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Vendredi 6 décembre 2013 :
Oui je
sais : on ne part pas un vendredi pour une longue traversée, surtout au cœur de
l’Océan Indien, et surtout celle-ci précisément ayant pour destination l’Afrique
du sud, à plus de 1 500 milles de La Réunion. Nous avions appareillé
un vendredi également au moment du départ des Cocos Keeling Islands vers
Rodrigues (archipel des Mascareignes). Euh, ça nous avait pas trop porté chance
d’ailleurs mais bon ; on fait pas toujours ce que l’on souhaite dans la
vie. On fait des bêtises aussi. Bon revenons à nos moutons : nous disions donc
départ du port de Saint-Pierre, le cœur gros, des images et
souvenirs pleins la tête. Il est 8 heures du matin, et déjà ; il fait très
chaud.
Moteur démarré, amarres larguées, Free Spirit embouque
sereinement le chenal qui peu à peu s’ouvre sur le grand large.
Pas un seul nuage dans le ciel, le vent souffle de terre en
brise thermique très faible. La mer est agitée et croisée avec une houle de sud
de 2 à 2,5 mètres .
Et fait incroyable mais vrai ; Trinquette est
malade ! Elle a visiblement très mal digéré le yaourt et les letchis de
hier soir !
A 10 heures, nous touchons enfin les Alizés de sud-est
soufflant de 10 à 15 nœuds ; conditions idéales pour une reprise. Génois
entièrement déroulé + GV à 1 ris, nous marchons correctement, allure de petit
largue bâbord amure, cap au 235°.
1 500 milles à parcourir jusqu’à un éventuel atterrissage
à Durban en Afrique du Sud, avec un détour substantiel mais nécessaire d’une
centaine de milles afin d’arrondir très largement les côtes sud de Madagascar
(la distance de sécurité idéale préconisée par l’ensemble de la communauté des
navigateurs et autres guides nautiques étant de 200 milles environ). Dans cette
zone : les courants, les vents, les mers, les orages, la houle se
rencontrent et s’affrontent parfois très violemment. Il convient donc d’éviter
de couper au travers, sauf dans le cas où les bateaux ont la possibilité
d’avoir les fichiers météo à bord… et encore !
12h00 : l’Alizé
ventile à 15-20 nœuds et nous permet d’allonger la foulée. Je vais même en
profiter pour me faire plaisir quelques heures à la barre afin de reprendre mes
marques… Quelle douce sensation de se sentir de nouveau libre, en phase avec
mon compagnon de voyage qui n’aura connu que le port de Saint-Pierre sur cette
escale pourtant tellement excitante et passionnante.
D’abord entièrement dégagés ; les hauts sommets de l’île
se font prendre au piège par la couverture nuageuse, comme c’est le cas chaque
jour.
16h00 : seul le
chapeau de nuages qui englobe La
Réunion nous donne une idée de sa position… Cette fois ;
nous sommes partis, en laissant derrière nous, digéré par le sillage tracé par
Free Spirit, souvenirs, rencontres, anecdotes, images et films chargés
d’émotion et de contemplation, avec comme piliers la famille, les amis, les
cirques, cascades, fruits de saison…
18h00 : comme
prévu par les fichiers météo (et oui, comme quoi tout arrive ! ),
l’Alizé oblique doucement à l’est sans faiblir, et ce, pour notre plus grand
plaisir. Nouvel allure de largue ; je module la voilure en mode ciseaux,
génois tangonné sur bâbord.
La houle de sud tend à s’affaisser au détriment de la mer
d’est à sud-est qui se creuse à 2 mètres environ et devient très agitée de part
les mouvements croisés. Toujours l’Indien et ses navigations
inconfortables !
Coucher du soleil topé à 18h55 ! La lune côtoie Vénus et
s’interroge sur un éventuel rapprochement nuptial !
21h30 : le ciel est tacheté de milliards d’étoiles
brillantes et scintillantes, pas un seul nuage pour venir contrarier ce
spectacle dépourvu de toute pollution luminescente. Quelle journée mes amis,
quelle journée ! On ne pouvait rêver mieux pour un départ.
1
Samedi 7 :
5h33 : l’astre
solaire répond présent sur la ligne d’horizon toujours dégagé. Encore du beau
temps en perspective.
Vent d’est 10 nœuds, mers croisées et désagréables d’est et
sud-est plus longue houle de sud.
8h00 : JOUR 1. 22°50 de latitude sud, 53°56 de longitude est ; 125 milles parcourus ces premières 24 heures.
Il faut remonter à la traversée de Nouvelle-Zélande vers la Nouvelle-Calédonie
pour toucher de telles latitudes. Bientôt les 35èmes. Enfin pas tout à
fait ; le cap Agulhas, extrémité sud de l’Afrique, se positionne par 34°50
de latitude sud ! Il est notre objectif de fin d’année.
8h30 : le vent
continue sa lente rotation vers le nord-est, nous poussant à manœuvrer un
changement d’amure. Allez hop ; on empanne !
12h00 : seule une
légère brisounette demeure, tandis que la longue houle de sud sud-ouest se
forme à nouveau, à mon grand regret. Free Spirit se balance irrémédiablement
d’un bord sur l’autre au gré des mouvements ondulatoires générés par la
dépression qui sévit plus bas en latitude. Les voiles ne sont plus aussi
stables et gonflées que mon gréement le souhaiterait. Je prends le 2ème
ris dans la grand-voile afin de soulager et de minimiser les coups de rappel
sur la mature.
Pendant ce temps là : le soleil continue de cogner sans
retenu aucune, et il fait toujours très chaud.
18h00 : et ce qui
devait arrivait arriva… le vent chuta ! Exceptionnellement, car cette
traversée l’est tout autant, je me résigne à démarrer le moteur pour quelques
heures.
J’ai remarqué qu’un courant traversier assez conséquent
(environ 1 à 1,5 nœud) nous pousse au sud-est. Nous nous calons direction plein
ouest cap compas, pour du 240° au cap GPS. Merci la technologie ! Pour ce
genre de détail : le GPS est une invention qui à elle seule a révolutionné
la plaisance.
Nous ne sommes pas seuls ! Aidé de ma lampe
frontale : je contemple avec une certaine émotion la nage de deux superbes
Maï-Maï tournoyant autour de Free Spirit. Leur peau, au contact du faisceau
luminescent, devient phosphorescente et donc parfaitement visible.
22h00 : vent d’est
faible. J’éteins le bouzin et tangonne le génois sur tribord… ou sur bâbord…
peu importe, à ce stade de ventilation : ça ne change pas grand-chose.
C’est quand même beaucoup mieux pour espérer passer une bonne
nuit.
Une veille attentive est obligatoire toutes les heures car ces
eaux là sont très fréquentées. Je dénombre une demi-douzaine de bateaux de
commerces chaque jour, et ils ne passent pas loin !
2
Dimanche 8 :
7h00 : vent
inchangé, toujours aussi fainéant. 100 %
de couverture nuageuse. La mer est peu agitée et la longue houle de sud vient
en augmentant.
8h00 : JOUR 2. 23°31 sud,
53°14 est ; 58 milles
parcourus.
12h00 : la pluie
fait son apparition, et ça va tomber dru toute l’après-midi ainsi que tout le
début de nuit, ambiance pot au noir. Nous ne verrons ni de devinerons à aucun
moment de la journée la position exacte du Roi Soleil.
20h00 : la houle
ondule et grossit encore pour atteindre 2,5 à 3 mètres .
22h00 : la pluie
semble enfin vouloir s’arrêter tandis que notre couple de Maï-Maï nage toujours
de concert avec Free Spirit. Je les ai baptisé Maille et M’aille, au cas où je
me décide finalement à en prélever un. Il sera sans aucun doute cuisiné à la
moutarde car : « Il n’y a que Maille qui m’aille ! ». Je pourrai
très facilement en harponner un avec mon fusil sous-marin.
Effectivement ; il m’est arrivé à 4 ou 5 reprises de
pêcher le Maï-Maï avec le harpon, et ce dans les mêmes conditions climatiques.
Aujourd’hui ; je trouve cela un peu barbare surtout depuis que j’ai appris
que ces poissons pélagiques voyageaient toujours en couple et en famille.
Affronter le regard du conjoint qui ne trouve rien de mieux que de rester au
contact du bateau pêcheur, tout en ayant l’air de crier
« Assassin !!! », n’est pas une chose facile à supporter avec du
recul. Voilà aussi pourquoi certains plaisanciers qui traînent 2 lignes arrivent
à pêcher 2 membres de la même famille simultanément.
Ceci étant dit ; ce n’est pas pour autant que je vais
devenir végétarien, c’est juste la méthode de prélèvement qui me dérange
aujourd’hui.
Pour la petite anecdote : j’ai eu 3 touches à ma ligne de
traîne au moment de quitter La
Réunion : 3 Maï-Maï, ou peut-être le même à 3 reprises.
Toujours est-il qu’ils ont gagné le combat contre l’hameçon qui ne ressemblait
plus à grand-chose lorsque je l’ai remonté à bord.
3
Lundi 9 :
7h00 : après avoir
passé 15 heures à la dérive (le courant nous a fait parcourir 7 milles plein
sud), je me résigne une fois encore à utiliser la brise Diésel, puisque Eole ne
daigne point nous venir en aide. La mer est très agitée et croisée en tous sens
avec une longue houle de sud sud-ouest d’environ 3 mètres . Nous sommes plus
secoués que lorsque l’Alizé souffle à 20 nœuds avec la mer qui va avec.
Le ciel menace presque à 360°, épargnant notre position
actuelle. Tout de même le gris persiste, heureusement la pluie s’abstient.
8h00 : JOUR 3. 23°50 sud,
52°59 est ; 24 milles
parcourus.
11h00 : nous ne verrons
plus le soleil de toute la journée.
14h00 : la pluie
s'invite mais je lui pardonne, car elle s'incruste accompagnée d'un peu de vent
de sud-est 5-8 nœuds, suffisant pour éteindre le moteur et continuer notre
route sous GV à 2 ris + un bout de génois, bâbord amure, allure de vent de
travers, petit largue. Vous allez me dire : "Pourquoi si peu de toile avec
si peu de vent ? ". La réponse est simple : j'aimerai pouvoir tout sortir mais
c'est juste impossible à cause de l'état déchaînée de la mer et du roulis et
tangage qui en découle. Les coups de rappel sur le mât sont beaucoup trop
violents et le risque d'avarie existe réellement. Il faut savoir doser
intelligemment tout en gardant bien à l'esprit que la sécurité du matériel
prime avant tout autre chose.
16h30 : Eole semble
vouloir nous donner un petit coup de pouce sous la forme d'une brise établie à
12-15 nœuds ! Je libère le 2ème ris, déroule du génois et Free Spirit en
profite pour allonger la foulée.
Coucher de soleil de feu et ciel étoilé, la classe...
Mardi 10 :
4h30 : le vent vire à l'est en faiblissant. Passage
en mode ciseaux, génois tangonné sur bâbord. L'orage menace dans notre
nord-ouest au dessus des côtes malgaches. Le gris persiste au dessus de nos
têtes. La mer ??? C'est tellement le foutoire que je sais même plus d'où vient
quoi ! Quand on voit ce bordel avec seulement 5 à 8 nœuds de vent, on peut
imaginer ce que cela doit être avec 40 nœuds !
8h00 : JOUR 4. 24°53 sud,
51°50 est ; 90 milles
parcourus. Nous avons parcourus 300 milles en 4 jours soit une journée de
retard sur le planning.
