans le Commenwealth !
Je suis rasé de prêt, douché, coiffé, habillé bermuda et chemisette, Free Spirit est rangé, propre. Nous sommes en place pour la réception des grands jours.
Ils arrivent à l’heure (la réputation de la ponctualité anglaise n’est plus à faire !), au nombre de 3 ; douane, immigration, phytosanitaire (service vétérinaire), abordage. Ils montent à bord par la plage arrière « Great ! ». Présentation. Ils enlèvent leurs chaussures et demandent à descendre à l’intérieur. C’est parti pour la visite. Le phyto fait le tour des placards, coffres, etc… Le douanier me donne un formulaire à remplir, et l’agent de l’immigration m’annonce du tac-o-tac sans prendre de gant le prix du « Fee » ou honoraire dû au moment du premier port touché en Australie. Je tousse et devient tout rouge !  Clearance =  330 dollars !!! Avec ou sans chat à bord ! J’essaie de lui expliquer que je ne suis là qu’en transit, 3 ou 4 jours, et ne souhaite pas naviguer dans les eaux australiennes. En fait on m’avait dit que le « Cruising permit » était cher mais que si l’on ne faisait que transiter ; les frais devenaient dérisoires. Et bien la réalité est toute autre. Le cruising permit ou permis de navigation est gratuit, et valable pour la durée du visa (gratuit aussi) de l’équipage bien entendu, c’est-à-dire 3 mois. En fait : tout est gratuit. Les 330 dollars sont une sorte de frais de dossier forfaitaire. Avec ou sans Trinquette, en solitaire ou en équipage, que vous restiez un jour ou 3 mois en territoire australien. C’est comme ça ! Vous trouvez ça juste : moi pas !
Une fois la pilule avalée ; nous poursuivons l’entretien avec une certaine décontraction. J’ajoute que tout se passe même très bien. Ils sont vraiment très sympas et très souriants. Trinquette est restée cachée pendant tout le temps où ils sont restés à bord. Je suis sûre d’une chose maintenant : elle a une sainte horreur des uniformes !
Ils n’ont même pas demandé à la voir, ou même à consulter son carnet de santé. J’en revenais pas. Je leur parle brièvement de mes déboires avec leurs homologues Kiwis ! Ils n’en reviennent pas à leur tour !
Comme je l’avais prévu : ils m’ont sucré 2 fruits de la passion, la moitié d’un choux et une douzaine d’œufs. J’avais planqué un énorme pamplemousse et 2 pommes. J’avais aussi planqué les œufs d’ailleurs !
Le véto me demande (question piège !) s’il me reste des œufs ? Bizarre… Tant pis pour mon omelette du soir ; je sacrifie mes œufs. Je lui réponds que oui. Il me demande combien ? Une douzaine. Bonne réponse. Ils les avaient trouvés ! Ouf… Si j’avais répondu non à la première question ; aie aie aie !
On se salue avec respect. Ils adorent Free Spirit, trouvent que pour un solitaire (avec un chat à bord de surcroît), il est très bien entretenu et en parfait état. Ils ne manquent pas non plus de me dire qu’il faut beaucoup de courage pour faire ce que je fais. L’un d’entre eux kiffe le coup de la dérive (système fort peu répandu chez les anglo-saxons).
A midi ; ils quittent le bord en me souhaitant encore une fois « Welcome in Australia » and « have a good week-end ».

Je suis officiellement libre de bouger sur les terres australiennes, où chaleur et humidité règnent en maître. Dimanche ; il pleuvra copieusement pendant 8 heures non-stop, accompagné de vent fort. Auto-claque-murage à bord pour l’occasion ! Ecriture, lecture.
Préparation de l’annexe. Je décide de monter le 6cv car le courant est très fort. Je ne m’en suis pas servi depuis son hivernage effectué fin décembre 2012 à Koumac. J’avais oublié à quel point il était lourd. Tout est fin prêt. Je me prépare à aller à terre. La VISA, le PC ; minimum vital quoi !
C’est parti ! Ah ben nan : le lanceur du hors-bord est bloqué. Grippé sûrement. Je n’ai pas le temps de voir ça maintenant. Il me faut faire la manœuvre inverse. Toujours aussi lourd, toujours aussi mouvementé. J’installe le 2cv en espérant que ça va suffire. On se traîne mais c’est toujours mieux que la rame (cette solution n’était d’ailleurs pas envisageable. On ne rame pas contre 5 nœuds de courant et 25 nœuds de vent, on reste à bord à lire et à écrire !).
Nous voici enfin sur la terre ferme. Rien à voir avec le dernier contact que j’ai pu avoir avec cette dernière. L’atoll Huon en Nouvelle-Calédonie est tout de même autrement plus… sauvage !