11h00 : les grains nous
arrivent dessus, le vent tombe complètement. J'affale tout.
Pour parfaire une journée si bien commencée : mon petit
ordinateur portable sur lequel je tape mon journal de bord ne veut plus
s'allumer. Humidité ? Air salin ? Ou juste envi de faire c...r ! Pas cool car
il avait l'énorme avantage d'être peu gourmand en énergie, laquelle de surcroît
lui était fournie en 12 volts via une prise allume-cigare. L'idéal sur un
voilier.
16h00 : le soleil fait
son apparition. Le vent est toujours très faible, trop faible... et ça roule,
et ça tangue... Tandis qu'une famille de 6 Maï-Maï dansent et gravitent encore
autour de notre modeste convoi.
18h00 : vent d'est 8-10
nœuds. Yes ; on repart enfin, voiles en ciseaux, GV à 1 ris. Méfiance car un
courant de plus de 1 nœud nous déporte vers l'ouest nord-ouest. Pas vraiment
notre route ! La bonne nouvelle vient de l'état global de la mer qui semble
vouloir s'assagir, contrairement aux couleurs du ciel, lesquelles menacent tous
horizons.
3h00 : RAS, sinon que
le vent est viré plein sud. Nous sommes donc dorénavant à l'allure de près,
toujours bâbord amure, et filons tranquillos barre amarrée. La mer est peu
agitée et le ciel est dégagé, brillant d'étoiles scintillantes.
Mercredi
11 :
7h00 : le vent adonne légèrement pour souffler de
l'est sud-est, à 15 nœuds. La mer s'agite, mais la houle de sud d'estompe peu à
peu. Free Spirit accélère, d'ores et déjà calé à l'allure de vent de travers,
petit largue.
Une couverture nuageuse toujours très conséquente, surtout en
haute altitude, nous prive de soleil la majeure partie de la journée. Les
températures sont en légère baisses, le baromètre est stationnaire.
8h00 : JOUR 5. 25°22 sud,
51°05 est ; 51 milles
parcourus. Encore une demi-journée de retard ! On va se refaire j'espère. Bien
que malheureusement : on ne peut point revenir en arrière, et par conséquent ;
ce qui est perdu... est perdu !
13h00 : 25°36 de
latitude sud ; nous venons de déborder le premier passage psychologique de la
traversée à savoir : le parallèle de la pointe sud de Madagascar. Prochain
objectif : le méridien délimitant la côte ouest de Mada ; 43°14 de longitude
est.
14h00 : le temps se
gâte ! A partir de maintenant : je ferme complètement le bateau, et sais
d'avance que cette nuit : je dormirai non plus dans ma cabine avant, mais
allongé sur mon lit de camp, au sol, plancher bâbord, histoire d'être calé et
que ça ne saute pas comme dans un manège où l'on doit choper la queue de Mickey
!
Le vent forcit pour souffler de 20 à 25 nœuds et plus en
rafales. La mer se fâche également, c'est ainsi que quelques déferlantes
apparaissent parcimonieusement au sein de ce décor où la houle de sud-ouest
redevient conséquente. Je passe directement au 3ème ris dans la grand-voile
sans passer par la case second. A cette allure de petit largue ; il serait
inutile voir aberrant de surtoiler sur l'arrière. Je vais m'enquiller 6 heures
de barre sous une pluie battante.
Encore une bad news : mon panneau solaire n'ayant que très peu
caressé la douceur du soleil (à peine 2 heures ce matin), l'utilisation de
l'électricité outre mesure n'est pas d'actualité. J'opte pour donner la
priorité au détecteur de radar ainsi qu'aux feux de navigation fixés en tête de
mât, tous deux peu gourmands en énergie.
Je prépare donc Free Spirit à s'autogérer sans l'aide de
pilote automatique. C'est bien dommage car souvenez-vous : j'avais eu quelques
déboires avec Loulou (le Raymarine SPX5 ; mon pilote fétiche) a vu son moteur
de vérin rendre son tablier juste avant l'atterrissage aux Cocos Keeling
Islands. Quant à Kit (le Raymarine ST2000+ ou "K2000", d'où son nom de
baptême ; mon pilote de secours), il n'a pas du tout apprécié la vague
scélérate qui eut frappée Free Spirit 2 jours après avoir quitté Les Cocos.
Suite à ces mésaventures ; je n'ai plus opérer mes 2 équipiers électroniques
qu'une fois à La Réunion.
En plus ; j'ai toujours le Raymarine ST1000 que m'avait prêté
la famille hollandaise du voilier Boomerang rencontrée lors de notre escale sur
l'île Rodrigues. Donc tout va bien de ce côté là.
Revenons à la manœuvre ; génois enroulé et trinquette hissée,
j'attache la barre et le tour et joué. Vous avez suivi ?
22h00 : vent d'est
25-30 nœuds. Ciel se dégageant. Baromètre en légère hausse. Tension des
batteries de service à 13,2 volts.
Changement de programme ; nous devons remédier au fait que
nous faisons une route trop sud. Je décide finalement de brancher Kit, plus
économique, et d'abattre de 20° sous le vent. Nouvelle allure de grand largue,
cap au 250°. J'affale la GV ,
tangonne 6 m2
de génois sur bâbord et garde la trinquette sur tribord.
A 6 heures du matin : la tension des batteries est à 12,8
volts ; c'est cool.
Jeudi 12 :
7h00 : vent d'est 25 nœuds, temps exécrable, mer
épouvantable, MAIS : on avance, on avance, et c'est ça qui compte !
De plus ; nous venons de dépasser la longitude de la côte est
de Madagascar.
8h00 : JOUR 6. 26°58 sud,
49°37 est ; 125 milles
parcourus. Il reste 995 milles à parcourir jusqu'à Durban.
12h00 : 3 heures et
demie à la barre ; 3 heures 17 sous la pluie ! Je scrute le ciel à la recherche
du moindre rayon de soleil bienfaiteur... en vain. Mon côté optimiste en toute
situation en prend un sacré coup, et je ne vous parle pas du moral. Moi qui
n'aime pas la pluie, enfin sauf sous forme de neige ! , je suis servi. Et ce
n'est pas fini. Et puis tout est gris, triste à se morfondre de désespoir.
La mer n'est pas dangereuse en soit, mais alors elle ressemble
à un véritable champ de bataille ; ça croise et ça déferle tous azimuts. Par
moment : on se retrouve en mode ascenseur à bondir de près de 4 mètres . Je préfère quand
ça s'arrête au premier étage !
Bref ; le confort de vie à bord n'est pas une sinécure, ça non
alors.
16h00 : le vent chute à
10 nœuds. La pluie s'arrête enfin. Il me semble même... oui, non, peut-être...
si si ; il est là le soleil, à 20° sur tribord. A moins que ce ne soit un
mirage ?
20h30 : coup de vent de
sud sans crier gare ! 30-35 nœuds et ça monte encore. J'ai juste le temps
d'enrouler le génois. Je laisse la trinquette seule, allure de vent de travers.
Une demi-heure plus tard ; les rafales atteignent 50 nœuds
m'indique mon anémomètre, et il pleut, il tombe des hallebardes. Sans
hésitation ; j'affale la trinquette et mets à la cape, je ne sais pas où tout
cela va nous mener. En tout cas : voici exactement le pourquoi de la marge de
sécurité égale à un minimum de 150 à 180 milles de la côte sud de Madagascar
correspondante en gros à la zone marquée par le plateau continentale malgache.
Jusqu'à 7 heures du matin ; la baston ne s'essoufflera pas en
deçà de 40 nœuds, la pluie continuera de tomber dru.
Vendredi
13 :
7h00 : vent de sud-est 30 nœuds avec de rares
rafales à 35. La mer est déchaînée. Certaines déferlantes à l'affût culminent à
plus de 4 mètres .
Un peu plus tard dans la matinée : l'une d'elle va submerger le cockpit ainsi
que le capitaine au poste de barre, d'une violence pas piquée des hannetons !
Je relance Free Spirit sous trinquette plus 3 m2 de génois tangonné pour
l'équilibre du cap à prendre. Allure de largue, bâbord amure. Temps très très
gris, désolant. J'ai encore malheureusement peu d'espoir en ce qui concerne
l'apparition généreuse du Roi Soleil.
Nous voguons parallèlement à 170 milles environ des côtes
malgaches.
8h00 : JOUR 7. 27°31 sud,
48°03 est ; 90 milles
parcourus. Pas mal du tout compte tenu du fait que Free Spirit soit resté 10
heures à la cape, et plus de 4 heures avec moins de 10 nœuds de vent !
Cette première semaine de traversée totalise 563 milles de
progression, 80 milles par jour. Soit 20
milles de moins que ce que j'avais prévu. Cette traversée là n'a décidemment
rien à voir avec les autres.
18h00 : le ciel offre
une palette de couleurs gris, anthracite, gris-bleu encore jamais observée
jusqu'à maintenant. Le vent faiblit tandis qu'en l'espace d'une heure à peine,
le ciel va complètement se dégager au dessus de nos têtes, en mettant enfin un
terme aux trois derniers jours sans soleil : ce fût très difficile pour le
moral... et pour le linge ! Il est de toute évidence trop tard pour faire un
petit coucou au soleil déjà parti se coucher à l'ouest. Tant pis ! En revanche
; la lune apparaît presque au zénith. Elle sera pleine dans 4 jours exactement.
20h00 : nous
accueillons avec bonheur l'Alizé bienfaiteur ! Il souffle de l'est sud-est 20
nœuds. Les températures sont en baisse. Nous avons dû perdre une petite dizaine
de degrés par rapport à Saint-Pierre. Ceci dit, ce'nest pas plus mal parce que
35 degrés dès 9 heures du matin ; ça commence à faire chaud !
La mer est toujours très agitée à forte par moment, et pour
cause : nous combattons contre 1 à 1,5 nœud de courant contraire. Et oui : y'a
toujours un truc qui fâche !
L'autre mauvaise nouvelle vient de l'état de charge limite des
batteries de servitude pour permettre à Kit de barrer toute la nuit. On verra
ce que ça donnera au fur et à mesure de notre vie nocturne.
Et Trinquette alors ? Elle dort 25 heures sur 24, à se tourner
et se retourner dans tous les sens, mais surtout sur le dos les 4 pattes au
plafond ! Ce soir, pour son dîner ; elle aura exceptionnellement droit à un
chouia de porc en boîte. Ca me fait bien marrer... pour une chatte marocaine
!!!
Vous savez : y'a un spectacle que j'adore contempler et où je
reste toujours admiratif : c'est lorsqu'elle fait sa toilette, assise sur son
séant, en équilibre sur le puits de dérive, à se balancer et se jouer des
mouvements imprévisibles et saccadés de Free Spirit, sans qu'elle ne soit
jamais prise au dépourvu dans son numéro d'équilibriste chevronnée, championne
du monde des chattes à la patte marine ! Dans ce même laps de temps : si j'ai
le malheur de lâcher mon pot de mayonnaise ou mon verre d'eau ne serait-ce que
quelques secondes ; tout valdingue !
Samedi 14
:
6h00 : changement de décor ! Vent de nord 5-8 nœuds.
Mer très agitée, houle de travers qui ne nous rend pas la vie facile, et 99,9 %
de couverture nuageuse. Le roulis est exaspérant et indomptable mais nous
devons faire avec. J'essaie de hisser la
GV (à 2 ris ! ) + 6 m2 de génois. Les voiles se gonflent et se
dégonflent d'un bord sur l'autre. Cap plein ouest, allure de bon plein.
5 minutes plus tard : j'affale la GV ; trop violent les coups de
rappel.
Apparemment, soleil et vent dans cette partie du globe marin
ne sont pas envisageable simultanément ! Il faut choisir soit l'un, soit
l'autre, mais pas les deux en même temps... pas faisable...
8h00 : JOUR 8. 28°07 sud,
46°47 est ; 77 milles
parcourus. Il reste 832 milles à
parcourir jusqu'à Durban.
Le courant nous porte au sud-est à la vitesse non négligeable
de 1,5 nœud, ce qui ne nous arrange pas du tout. Mais il y a une bonne nouvelle
: le retour du beau temps se profile à l'horizon, et le soleil brille enfin,
suffisamment pour réchauffer mon cœur malgré tout ce bordel.
8h45 : contre toute
attente ; on repart finalement tant bien que mal. Allure de bon plein, tribord
amure, barre amarrée. Cap au 310° afin de parer la dérive due au courant
traversier portant au sud.
En parlant de courant : je m'aperçois bien vite qu'il est
malheureusement bien plus puissant que je ne l'avais imaginé ; de l'ordre de 2
à 2,5 nœuds. Au cap 320° : à une vitesse de 2,5 nœuds au loch-speedo, nous
faisons presque du sur place, voir on continue à ce faire dépaler vers le sud.
En outre, d'après les guides nautiques (aucun ne parle de
courant aussi fort dans ce sens à cet endroit ! ), le vent de nord dans cette
zone annonce l'arrivée d'une dépression, sauf si le baromètre reste stable.
Pour information ; il baisse légèrement. Qui dit dépression, dit coup de vent
d'ouest et sud-ouest. Courant et vent jumelés dans le sens contraire de notre
route = déception incommensurable = des coups à se retrouver en Australie en
moins de 72 heures !
Sinon ; les Maï-Maï sont toujours dans la place à batifoler
joyeusement alentours. La parade des dauphins n'est pas en reste ! Tout ce
petit monde aquatique se marre bien en nous voyant dans notre galère. Les
dauphins, les premiers de cette traversée, s'en donnent à cœur joie au gré de
leurs enfantillages. A moins qu'ils ne soient en chasse. Les voir sauter avec
une synchronisation millimétrée, tous parfaitement alignés, pourrait laisser croire
à une partie de chasse sur fond entraînement paramilitaire à la mode GI. En
tout cas ; le spectacle offert par Dame Nature est, une nouvelle fois, digne de
la perfection.
17h00 : il ne va pas
sans dire que je n'ai pas jeté la ligne de traîne dans l'espoir de ne surtout
rien pêcher, mais tout de même ; ça n'a pas été facile de lui asséner le coup
de grâce au Maï-Maï qui a eu la fâcheuse idée d'assouvir son instant de chasse
sur mon leurre. Surtout que son binôme nageait tout près de sa moitié prise au
piège, jusqu'à la remontée à bord. Mon dîner aura un petit goût d'amertume,
contre un apport conséquent et non négligeable en protéines fraîches. Lorsque
l'homme a faim ; il se sert. Mais parfois, il a une conscience. C'est pour
cette raison en autre que nous sommes l'espèce dominante sur terre... et sur
mer. Pas toujours la plus intelligente loin s’en faut…
19h00 : côté navigation
: c'est pas terrible, même si le soleil a brillé fort aujourd'hui. Le vent a
encore tourné vers le nord-est, puis bientôt vers le nord, et c'est bien
dommage car c'est justement dans cette direction que nous devons caper
compte-tenu du courant qui continue à nous faire plomber vers le sud. En
revanche ; la mer s'est bien adoucie, et pas un nuage ne vient rompre la bleue
monotonie du ciel.
Les jours s'enchaînent à l'ouest de l'océan Indien, sans se
ressembler pour autant.
Chut ! La lune dit au revoir au soleil qui s'en va se réfugier
dans son infinie tanière occidentale : il est précisément 19h46.
Minuit : ça se couvre
méchamment, le vent monte progressivement et refuse irrémédiablement : 20-25
nœuds... pour l'instant !
J'enroule le génois et le remplace par la trinquette.
4h00 : 25-30 nœuds. La
pluie fait son come-back sous forme de crachin breton. Notre
"méchant" cap (pas celui du sud de La Réunion ! ) est au 210°.
Le 3ème ris est pris... principe de précaution ! De surcroît ; il est inutile
d'aller trop vite dans cette direction que nous imposent les éléments liés
contre nous.
Dimanche
15 :
7h00 : vent faiblissant à 20-25 nœuds et tournant à
l'ouest nord-ouest. Temps gris et frais. Soleil par intermittence. Baromètre en
hausse progressive. Notre cap est de plus en plus mauvais, avec même une pointe
d'est dans notre sud. On va bientôt se retrouver à croiser la route empruntée
par les 60 pieds
IMOCA du Vendée Globe !
8h00 : JOUR 9. 28°52 sud,
46°26 est ; 50 milles
parcourus dans le 210°. Ce vicieux courant commence sérieusement à devenir très
contrariant. Sans lui, qui a le démérite de n'existait que pour nous, Durban serait
à 750 milles de notre supposée position, et non pas à 806 milles !
Donc : en attendant que le vent continue sa rotation vers
l'ouest, le sud-ouest (en principe : c'est là qu'on se prend le coup de baston
dans notre face ! ), le sud, et enfin le retour de l'Alizé de sud-est tant
espéré, je décide d'arrêter la descente vers le pôle sud, vire de bord, et
remonte vers le nord, cap au 340°. Soit quasi plein sud avec la dérive due à
notre allure de près, bâbord amure. La dépression va continuer son petit bonhomme
de chemin oriental, et Free Spirit pourra reprendre tranquillement sa route
vers l'ouest, et tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes
océaniques.
Ah les vicissitudes de la météorologie ! En tout cas, nous
sommes définitivement sortis de la zone à risque cyclonique de l'océan Indien.
Ca ; c'est fait ! Et on peut dire qu'elle est bonne cette nouvelle là !
12h00 : beau temps,
belle mer. Je relâche le 3ème ris, affale la trinquette et déroule le génois.
On accélère un chouia au gré de l'adonnante bénéfique. Cap au 300°.
15h00 : le vent est
passé au sud-ouest, mais malheureusement en s'essoufflant complètement. Il me
reste à tout affaler et à démarrer le moteur encore une fois. Kit reprend la
gouverne, cap plein ouest.
21h00 : chut, tais-toi
le bouzin ! C'est bon ; j'ai eu ma dose de nuisance sonore pour la journée.
Calme plat... quel silence !
Lundi 16 :
7h00 : une faible brisounette se lève de l'est.
Faible, certes, y'a pas de quoi casser 3 pattes à un canard, mais suffisante
pour reprendre timidement notre progression. En tout cas, on peut apprécier le
calme et le silence à sa juste valeur, c'est très rare en mer, surtout dans
cette zone. Voiles d'avant en ciseaux, génois et trinquette tangonnés. La
trinquette sera remplacée par le génois léger en milieu de journée. Notre cap
est au 270° ; plein ouest.
Grand beau temps, la mer est peu agitée sur une petite houle
ondulante venant du sud par le travers bâbord.
Et nous ne sommes pas seuls : des milliards de méduses
stagnent stoïquement autour de nous ! C'est beau la vie sous-marine !
8h00 : JOUR 10. 28°46 sud,
45°48 est ; 34 milles
parcourus en route fond (10 heures à la dérive + 6 heures de bouzin). Nous
avons parcourus facilement 10 milles de plus en surface. Ceux-ci feront partis
des pertes et profits !
Nous sommes déjà le 16 décembre et avons à peine atteint le
milieu de la traversée... en dix jours ! Tout ce que je demande ; c'est d'être
arrivé pour pouvoir donner des nouvelles à Noël, le 25 décembre. Soit dans 9
jours. Il nous reste 775 milles à parcourir jusqu'à Durban, un objectif d'un
peu moins de 90 milles par jour. Objectif que nous n'avons pas atteint sur la
première moitié de cette très longue traversée. Longue en temps car la distance
n'est pas énorme ; elle est par exemple plus courte de 500 milles par rapport à
celle ralliant les Cocos Keeling Islands à l'île Rodrigues.
22h00 : le vent d'est
nord-est forcit à 15-18 nœuds. J'affale le génois léger et hisse la GV à 2 ris, le génois restant
tangonné sur tribord. Le temps se couvre graduellement... et autant dire que
j'aime pas tellement trop bien ça !
Minuit : la brise
refuse légèrement, mais suffisamment pour m'obliger à rentrer le génois et
hisser la trinquette sur bâbord, allure de vent de travers petit largue.
3h30 : petit coup de
vent à venir agrémenté de rafales à 30 nœuds. Celui-ci n'aura pas la courtoisie
d'attendre le lever du jour pour que le 3ème ris soit pris. La mer se forme,
j'entends déjà quelques lames venir claquer contre le franc-bord tribord et
finir leur froide et humide besogne sur le pont détrempé de Free Spirit, le
tout sous un clair de lune éclatant.
Mardi 17 :
7h00 : heureuse nouvelle ! Nous avons enfin débordé
la longitude positionnant le Cap Sainte-Marie, situé à l'extrême sud de
Madagascar, et accessoirement à 200 milles de notre position. Mada, ses
lémuriens endémiques et autres merveilles s'éloignent définitivement...
Nous entrons donc officiellement depuis quelques milles déjà
dans la deuxième moitié de la traversée. Lé bon ça !
Sans transition ; en ce tout début de douzième jour de
navigation, je ne vous cache pas que je suis un peu anxieux et inquiet de ce
qui nous arrive dessus. L'orage menace telle la guillotine qui va bientôt
laisser tomber son couperet ! Le tonnerre gronde et fait peur à Trinquette, les
éclairs chargés comme des missiles atomiques zèbrent le ciel gris-noir de notre
destiné ! J'y vais mais j'ai un peu les choquottes ! Par précaution : je
débranche Kit et le range bien à l'abri, au sec dans la cabine arrière.
Heureusement dans notre galère : nous sommes à l'allure de bon plein ; Free
Spirit assure la gestion du cap, sa barre amarrée.
Tous les coupe-circuits sont verrouillés, le plus débranché.
Le vent souffle du nord 30 nœuds. Les creux se forment et se
déforment à près de 2,5
mètres . Et bien entendu : il se met à pleuvoir !
8h00 : JOUR 11. 29°07 sud,
44°43 est ; 62 milles
parcourus. Reste 715 milles jusqu'à Durban.
Comme tout temps orageux ; y'a de la pluie, beaucoup de pluie,
du vent très fort et tournant tous azimuts, du nord au nord en passant par
l'ouest, le sud, l'est etc..., de la pétole, et cette épée de Damoclès qui nous
gave en quantité astronomique de stress ! Quant à l'état de la mer ; elle est
en ébullition, un tohu bohu sans nom ni description. Et pour finir de ternir le
tableau, ce p....n de courant nous plombe encore en direction du sud-est à
presque 2 nœuds. Autrement dit, nous régressons.
10h00 : après moult
manœuvres de virements de bord, prise de ris etc..., Free Spirit semble se calé
au 320°, allure de près bâbord amure, sous trinquette et GV à 2 ris. Le vent
nous tire de l'ouest sud-ouest 18-25 nœuds. Ce dernier a effectué un tour
complet et demi ! Soit 540° en l'espace de 2 heures. Et je crois, j'espère, je
pense qu'il va certainement continuer à adonner vers le sud, idéal pour contrer
le courant. Ce n'est qu'une supposition, mais nous avons déjà subi ce modèle
météorologique il y a 3 jours.