Tel un Indien dans la ville : je manque, dès les premiers pas aux abords de la route, me faire décoiffer par un énorme 4X4 pickup tout neuf (ici aussi, sur une île de 5 kilomètres de contour, routes parfaitement goudronnée !!! Et il n’est pas le seul…) qui klaxonne à tout va… afin de bien me faire comprendre que je suis du mauvais côté de la route. Zut c’est vrai ! On roule à gauche ici !
Bon à part ça : le contact est bon enfant. Les autochtones sont très gentils et agréables. Par contre, si la vie est chère en Nouvelle-Calédonie ; ici c’est carrément le coup de massue !
Je me contenterai donc du strict minimum : le pain de mie toujours aussi bon dans les pays du Commenwealth, des œufs, fruits et légumes frais, et quand même un bon gros morceau de bœuf la veille du départ.
Visite, si l’on peut dire, de l’île. Le tour s’effectue en 1 heure environ.
Et comme en Polynésie et en Kanaky ; je déplore que les gens soient ici relativement peu adeptes à l’utilisation des poubelles et semblent peu se soucier de leur équilibre environnemental. C’est vraiment fort regrettable.
Il ne faut surtout pas manquer de se rendre aux 2 points de vue panoramiques, à savoir celui du « Green Hill Fort », construit en 1891 à 58 mètres d’altitude, et celui des deux éoliennes. Ces dernières couvrent largement les besoins de l’île en énergie électrique et pour cause : le vent ne s’arrête jamais, never never never… Nous sommes d’ailleurs presque situé à l’endroit où naissent les dépressions tropicales qui partent ensuite vers le Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie, ou vers Brisbane. Dépressions potentiellement susceptibles de se métamorphoser en cyclones plus ou moins puissants.
Au bord de la route ; ne passent pas inaperçues de gigantesques fourmilières haute comme Mickaël Jordan en personne. Je ne vous raconte pas la taille des travailleuses !
Beaucoup de maisons sont construites sur pilotis, bardage en bois. Elles sont toutes  très colorées. Les jardins sont copieusement fleuris, le capharnaüm peut-être remarquable à certains endroits. On y trouve toujours, bananiers, cocotiers, citronniers, panier de basket, ballon de rugby, ainsi que le bateau coque aluminium à moteur hors-bord et tout son attirail de pêche qui va bien. Plus très souvent le pick-up !
Côté mer : la pêche est une activité fleurissante visiblement, poissons, langoustes, crevettes, coquillages, et huîtres perlières (les perles sont blanches, et loin d’être aussi belles que celles des Tuamotu). L’odeur particulière de la mer chargée d’iode et donc d’humidité saline perpétuelle, l’atmosphère, l’ambiance, tout me rappelle beaucoup le Bassin d’Arcachon et son lot de marins.
Il est possible d’observer dans le détroit d’autres espèces bien présentes à degrés de gentillesse et dangerosité variables : crocodiles de mer, requins, dugongs (ou lamentins), tortues, serpents etc… L’Australie est un pays hostile en termes d’animaux marins. Les terres ne sont pas en reste : araignées, serpents toujours, scorpions, kangourous boxeurs et j’en passe…
Je termine avec une anecdote croustillante, Trinquette dans le premier rôle.
En rentrant à bord samedi en fin d’après-midi ; je découvre mon fauve en train de croquer une aile de poulet ??? Alors là : tu ne me l’avais jamais faite celle-là !
Comment est-ce possible ?
Explication :  le week-end, les familles viennent piqueniquer sur la plage où tables et bancs sont installés pour leur plus grand confort. Et ça y va les litres de Coca, hamburgers, paquets de chips gros comme des sacs de spi, et poulets rôtis. Les mouettes sont bien présentes à quémander les moindres restes de leurs semblables à plumes. Les enfants leur jettent avec plaisir ; cela fera ça de moins à mettre aux ordures. De toute façon, on laisse quand même tous nos déchets sur place ! C’est moche ce que je dis, mais j’ai assisté à la scène, dépité !
Donc pour en revenir aux mouettes : elles récupèrent le magot et s’envole directement sur les diverses embarcations mouillées à proximité de la plage. Et l’une d’elle a eu l’idée saugrenue de venir consommer son repas durement acquis sur le pont de Free Spirit, tranquille le chat. Ben justement ; l’oiseau n’avez pas prévu la présence d’un prédateur féroce aux poils luisants comme la nacre d’une huître perlière. Et vous imaginez la suite ; un oiseau sur son territoire ; c’est juste inacceptable. La pauvre mouette n’a pas fait long feu, elle fût chassée comme une vieille chaussette, l’air blême et le ventre vide. A Trinquette de se délecter d’un frugale repas, ma foi, qu’elle n’a vraiment pas l’habitude de consommer. Ceci dit ; elle aurait bien bouffé la mouette avec !!!

1 commentaire:

  1. Hello Mister,
    C’est Seb un Kiteux de 2m rencontre sur l’Ile Rodrigues en Septembre.
    Je n arêtes pas de dévorer ton aventure, maintenant poster a Singapour pour 2 ans. J’adore lire et relire ce carnet de bord truffé d'anecdotes et de souvenirs.
    Continue à nous faire rêver autour de cette belle planète.
    Bon vent l’ami et peut être a un de ses jours sur l’eau.
    Seb

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