11h00 : 25 nœuds
établis, rafales à 30. Le 3ème ris est repris... pour la troisième fois ce
matin ! Cap au 300°. Ca adonne, ça adonne !
20h45 : full moon
tonight ! Elle s'invite à notre table par la descente dans sa belle robe jaune
dorée étincelante. Son terrain de prédilection est dégagé à peu nuageux façon
ciel de traîne.
Cela me rappelle qu’il y a un mois jour pour jour, j’étais sur
le toit de l’océan Indien, accompagné de mon pote Djul, le fiston Matis, Sam
(pote de Djul) et Lucas (pote de Matis). Tous des surfeurs, et accessoirement
tous de très bons marcheurs ! Le Piton des Neiges nous accueillait du haut
de ses 3 071
mètres d’altitude, pour le lever de soleil sur l’horizon
oriental bardé d’une mer de nuages. Séquence émotion…
La mer est très agitée et comme toujours croisée. Le vent
continue sa lente rotation sans fléchir. Free Spirit, toujours aux commandes de
la gouverne, allure de bon plein travers, cape droit sur Durban.
De sud ; le vent est même passé un peu dans l'est en
faiblissant. Le 3ème ris est relâché, la trinquette affalée, génois déroulé,
allure de travers petit largue. Kit reprend le contrôle de la barre. En tout
cas ; si j'en juge par la chute brutale des températures nocturnes : nous
sommes sur la bonne route. 19° en extérieur, 22 à l'intérieur. Il commence à
faire frisquet comparé aux 30-35° de La Réunion.
La pression atmosphérique est en hausse, signe incontestable
que la dépression s'échappe vers l'est. Et malheureusement ; j'émets quelques
craintes concernant le vent...
Mercredi
18 :
7h00 : grand beau temps. Comme redouté, le vent de
sud-est souffle péniblement ce matin. La mer nous fait rouler assez violemment.
Changement de voilure : GV à 3 ris + trinquette sur tribord, génois à moitié
enroulé et tangonné sur bâbord, allure de largue. On limite ainsi les coups de
matraques sur le gréement, sans pour autant négliger notre vitesse. Enfin si on
peut appeler cela de la vitesse...
Le baromètre continue sa grimpette, taux d'humidité et
températures diurnes en baisse sensible, moral stable, toujours pas battu !
8h00 : JOUR 12. 29°16 sud,
43°23 est ; 72 milles
parcourus. Reste 645 milles à parcourir jusqu'à Durban.
Ca va pas durer très longtemps mon histoire de voilure
adéquate ; 45 minutes exactement ! Je tombe la GV ainsi que la trinquette, lesquelles ne servent
finalement à rien, sauf à battre dans tous les sens. Exaspérant.
12h00 : pétole molle...
Standby jusqu'à ce que Eole reprenne du service, ou que je me décide à
bourriner !
16h00 : bonne
nouvelle ; il y en a une ! Le vent est de retour parmi nous.
Mauvaises nouvelles : il y en a trois ! Il souffle de l’ouest
sud-ouest, autrement dit ; nous ne sommes plus sur le bon cap. A l’allure
de près bâbord amure, génois + GV à 2 ris, j’amarre la barre au cap compas
300°, mais 340° au cap réel. Pourquoi ??? Parce qu’une veine de courant
nous porte au nord nord-est cette fois. Et flûte alors… A plus de 1 nœud de
surcroît. Un peu plus de 4 heures à la dérive nous ont fait remonter de 7
milles vers le nord. C’est quand même vraiment pas de veine !
Pas une seule fois nous avons eu du courant favorable, pas
une ! Même au départ pour la sortie du port de Saint-Pierre, et pour
cause : la marée montait, donc courant rentrant !
En fin d’après-midi : je continue à perpétuer la
tradition ; à chaque traversée sa bouteille à la mer !
19h30 : 25-30
nœuds, hop ; en mode 3 ris dans la
GV pour une nuit tranquille sans trop de soucis !
Jeudi 19 :
6h00 : le vent adonne d’une trentaine de degrés et
semble se stabiliser à 20 nœuds. Je relâche le 3ème ris et remplace
la trinquette par le génois. Toujours au près, mais sur le bon cap cette fois.
Le temps est clair. Le baromètre affiche 1020 hectopascals, la
mer est agitée. Houle d’ouest en formation.
8h00 : JOUR 13. 29°03 sud,
42°39 est ; 43 milles
parcourus. Reste 608 milles jusqu’à
Durban.
Enfin ; nous avons fini par déborder la longitude
relative à la côte ouest de Madagascar. Comme quoi tout vient à point à qui
sait prendre sur soi !
9h00 : le temps
change ; les grains menacent, et bien entendu le vent devient parfaitement
instable, irrégulier et imprévisible. Dans ces conditions particulièrement chiantes, n’ayons pas peur
des mots, les limites de la navigation barre amarrée sont atteintes. Je me
motive donc à prendre la barre, sous la pluie durant 2 bonnes heures.
11h00 : pétole
molle, j’affale tout.
12h30 : plein de
pitié et de tolérance ; le vent de sud consent à nous faire repartir, 2
ris dans la GV +
génois au 3 quarts ,
allure de vent de travers, bâbord amure. Loulou reprend du service à la
gouverne. Nous commencerons à bien marcher à partir de 15 heures, heure à
laquelle je prendrai la barre pour quelques heures.
Désagréable : la longue houle de sud-ouest grossit pour
atteindre des hauteurs significatives d’environ 3 à 4 mètres .
C’est marrant cet oiseau marin tout noir qui nous suit au
sillage depuis midi. Il amerrit, s’envole, amerrit encore sans jamais nous
quitter. Va-t-il falloir que je lui donne un petit nom ?
La matinée avait plutôt mal commencé il faut remarquer, mais
l’après-midi, et surtout ce coucher de soleil extraordinaire ont contribué à
rééquilibrer la balance des humeurs vagabondes.
20h10 : le soleil
s’en va rejoindre sa tanière occidentale et laisse derrière lui un véritable
brasier. Flamboyant et rougeoyant ; le ciel s’enivre de milles
couleurs jaunes, orangers, rouges vifs… Sensationnel !
21h30 : sud-est
10-15 nœuds. Passage en mode ciseaux, génois tangonné sur bâbord, GV à 2 ris
sur tribord.
Une nuit comme j’aime ; la douceur d’un Alizé modéré, mer
agitée mais sans plus, houle de sud-ouest mais longue, Louou à la barre est peu
sollicité, un beau clair de lune dominant un ciel dégagé, une nuit des plus
paisible en somme.
Vendredi
20 :
7h00 : tout va bien. La belle météo se
maintient ! Temps superbe, baromètre à 1023 hectopascals ; un record
sur cette traversée. Houle de sud-ouest toujours conséquente, et fait
nouveau : nous sommes ralentis par 0,5 à 1 nœud de courant plein
face ! Ben oui : y’a toujours un truc pour gâcher le tableau…
Dites bonjour au gros pétrolier qui nous croise à moins de 400 mètres de
distance !
8h00 : JOUR 14. 29°15 sud,
41°18 est ; 73 milles
parcourus. Reste 536 milles à parcourir
jusqu’à Durban.
Nous avons couverts 974 milles en 2 semaines de navigation
(tiens 974 : ça correspond au code postal de l’île de La Réunion !!! Cocasse
n’est-il pas ? ). Enfin bref : tout ceci pour dire que c’est loin
d’être une performance. Free Spirit est normalement capable de courir cette
distance en 2 fois moins de temps, secondé d’un Alizé magique et bénéfique !
20h00 : deuxième
belle journée d’affilée ; ça m’inquiète, d’autant que la houle d’ouest
sud-ouest ne s’estompe guère. C’est pas fait pour me rassurer car qui dit houle
d’ouest dit coup de vent à l’ouest ! Et dans quelle direction
voguons-nous ? Cap 270° ; plein ouest. Mais bref, profitons de
l’instant présent et faisons marcher au mieux mon fidèle Free Spirit. A ce
propos : j’ai cru bon de remplacer la GV par le génois léger durant toute l’après-midi,
en me servant de l’extrémité de la bôme comme tangon afin de déborder
idéalement le point d’écoute de cette voile que je hisse sur le bas-étai
largable.
Je me suis installé tranquille au poste de barre pour 2 quarts de 2 heures et
demi chacun, Trinquette lovée sur mes genoux. Elle aime bien quand je lui
entame un petit massage de la tête. Je la sens plus « falling in
love » depuis que le thermomètre ne dépasse plus les 24 degrés.
Et comment pouvait se terminer une si belle journée ? Par
un magnifique coucher de soleil bien sûr… Lequel se fera grignoter goulûment
par une bande nuageuse affamée 2 ou 3 minutes avant son flirt ultime avec la
ligne d’horizon.
Samedi 21
:
7h00 : RAS ! Baromètre à 1027
hectopascals ! Température en deçà de 20 degrés en milieu de nuit. Temps
sec, un peu plus nuageux qu’hier, tandis que la mer est beaucoup plus sage et
reposante. Vent d’est stable à 10-15 nœuds. La vie devrait toujours ressembler
à ça en grande traversée ! Je m’autoriserais même à relâcher le 2ème
ris dans la GV en
milieu de matinée.
21 décembre : c'est le premier jour de l'été austral
aujourd'hui, ou le jour le plus long de l'année dans cet hémisphère.
8h00 : JOUR 15. 29°24 sud,
39°19 est ; 106 milles
parcourus. Une avalanche de bonnes nouvelles ! Reste 431 milles jusqu’à Durban.
Trinquette ne me lâche plus d’une touffe de poils ! Où je
vais ; elle y est déjà, où je m’assoie ; elle s’installe durablement
sur mes genoux, et où je m’allonge ; elle se roule en boule au sein du
creux conformable dessiné par mon entre-jambes. Quelle opportuniste celle-là !
16h00 : aussi sûrement
que la Terre
est ronde ; nous nous positionnons à 1 000 milles très exactement du cap
Agulhas, pointe stratégique qui marque l'extrême sud du continent africain, et
surtout la séparation entre l’Océan Indien à l'est, et l’Océan Atlantique à
l'ouest ! 7 mois et plus de 8 000 milles
au compteur depuis notre départ de Nouvelle-Calédonie : nous nous pointons, avec une certaine humilité
émotionnelle, étrave tendue vers toi océan Atlantique... notre Océan !
17h00 : il n'est plus
question de prendre son quart de fin de journée à la barre sans être équipé et
garni comme il se doit. A savoir : tee-shirt, polaire, salopette et veste de
quart, bonnet à pompon, écharpe, chaussettes de ski ! Je m'demande si mon corps
ne se serait pas un peu tropicalisé des fois ??? Enfin en tout cas ; ça fait du
bien de retrouver des températures tempérées.
20h00 : le vent prend
des tours ; 20 nœuds. Je pense que ça va forcir encore. On réduit la voilure,
2ème ris est pris.
20h26 : coucher du
soleil. Heure de La Réunion
ndlr !
22h30 : empannage, nous
sommes plein vent arrière, et il n'est pas chose aisée de déterminer sur quelle
amure Free Spirit se comporterait le mieux par rapport à notre cap. Passage sur
tribord amure.
1h00 : force est de
constater que le vent monte crescendo, que la mer grossit, et que Loulou soit
de plus en plus sollicité, je me dois de réduire encore en passant la GV au 3ème ris, et le génois à
une petite douzaine de m2.
5h00 : le vent est
retombé aussi vite qu'il était monté. Je repasse au 2ème ris et relance du
génois.
Le jour se lève enfin sur la planète Océan, tandis qu'un cargo
nous dépasse vivement sur tribord à environ 300 mètres de notre
franc-bord.
Dimanche
22 :
7h00 : vent d'est faible et instable ; 6-12 nœuds.
La mer est de nouveau très agitée et colérique. Elle nous fait tanguer comme du
petit linge dans un tambour de machine à
laver. Pourquoi ? Toujours ce courant (face au vent et aux vagues) qui nous
handicape et nous pousse vers le sud-est à plus de 1 nœud. Et par une bien
triste déduction logique ; notre vitesse s'en ressent, pas en bien
malheureusement ! L'histoire se répète dans sa grande désinvolture.
Le soleil n'apparaîtra pas avant 11 heures du matin. En
attendant ; c'est 100% de couverture nuageuse.
8h00 : JOUR 16. 29°41 sud,
37°32 est ; 95 milles
parcourus. Reste 337 milles jusqu'à
Durban.
9h00 : et hop ;
empannage, on repasse bâbord amure. Pas le temps de s'ennuyer sur
FreeSpiritoceanline !
11h30 : retour du beau
temps ainsi que des conditions de vent plus stable. Nos 12-15 nœuds favoris
sont de mises. En revanche, la direction est assez aléatoire, et comme nous
sommes plein vent arrière, il nous faut parfois changer d'amure afin
d'optimiser la bonne progression du convoi vers l'ouest.
14h30 : phénomène
rarissime en pleine mer : il n’y a plus un seul nuage venu entaché la
pureté du ciel d’un bleu quasi monochrome.
OFNI : Objet Flottant Non Identifié. J’ai beau observé
celui-là aux jumelles ; je n’ai qu’une vague idée de ce que cela puisse
être. Une plateforme de forage pétrolifère. Possible, mais je n’en suis pas
certain. On ne le saura jamais, bizarre…
Les dauphins viennent nous faire un petit coucou et nous
impressionnent de sauts monumentales et autres loopings parfaitement maitrisés.
Joueurs et taquins ; ils sont les meilleurs amis des marins. Sur fond de
coucher de soleil ; ces extravagances donnent à la scène un côté féerique
et spectaculaire. Et pendant ce temps, notre ami ange-gardien à plumes noirs
couleur d’ébène ne nous quitte plus et garde toujours un œil attentif sur notre
équipe, tandis que Trinquette garde un œil « gustatif sur
lui » ! Je l’ai pour l’occasion baptisé HP, qui veut dire Hautes
Pressions, synonyme de beau temps et de vent portant et suffisant à notre
avancement.
20h33 : il s’en va
se coucher, notre ami astre solaire !
Seul au milieu de l’océan, bercé par la mer conciliante et
foisonnante de milliards de méduses brillantes comme autant d’étoiles
scintillantes dans le ciel qui nous surplombe, je me plonge dans mes pensées
qui s’envolent vers ma famille et mes amis au travers des parallèles qui nous
séparent. Je les aime de tout mon cœur et pense très fort à eux en cette
période de préparatifs des fêtes de Noël et réveillon de fin d’année.
Minuit et demi : encore un empannage. Voyez-vous :
l’allure de plein vent arrière n’est pas forcément la plus facile à négocier,
surtout lorsque le vent est faible et que la houle agitée vous fait danser la
polka ! A ce propos : on ne sait justement pas toujours sur lequel
des 2 pieds… danser !
Qui dit vent faible dit toutes voiles dehors. Sauf que si
grâce à toute cette toile : vous allez plus vite, à un moment, avec l’aide
des vagues qui vous pousse au train, vous allez presque aussi vite que le vent,
et donc vous n’avez plus de vent dans les voiles, et inévitablement celles-ci
vont battre et se débattre au gré des mouvements de houle et mer jumelées. On
appelle ça le vent apparent ou vent vitesse. Donc il faut trouver un juste
milieu, pas trop de toile, en général GV à 2 ris + génois à 80%.
Concernant les nombreux empannages : c’est autre chose.
En fait ; il n’est pas possible de descendre parfaitement le lit du
vent ; le pilote automatique n’a pas de repère ou de base sur lesquels
s’appuyer, la GV
va très souvent déventé le génois et la route sera donc truffée de zigzags
incontrôlables. Il faut donc choisir un bord ou amure si vous préférez en
fonction du cap à suivre. Parfois et c’est plutôt rare, lorsque la route à
suivre est parfaitement parallèle à l’axe du vent, le choix va dans le sens du
moindre mal. C’est exactement ce qui se produit en ce moment !
Lundi 23 :
7h00 : vent faible et irrégulier d’est, 6-12 nœuds.
Mer agitée et croisée avec une longue houle de sud-ouest de 2 à 2,5 mètres . Temps
nuageux. Baromètre en très légère baisse. Le soleil s’est levé bien avant
moi : il était 6h31.
8h00 : JOUR 17. 30°16 sud,
36°22 est ; 71 milles
parcourus. Reste 277 milles jusqu'à
Durban, et 461 milles jusqu’à East London. Mais vous allez me dire pourquoi évoquer
cette destination portant le doux nom de East London ??? Et bien après
mûre réflexions concernant la météorologie, l’avancée du calendrier et autres
pérégrinations au cœur de mes instructions et guides nautiques ainsi que mes logiciels de navigation, j’ai pris la
décision qu’il n’était pas impossible d’envisager une descente directe sur East
London sans passer par la case Durban. C’est encore un peu tôt pour prendre la
décision finale mais voilà ; je garde cette solution sous le coude. Bien évidemment ;
je suis conscient que cette décision rallonge la route de 200 milles (2 ou 3
jours supplémentaires, dans le meilleur des cas ! ), que ma famille
s’attend à ce que je sois de toute façon déjà arrivé à Durban car j’avais misé
le temps de traversée sur 15 jours, mais en mer : les délais sont toujours
très aléatoires et ils savent parfaitement de quoi je parle. S’arrêter à
Durban ; c’est ne pas savoir quand repartir (il faut déjà 2 jours pour les
formalités qui sont paraît-il très contraignantes), sachant que je suis déjà en
retard d’une bonne semaine sur mon planning. Plus ça va aller, et plus le
courant va nous porter vivement vers le sud, puis le sud-ouest grâce au fameux
courant des Aiguilles qui descend du Canal du Mozambique et longe la côte est
de l’Afrique du sud jusqu’au cap Agulhas.
Tout va dépendre de la météo des 2 prochains jours. J’espère
que Papa Noël pensera à nous et nous apportera de bonnes conditions de
navigation, n’est-ce pas Père Noël ? C’est tout ce que je te demande… Et
aussi si tu pouvais prévenir ma famille que tout va bien et que je vais avoir
un peu de retard sur le timing !
En bref : Le courant des Aiguilles qui
descend du canal du Mozambique le long de la côte (du nord-est vers le
sud-ouest), la faible profondeur du plateau continental jusqu’à 40 milles du
littoral (et surtout la ligne des 200 mètres , là ou justement ce courant est le
plus rapide et peu atteindre 6 nœuds), sans oublier les dépressions qui se
déplacent continuellement d’ouest en est entre les 25èmes et 35èmes parallèles
de latitude sud. La conjugaison de ces trois paramètres donne naissance aux
fameuses vagues scélérates pouvant atteindre 20 mètres de hauteur et
potentiellement capables de pulvériser des cargos en morceaux !
Attention : vagues scélérates ne veut pas forcément dire
vagues de 20 mètres .
Il a été démontré que ce genre de vagues erratiques se baladent un peu partout
sur la planète, et même en Méditerranée, et que en fait ; ce n’est pas une
histoire de taille, mais plutôt de vitesse de propagation. Evidemment ;
beaucoup de paramètres entrent en jeu (comme par exemple la virulence du
courant et bien entendu la force du vent), mais je vous rappelle que l’une de
ces vagues est à l’origine de la panne de Kit, alias mon pilote automatique de
secours, qui avait frappé Free Spirit après notre départ des Cocos Keeling
Islands. Et elle ne faisait pas 20 mètres d’altitude sinon…
Je me serai bien décidé à plonger ma ligne de traîne, mais
j’ai vu sortir complètement hors de l’eau un thon jaune modèle Albacore d’environ
80 centimètres
de long… Je n’aurai pas eu l’air malin s’il lui était venu l’idée saugrenue de
croquer mon hameçon !
15h30 : empannage…
21h30 : empannage…
Mardi 24 :
7h00 : changement de temps en perspective. Le soleil
boude et la couverture nuageuse est à son paroxysme. La brise est toujours très
irrégulière, avec des périodes à 12 nœuds, entrecoupées de calmes à 6-8 nœuds.
Elle souffle inlassablement de l’est (par bonheur ! ), pile dans l’axe de
notre route. La longue houle de sud-ouest croisée avec la mer agitée d’est
dépasse les 2,5 mètres
dans les séries. Le baromètre demeure stable (par bonheur ! ).
8h00 : JOUR 18. 30°38 sud,
34°58 est ; 78 milles
parcourus. Reste 207 milles jusqu'à Durban, et 385 milles jusqu’à
East London.
Nous suivons le cap 300° au compas, mais sommes au 272° au
GPS, en cause le courant qui nous porte encore au sud. En revanche, pas
d’empannage prévu pour
aujourd’hui ; nous sommes sur la bonne route, tribord amure, allure
de grand largue, voiles en ciseaux.
Elle est marrante mon équipière féline qui dort à longueur de
milles ; elle me réclame toujours son déjeuner ou son dîner en délaissant
systématiquement une vingtaine de croquettes dans sa gamelle. Je pense qu’elle
prend ça pour une sorte de ration de survie, au cas où je déciderai subitement
de lui couper les vivres !
Car, curieusement sur cette traversée ; elle ne peut
malheureusement pas compter sur la
Nature. A juste raison ; sans exocet venu choir sur le
pont de Free Spirit à la nuit tombante ; Trinquette n’est pas à la
fête ! Voir même au régime sec !
Si elle avait eu droit à un poisson volant, même de taille
modeste, à chaque fois que nous avons croisé un bateau de commerce, c’est moi
qui aurai fini par la mettre au régime !
11h00 : ça se
précise du côté de la hausse de la force du vent. L’anémomètre affiche 18-22
nœuds. La mer devient beaucoup plus agitée. Free Spirit en profite pour
allongée copieusement la foulée, tandis que Loulou s’éclate aux commandes de la
gouverne ! Dommage que le soleil ne soit plus de la partie…
14h30 :
houlala ; le grain manifeste sa désapprobation, et le vent grimpe,
et ça grimpe, rafales à 30 nœuds. Le 3ème ris s’impose d’emblée.
J’enroule le génois jusqu’à ce qu’il ne reste 10 m2 environ. Nos amies les
déferlantes ne manquent pas de faire les apparitions !
15h15 : je prends
la barre non sans avoir au préalable relâché le 3ème ris et relancé
du génois.
15h30 : de nouveau
un grain nous perturbe la life ! A suivre une bascule de vent de près de
30 degrés. Donc empannage obligatoire. Chute du vent pendant plus d’une heure.
La mer ? Une véritable marmite bouillonnante ! Ambiance rencontre de
courants et je ne sais quoi d’autre.
18h00 : le vent se
réinstalle durablement à environ 15 nœuds soufflant de l’est. Par
conséquent ; je dois encore manœuvrer un empannage. J’en ai un tantinet
ras le bonnet, et même au-dessus du pompon, de tous ces empannages à
répétition !
Ciel très couvert, mais agréable à admirer.
Questions existentielles ; est-ce qu'une chatte correctement
éduquée met sa papatte devant sa goule lorsqu'elle bâille ???
Je sais que j’avais déjà évoqué le sujet dans un de mes
nombreux journaux de bord, mais je me demande toujours si l’organisme de
Trinquette, lorsqu’elle entreprend de se toiletter et qu’elle se passe la patte
derrière l’oreille (synonyme de pluie ! ), prend en compte le mouvement
perpétuel du sol sur lequel elle vit. Sol qui se déplace en moyenne à 8 kms/h
environ, souvent vers l’ouest d’ailleurs.
Même question existentielle concernant ma petite station
autonome embarquée ? Celle-ci affichant une prévision d’à peu près 24 à 36
heures. Et en une journée et plus encore : on a le temps d’en parcourir
des milles et des milles (rappelons que 1 mille nautique = 1 852 mètres ).
Encore un Noël à passer seul en mer, au sein de mon petit
univers familial composé de Free Spirit, Trinquette, ainsi que mes deux fidèles
équipiers Loulou et Kit.
C’est le 3ème Noël que nous passons en mer, au
cours d’une longue traversée océanique. Noël 2010 au milieu de l’océan Atlantique
(ainsi que le premier de l’an d’ailleurs). Noël 2011 ; 2 jours avant
l’arriver en Nouvelle-Zélande, en provenance de Bora-Bora en Polynésie. Noël
2012 : sur un petit îlot désert dans le lagon calédonien, lors de mon
séjour prolongé à Koumac, seul également. Et enfin Noël 2013 ; quelques
jours avant l’arrivée sur l’Afrique du Sud. Ce n’est pas fait exprès, juste un
hasard du calendrier. Et puis quitte à ne pas être entouré de sa famille, ou
éventuellement sur son lieu de travail (je pense aux saisons d’hiver au Kalico
à Courchevel où le Réveillon de Noël était une de nos plus grosses soirées
night-fever), ou encore entre amis proches, autant être seul…
22h00 : aucune
étoile en vue, à peine quelques petits moutons blancs plutôt audibles que
visibles, nous errons dans le néant, au cœur d’une nuit noire de jais, et ça
caille au portillon !
Bonne nuit les Petits, faites donc de beaux rêves et
surtout : JOYEUX NOËL !!!
Mercredi
25 décembre 2013 : JOYEUX NOËL à toutes et tous !
7h00 : ciel cotonneux et grisâtre, taux d’humidité à
92%. C’est Noël, aucun doute possible : il va neiger !
Mmh, blague à part ; le temps est effectivement très
maussade, le vent a légèrement basculé à l’est nord-est, et souffle à 15-18
nœuds. La mer est agitée d’est, croisée avec la houle de sud-ouest en baisse.
Creux de 2 mètres .
8h00 : JOUR 19. 31°07 sud,
33°09 est ; 100 milles
parcourus. Reste 131 milles jusqu'à Durban, et 290 milles jusqu’à
East London.
12h30 : repas
de Noël : huîtres de
Marennes Oléron et sa crépinette trembladaise, langoustines et sa mayonnaise
maison (ben y'avait plus de homard ! ), rôti de bœuf saignant accompagné de
gratins dauphinois et haricots verts, assortiments de fromages, bûche de Noël,
café. Bon appétit et encore joyeux Noël !
15h00 : 20-25 nœuds aux
fesses ; ambiance Alizés servis-sur-un-plateau-d'argent ! Le vent, la mer, le
ciel et ses petits nuages caractéristiques, le soleil qui cogne sans ménagement
; tout y est ! En revanche ; la pression barométrique continue de baisser, ce
n'est pas fait pour me rassurer loin de là...
Cela procure une impression bizarre de se prendre la mer du
vent pile de l'arrière, et en même temps la houle à contre, pile de face.
A certains moments : les creux dépassent
3 mètres
et Free Spirit rebondit là dessus comme un ballon de football dans une cour de
récréation à l'heure de la pause matinale. Je peux vous affirmer qu'on se fait
bien balloter. Pour sûr : j'ai perdu un petit pois à l'heure du dîner : j'ai
jamais réussi à remettre la fourchette dessus !
21h30 : c'est sous un fascinant tapis d'étoiles comme autant
de trous d'aiguilles dans le rideau de la nuit que nous nous faisons cueillir
par un bon 30 nœuds établis. Passage en mode 3 ris dans la GV + 6 m2 de génois. Cela ira bien
pour la nuit, enfin je l'espère.
22h00 : nous nous
trouvons à maintenant moins de 100 milles de la côte africaine !
4h00 : coup de vent en
bonne et due forme, il aurait pu attendre le lever du jour quand même ! Les
rafales atteignent 45 nœuds. Par bonheur, il souffle toujours dans la même
direction. La mer est forte, avec des vagues déferlantes très rapprochées qui
culminent à près de 4
mètres . Je mets Free Spirit en fuite plein vent arrière,
GV affalée et seulement 3 ou 4
m2 de génois tangonné afin de maîtriser la gouverne, l'essentiel
étant de bien garder notre cap perpendiculaire aux déferlantes. Le ciel est
relativement bien dégagé, tandis que la pression atmosphérique continue quand
même sa lente mais non moins interminable descente vers l'enfer.
En plus, nous nous rapprochons petit à petit de la redoutée
zone à risque ; la ligne des 200
mètres de profondeur qu'il faut impérativement fuir en
cas de coup de vent. J'espère que d'ici notre arrivée sur ce terrain fatidique
; la baston se sera dissipée. Sinon... et bien je ne sais point !
Jeudi 26 :
7h00 : toujours en fuite, ça buffe encore
copieusement dehors ! On est bien mieux à l'intérieur.
L'écume des vagues fume et s'envole en de volutes chargées
d'embruns sur fond de lever de soleil, le vent mugit dans les haubans, et nous
sommes seuls en mer, à se demander se qu'on fout là ?
8h00 : JOUR 20. 31°57 sud,
31°27 est ; 100 milles
parcourus (exactement comme hier ! ).
Reste 127 milles jusqu'à Durban, et 190 milles jusqu'à East London. Le
littoral se situe à une distance de 82 milles dans notre nord-ouest.
9h00 : voici maintenant
plus de 5 minutes que nous n'avons pas été violemment frappé par une
déferlante. Mmh, bizarre ! Serait-ce le début du commencement d'une quelconque
mais non moins possible accalmie ? Déjà ? Je sors dans le cockpit afin de
vérifier mes impressions et voir ce qui se trame. Et là : vlam ; une big
déferlante par le 3 quart
arrière me trempe du bout des cheveux jusqu'au ongles des doigts de pieds ! Je
crache des invectives à n'en plus finir tout en me séchant avec une serviette
effectivement déjà bien mouillée. Vive la plaisance ! Heureusement que j'avais
eu le temps de fermer les panneaux de descente !
Ceci étant dit... et fait par la même occasion, ça n'empêche
pas que les conditions climatiques et marines soient devenues effectivement
plus maniables. Vent de nord-est, guère plus de 40 nœuds, ça l'fait. Je remets
Free Spirit sur les rails du bonheur ! Cap compas au 290°, pour du 272° au GPS.
La GV à 3 ris + la
trinquette, allure de petit largue, tribord amure. Exactement l'allure que
Loulou et Kit n'affectionnent pas, mais alors pas du tout.
13h00 : on gigote
tellement fougueusement que je suis obligé de me caler un coussin entre mon
poitrail et le rebord de la table pour me protéger des coups de gîtes et
contre-gîtes intempestifs, histoire d'éviter de me briser une côtelette avant
la fin de l'année !
15h00 : et qu'est-ce
qu'il y a après la baston : le calme puis très rapidement la pétole molle
! 6-10 nœuds avec bien entendu une mer
démontée qui n'a pas encore eu le temps de se calmer. D'ailleurs ; je ne vais
malheureusement pas tarder à affaler la
GV ; mais pourquoi donc tant de haine ? Il vous a rien fait
mon gréement ?
On progresse timidement sous génois tangonné seul, mais sommes
quasiment arrêté au GPS. Et pour cause : nous luttons encore contre 1 à 1,5
nœud de courant plus ou moins de face. Enfin toujours est-il que s'il n'est pas
avec nous : il est contre nous. Et oui ; tout s'explique à présent. Voici la
raison pour laquelle nous n'avançons pas et que nous n'avons parcouru que 100
milles hier, au lieu de 120 ou 130 milles. Et que surtout la mer soit aussi
mauvaise : le courant venant à contre du vent. Nous devons être les seuls au
monde à avoir touché du courant de face dans cette zone de la planète.
Chronologie d'une journée gâchée : coup de vent à 45 nœuds tôt
ce matin, pétole à 17 heures, temps gris et déprimant au possible, on débute la
soirée par 3 heures de moteur, on se fait bien plus brasser que dans un panier
à salade et tout ça pour gagner 30 milles à tout casser ! Et flûte alors...
Comment voulez-vous garder le moral ?
20h30 : moteur coupé,
génois tangonné seul, on repart à la vitesse d'un escargot essayant de gravir
une pente glissante.
Vendredi
27 :
7h00 : vent d'est 6-10 nœuds. La mer est
incontestablement bien plus maniable qu'hier, à croire que la nuit lui a été
profitable. Le soleil apparaît furtivement à la façon d'un mérou caché sous une
patate de corail, le ciel est très nuageux, voir menaçant, avec pluie et orage
en perspective. Va-t-on passer à côté ? Le baromètre est stable. Par contre ;
les températures ont sacrément remontées. Je constate qu'il fait bien plus
chaud que lors de notre arrivée en Nouvelle-Zélande, survenue il y a 2 ans jour
pour jour, pour pratiquement la même latitude. Paradoxalement : le taux
d'humidité crève le plafond !
8h00 : JOUR 21. 32°12 sud,
30°36 est ; 47 milles
parcourus. Reste 143 milles jusqu'à
Durban et exactement la même distance jusqu'à East London. La décision est de
toute façon prise depuis hier soir déjà ; l'escale à Durban (situé dans notre
nord nord-est ; nous avons dépassé sa longitude au cours de la journée) n'est
assurément plus au programme.
Nous avons couverts 1 571 milles en 3 semaines de navigation.
Nous avions parcouru le double de cette distance (un peu plus de 3 100 milles)
avec seulement 2 jours de plus lors de la plus grande traversée du voyage entre
les îles Galapagos et L'île de FatuIva, archipel des Marquises, Polynésie
française !
9h00 : il ne va pas
nous éviter ! Bien au contraire : l'orage fait rage ; le vent souffle en
rafales à plus de 35 nœuds (pas longtemps seulement 20 ou 30 minutes), les
éclairs zèbrent le ciel gris noir à tous azimuts, et la pluie mes amis ! Il va
tomber des cordes durant 2 bonnes heures. J'ai eu bien fait de tout affaler et
d'éteindre et débrancher les coupe-circuits. Standby...
12h00 : et nous avons
encore perdu 3 heures ! Le vent a basculé au nord et souffle néanmoins très
faiblement. Nous repartons allure de bon plein vent de travers, tribord amure,
GV à 2 ris + génois avec 4 tours. Il n'y a pas assez de vent pour prétendre
pouvoir hisser toute la GV. De
surcroît : on se fait encore sacrément gigoté par rapport à la faiblesse du
vent. On se déhale donc à peine, et j'en ai marre de tout ce b....l !
Je ne sais même pas si nous toucherons terre avant la fin de
l'année. On est plus sûr de rien vous savez ! Tous les jours ; y'a quelque
chose ou un truc qui nous empêche de progresser correctement et surtout
sereinement.
12h30 : contre toute
attente, et dans un bref délai que je qualifierai de providentiel ; le vent
d'est nord-est se réinstalle à 10-15 nœuds. Génois tangonné sur tribord, allure
de très grand largue. Le soleil effectue quelques brèves apparitions. Tous ces
paramètres suffisent à me redonné du baume au cœur. Fini la vague à l'âme et
les soirs de déprime. Place à la joie, la bonne humeur et au plaisir de savoir
que nous allons bientôt fouler le sol africain !
Par contre ; côté nourriture : ça s’appauvrit
sérieusement. Je viens de croquer ma dernière pomme, laquelle était le dernier
maillon de ma réserve de fruits et légumes. Bananes, ananas, mangues, letchis,
oranges, pommes, tomates, concombres, choux, carottes… épuisés, finis,
terminés, à plus rien ! Et ça me rend assurément triste et mélancolique.
14h00 : on marche bien,
et pour cause ; l'anémomètre affiche 25-28 nœuds. Et à 16 heures ; l'ambiance
Alizés Indiens s'installe avec du vent frais à 30-35 nœuds établis. Les nuages
défilent dans le ciel à la vitesse d'un avion de chasse. Je passe la GV au 3ème ris + 6 m2 de génois. La mer devient
très agitée à assez forte, cependant plutôt ordonnée. Enfin à peu près autant
que l'était ma chambre d'étudiant lorsque j'ai eu mon indépendance pour la
première fois.
Tout de même ; c'est fou comme le temps change vite dans les
parages ! Et puis il n'existe visiblement pas de demi-mesure. Soit tu fais avec
1 à 2 beauforts, soit tu passes direct à 6-7 beauforts, et bien plus encore !
Vous saurez très bientôt à quoi je fais allusion !
18h00 : une créature
abyssale à emporté mon leurre, tandis que le baromètre entame une nouvelle
chute infernale... vertigineuse celle-là ! A part ça ; tout glisse !
Je n'aurai donc pas la chance d'assister à mon tout premier
coucher de soleil sur le continent africain encore un peu trop éloigné. Et de
toute façon ; les nuages se seraient chargés de l'avaler bien avant qu'il ne
touche terre.
20h00 : constat
alarmant, inquiétant et faisant naître en moi une certaine anxiété ; les
déferlantes commencent à culminer à une certaine altitude, je dirais plus de 4 mètres à vue de nez,
additionnées à l'anémomètre qui ne descend plus en deçà de 40 nœuds, et
multipliées à la pression barométrique extrêmement basse, sans compter que je
ne souhaite prestement pas arriver sur la ligne des 200 mètres de profondeur
de nuit en pleine baston. Résultat : je mets Free Spirit en fuite, cap compas
plein ouest, avec seulement 3
m2 de génois tangonné. Et basta la blague !
Nous aurons couverts 45 milles en 6 heures, avant qu'à 22h15 :
le vent souffle en tempête, avec des pointes à plus de 50 nœuds. Je finis par
enrouler le peu de génois restant ; nous sommes à sec de toile.
Samedi 28
:
4h00 : le verdict tombe comme un couperet ! Je m'y
étais préparé tout en souhaitant que ça n'arrive pas... A 51 milles du but, le
Port tant désiré de East London, après avoir couvert 42 milles en fuite à sec
de toile en 6 heures ; nous nous faisons faucher par la dépression. Le vent
bascule brusquement du côté obscur de la force pour venir de l'ouest à plus de
50 nœuds établis, à contre du courant des Aiguilles, mais surtout de la forte
mer venant de l'est et déjà bien en place. Heureusement que nous étions encore
dans la zone à plus de 2
000 mètres de profondeur. Ca n'empêche que le spectacle
est grandiose et force au respect et à l'humilité face aux éléments déchaînés,
histoire de nous rappeler que nous ne sommes que des hommes, c'est-à-dire
finalement peu de chose contre ça !
Les vagues atteignent les 5 à 6 mètres lorsqu'elles se
chevauchent. Il fait gris, j'ai beaucoup de mal à situé le nord, l'ouest, je
suis perdu, fatigué, abattu.
Mon ancre flottante me sert pour la première fois depuis le
début de ce voyage. La manille de 8 va d’ailleurs cédée au bout de quelques
heures de travail, imaginez un peu la force mise en présence ! Elle sera
remplacée par une manille de 10. J'essaie de maintenir tant bien que mal Free
Spirit dans l'axe du vent et donc parallèle aux lames, en vain. J'ai tout
essayé mais il demeure travers au vent, et à fortiori, aux vagues déferlantes.
Je décide de relever la dérive afin de supprimer l'effet croche-patte.
Effectivement ; l'attitude du bateau semble bien plus saine car nous glissons
avec les déferlantes tout en minimisant leur violence. Il ne reste plus qu'à
prendre notre mal en patience. Une nuit blanche suivie d'une journée en
enfer... quelle traversée !
8h00 : JOUR 22. 32°59 sud,
28°55 est ; 99 milles
parcourus. Reste 52 milles jusqu'à East
London.
Les attaques fulgurantes, et répétées des vagues aberrantes
atteignent leur paroxysme à 13h30, et ce durant une heure au moins. Le pont est
régulièrement submergé, et l'écume atteint le premier étage de barre de flèche,
ça plaisante plus. La violence est telle que je ne saurai la décrire avec des
mots. Seul réconfort dans ce monde cruel et sans pitié, je prends d'ailleurs
cela pour un signe bienfaisant ; le survol de notre zone de galère d'un
magnifique Albatros d'environ 2
mètres d'envergure durant une bonne demi-heure. Le Roi
de la baston, tel un planeur se jouant des ascendants diffusés par le vent et
se servant de la pente des vagues comme d'un tremplin. La perfection à l'état
naturel !
Le très fort coup de vent d'ouest cède sa vilaine besogne au
non moins tout aussi fort coup de vent de sud-ouest qui va tout de même aller
en s'essoufflant petit à petit, de concert avec la remontée de la pression
atmosphérique.
20h30 : après la
tempête, vient l’accalmie, enfin tout est relatif. Vent de sud sud-ouest 25-30
nœuds. Je relance Free Spirit sous GV à 3 ris + trinquette au près, bâbord
amure. La dérive reste sagement dans son puits car la mer est encore forte.
J’attends une baisse sensible de la houle avant de la baisser.
Maintenant que la dépression s’évacue et que le baromètre soit
revenu au niveau des 1020 millibars ; rien ne m’empêche de continuer ma
route au moins jusqu’à Port Elizabeth, profitant ainsi (à notre avantage cette
fois-ci ! ) du fameux courant des Aiguilles portant d’est en ouest à une
vitesse constante de 3 à 6 nœuds. D’après les instructions nautiques ; il
se passe un minimum de 3 jours entre 2 dépressions. Cela nous laisse
suffisamment de temps pour pousser plus en avant, peut-être même jusqu’à Mossel
Bay.
Naviguer au près dérive relevée : j’ai connu des
mouillages bien plus scabreux et mouvementés que cela !
Dimanche
29 :
6h00 : le jour se lève sur la planète Océan, je
tombe en extase devant un couple d’Albatros flottants dans l’air frais et pur
du matin. Leur vol est si majestueusement gracieux que je pourrai passer des
heures à les admirer. Un Albatros est capable de parcourir plus de 900 kilomètres sans
émettre un seul battement d’aile. Il est incontestablement l’oiseau parfait
pour les hautes latitudes où règnent les grands vents. Une seule fois : il
m’a été donné d’en voir un à l’arrivée en Nouvelle-Zélande, à la même époque de
l’année il y a 2 ans de cela.
Ils vont nous tenir compagnie durant toute la matinée et vont
même être rejoints par 4 autres spécimens. J’ai fini par donner un nom au 2
premiers : Paragliding et Albacor… je vous adore ! A ce propos :
je me demande si Haute Pression n’est pas un bébé Albatros justement. A part la
couleur du plumage qui diffère ; le reste pourrait bien correspondre génétiquement.
La parade des dauphins en chasse survolés par les
Fous-de-Bassans quémandant quelques restes ajoutera un côté idyllique à la
scène. Une belle journée qui commence bien !
Au loin, sur tribord, se dessine fiévreusement, noyée dans une
sorte de brouillard épais ou nuages bas, ce que nous pourrions qualifier de
Terre !!! South Africa : berceau de l’Humanité, La Mère qui a vu naître nos
premiers Pères, se dévoile enfin sous mes yeux conquis et attendris.
Côté météo : le ciel est grisâtre. Majestueuse comme le
vol de d’Albacor ; la houle d’ouest ondule à environ 5 mètres . Le vent est au
sud, 20-25 nœuds. La mer est forte.
La bonne nouvelle vient du courant des Aiguilles qui nous a
enfin alpaguer, à une vitesse moyenne de 4 nœuds de poussée favorable !
Notre route est calée sur la ligne des 500 mètres de
profondeur.
Ah, au fait ; nous avons dépassé East London il y a de ça
une heure. Ce qui me fait logiquement présumer que notre prochaine escale
possible pourrait être Port-Elizabeth, ou mieux encore Mossel Bay. Je
stopperai au plus tard dans la journée du 31 ; c’est promis ! Famille
et amis : j’espère que vous me pardonnerez un jour… En tout cas ;
toutes mes plus profondes et sincères excuses quant aux soucis que j’ai pu vous
créer avec cette atterrissage tardif.
8h00 : JOUR 23. 33°28 sud,
27°45 est ; 73 milles
parcourus. Reste 111 milles jusqu'à Port Elizabeth, et 285 milles
jusqu’à Mossel Bay.
10h00 : le vent
bascule à l’est en faiblissant. En cause un grain menaçant nous nargue sur
notre arrière bâbord. Passage en mode ciseaux ; GV à 2 ris + génois
tangonné sur bâbord. Malheureusement : le roulis va être tellement violent
que ce dernier ne me laisse pas le choix de passer la GV à 3 ris, et de baisser la
dérive afin de limiter la gène occasionnée. Cap plein ouest.
Le vent est faible d’autant plus qu’il souffle de derrière,
exactement avec et dans le même sens que le courant, lequel je vous le rappelle
nous pousse à 4 nœuds grosso modo. Donc avec un vent réel de 10 nœuds ;
nous ne touchons quasiment plus de vent apparent, puisque mon GPS indique une
vitesse de 7 à 9,5 nœuds.
Mais la patience est très souvent récompensée, n’est-ce
pas ? A 11h00 : une bonne brise de 20 à 25 nœuds nous rend notre
potentiel de vitesse perdu. La houle d’ouest qui nous bombarde pile de face est
parfois énorme, ambiance montagnes russes ! J’en veux pour preuve ce
phénomène assez rare de dévente dans le creux des vagues, et de survente sur
leurs crêtes. Elle se bonifiera à partir de 15 heures.
Il semble facile de différencier le mâle de la femelle chez
les Albatros. Albacor, qui traîne encore dans nos voiles, laisse pendouiller
une petite protubérance de couleur foncée à peu près centrée sous son ventre
d’un blanc immaculé. Et la question qu’il me vient, là, tout de suite, à
l’esprit, c’est comment s’y prennent-ils pour reproduire l’acte sexuel ???
Utilisent-ils la même technique que le ravitaillement des avions de chasse en
plein vol ? « Vas-y mon Choux ! Colle-moi ton tuyau dans mon
entonnoir, je suis prête à te recevoir ! ». Enfin ; il faut bien
rigoler un peu…
Quelle surprise de découvrir une couleur d’eau pareille ;
verte kaki, à tendance marron ! Beurk ! Peu engageant…
Mazette !!! Ce soir ça caille. Le thermomètre a perdu 9
degrés en l’espace de 24 heures. A cela s’ajoute une humidité environnante
assez désagréable. Cependant : le beau temps se maintient et c’est ce qui
compte. D’ailleurs, le ciel nocturne va nous dévoiler sa robe de soirée à la
mode grand couturier ! Croix du Sud, voie lactée, étoiles par milliards,
et pas un seul nuage pour venir gâcher la sauterie. Les petits moutons
phosphorescents découlant des crêtes déferlantes se remarquent au sein du décor
marin. Veille obligatoire toutes les 45 minutes ; le trafic est très dense
dans cette zone, et les bateaux filent à fond de cinquième.
Lundi 30 :
6h30 : le courant nous a joué un fort vilain tour
durant la nuit en nous dépalant d’une quinzaine de milles vers le sud. Port
Elizabeth est ainsi positionné à 30 milles exactement dans notre nord. Cette
escale ne fera pas partie du voyage non plus !
Donc une petite manœuvre d’empannage de bon matin, ça faisait
longtemps (2 jours plus une tempête à quelques choses près), et nous filons
droit sur Mossel Bay, notre supposée point d’atterrissage.
Les conditions climatiques sont optimales. Le soleil brille,
la brise d’est persiste, la mer est agitée et la houle d’ouest s’évacue peu à
peu. A contrario ; les abords du rivage semble être parfaitement
emmitouflés dans une sorte de smog à la façon Golden Gate de San Fransisco. Le
brouillard n’est pas un phénomène rarissime par ici, au contraire, il est même
fréquent d’après les guides nautiques.
Paragliding passe nous faire un petit coucou. Trinquette lui
répond par un clin d’œil ; message d’appétit euh pardon, de sympathie…
8h00 : JOUR 24. 34°28 sud,
25°35 est ; 126 milles
parcourus. Belle perf ! Reste 172
milles jusqu’à Mossel Bay.
8h30 : le vent
faiblit nettement, 10-12 nœuds, et refuse légèrement vers l’est à est nord-est.
Full GV + full génois sur le même bord, allure de grand largue, tribord amure,
nous avons la priorité !
15h00 : le vent se
casse la gueule, le baromètre entame une nouvelle chute. Le temps reste au
beau ! Les voiles battent au rythme du balancement de la houle.
Au milieu de ce vacarme incessant, du carré d’où je suis en
train de taper mon journal de bord sur le PC : je distingue très nettement
le bruit caractéristique et sans équivoque du souffle de la baleine qui vient
prendre de l’air en surface avant de se préparer à sonder vers les abysses. Je
sors admirer le spécimen afin de vérifier si je n’ai pas rêvé.
Effectivement ; elle est là, à une cinquantaine de mètres de la proue,
paisiblement, ne prêtant aucune attention à notre présence qui ne semble la déranger
en aucune mesure. Je pencherai pour un rorqual, d’une bonne dizaine de mètres.
Pendant ce temps, tel les canards sauvages en période de migration, les
fous-de-bassans survolent l’horizon en file indienne.
17h00 : bascule du
peu de brise qui servait tout juste à nous ventiler au nord-ouest, synonyme
d’une dépression qui approche. Ni une, ni deux, j’affale tout, démarre le
bouzin, et en route pour le premier abri qui se présente à nous. Port Elizabeth
est à 36 milles, trop loin et puis il nous faut plus ou moins revenir sur notre
trace. Les milles sont difficiles à accumuler pour ne pas les gaspiller en
faisant demi-tour. Il ne reste que la baie de Saint-Francis, distante d’une
trentaine de milles, au 330°, exactement pile face au vent.
18h30 : Le vent,
toujours du nord-ouest, se fait sentir, trop malheureusement pour envisager de
poursuivre notre quête au moteur. Qu’à cela ne tienne ; nous poursuivrons
à la voile, seulement en zigzag, car il va nous falloir louvoyer en tirant des
bords toute la nuit dans de l’air frais et instable, avec des périodes de calme
à 8 nœuds et des périodes de vent bien plus soutenu à 25 nœuds.
Une nuit blanche, non pas à faire la fête, mais à prendre des
ris, hisser la trinquette, relâcher les ris, envoyer du génois etc… Le tout avec
quelques bateaux de pêche à veiller, une humidité comme j’en avais rarement
vu ; le pont était plus mouillé que lorsque nous étions à la cape dans la
baston ! Ajouter à une fraîcheur qui vous transperce la peau du dos
jusqu’aux os… Et puis c’est pas comme si j’avais déjà plus de 3 semaines de
navigation dans les paluches, non !
2h00 : bonne, je
dirais même excellente nouvelle ; le baromètre remonte sans changement de
conditions climatiques. La dépression doit être très basse en latitude,
sûrement dotée d’un creusement moyen. Ouf de soulagement ; nous l’avons
échappé belle ! Mais ne nous réjouissons pas trop vite car la brise reste
ancré à l’ouest et notre escale dans la baie de Saint-Francis semble
inévitable. Pas question de poursuivre les 150 milles qui nous séparent de
Mossel Bay avec du vent de face, à tirer des bords pour gagner 40 milles par 24
heures.
Mardi 31
décembre 2013 :
6h00 : vent d’ouest 12-25 nœuds, mer agitée, beau
temps en mer et brumeux à terre.
8h00 : JOUR 25. 34°11 sud,
24°52 est ; 69 milles
parcourus (certainement pas en ligne droite ! ). Reste 155 milles jusqu’à Mossel Bay.
De là où nous nous trouvons, c’est-à-dire toujours en mer, la
côte ressemble à si méprendre au littoral landais ; immenses plages de
sable jaune surmontées de dunes irrégulières à végétation réduite et ouvertes
sur l’océan aux humeurs changeantes, stations balnéaires aux constructions
anarchiques plombées de toits multicolores, bien que à un endroit en embouchure
de rivière, il semblerait qu’il ait été construit une sorte de Port
Grimaud ; résidences aux toits gris façon bretonne, érigées au cœur d’une
vaste marina.
8h30 : nous
touchons enfin le continent qui a vu naître Trinquette !
Résumé
de la traversée.
Free Spirit a parcouru 1 938 milles en 25 jours exactement, à
la vitesse moyenne de 3,23 nœuds pour 78 milles quotidiens.
38 heures à la dérive.
13 heures en fuite dans la baston (en 2 coups de vent).
27 heures à la cape dans la tempête (en 2 autres coups de
vent).
5 coups de vent dont 2 dépressionnaires avec des vents
supérieurs à 50 nœuds.
24 heures de moteur ; un record absolu pour une grande
traversée.
97 heures barres amarrée.
75 heures de barre pour le capitaine.
200 heures pour Loulou et 150 heures pour Kit.
Record du nombre de cargos aperçus au cours d’une traversée.
Record du nombre d’Albatros observés.
Escale
de 2 jours au port de Saint-Francis.
Le port de
Saint-Francis est renommé pour la pêche aux calamars. Une bonne cinquantaine de
ces bateaux sont amarrés au quai en cette période de fêtes, mais repartiront
tous les uns après les autre à partir du 2 janvier. Ils ne s’éloignent pas des
côtes car la pêche se pratique dans de faibles profondeurs. La nuit, il est
possible de les apercevoir de très loin car ils sont plus éclairés façon
paquebot de la Croisière s’amuse, grâce à d’énormes ampoules halogènes
suspendues comme des guirlandes dans une guinguette de village. J’avais déjà vu
cela sur les bateaux de pêche espagnols, et surtout sur les bateaux de Bali au
port de Benoa, où il y avait beaucoup plus de navires, et encore plus
d’ampoules par embarcation.
Une photo trône au Pub du port de Saint-Francis où l’on peut
voir un calamar géant d’environ 5 mètres ramené par un des bateaux locaux.
Au cœur même de l’enceinte du port ; j’assiste hébété aux
occupations d’une loutre de mer d’un fort joli gabarit. Plongeons, apnées,
pêche dans l’eau,et une fois sur terre, elle se balade comme je n’étais pas là,
à un mètre à peine, en se dandinant. Comme beaucoup d’animaux ; elle
marque son territoire en, pardonnez-moi l’expression, pissant à tout va. Sauf
que là ; le jet relève plus d’une lance à incendie qu’à de simples besoins
naturels. Hilarant ! Parallèlement ; j’ai la réponse en ce qui
concerne cet étrange rictus que les lions de mer effectue régulièrement en
position d’attente totale : sur le dos, ventre et museau vers le ciel, et
le plus incroyable ; il semblerait qu’ils se servent de leurs grandes
nageoires comme de voiles afin de se déplacer sans efforts ! En mer et à
une certaine distance ; je me demandais ce que c’était que ces OFNI, en me
doutant bien que l’origine en était animal. Dans le port ; les lions de
mer sont de véritables gamins, ne perdant pas une seule occasion pour venir
jouer près d’une embarcation en mouvement où dès que quelqu’un se servira d’un
jet d’eau ! Leur taille varie. Le plus gros observé mesurait bien 2
mètres. Leur petite frimousse adorable plantée de longues moustaches ressemble vraiment beaucoup à un fénin ou calin ; subtil métissage de
félin/canin !
A peine débarqué : je croise un couple qui m’interpelle
et me demande si je suis bien le skipper du french sailing vessel. Yes, it’s me. I’m Ben… On discute 5 minutes de bateaux
(il possède un voilier de 42 pieds amarré au port de Cap-Town avec le même
autocollant que Free Spirit sur le franc-bord ! ), et aussi de ma
traversée quelque peu mouvementée. Il me demande si ma famille est prévenue de
mon arrivée. De lui répondre ; « Non, pas encore. Je n’ai pas trouvé
de guichet automatique, de cabine téléphonique, et il n’y a pas de réseau wifi
autour du port ». Et il me propose son téléphone et me demande d’appeler
tout de suite Papa et Maman. OK ! Merci beaucoup !
Puis vient le temps de m’installer au Pub du port afin de me
délecter d’une bonne bière bien fraîche, histoire de faire comme tous les
marins juste débarqués après avoir passé une longue période en mer. Un couple
de retraité partage le comptoir et le gentleman décide d’entamer la
conversation en me demandant d’où je venais. De La France… en voilier… et
c’était parti pour toute la soirée ! Il est d’origine mauricienne et parle
donc très bien le français, sa femme est sud-africaine. Ils sont passionnés et
passionnants ! Ils ont décidés que je ne les quitterai plus jusqu’à la
première heure de la prochaine année ! Je suis donc invité à partager leur
table dans un excellent restaurant ayant pignon sur rue, ou sur le port plutôt,
situé au 2ème étage du complexe, où la réservation était
préalablement enregistrée pour 2 personnes. La grande classe. Le dîner de
réveillon est royal, surtout après ce que je viens de vivre depuis pratiquement
4 semaines. Imaginez mon bonheur d’être là, entouré de gens formidables que je
ne connaissais ni d’Adam ni d’Eve il y a encore 2 heures de cela. Nos voisins
de table sont français ; une famille de parisiens avec 2 adolescents venue
passer les fêtes de fin d’année en Afrique du Sud. La table juste après reçoit
le couple qui m’a si gentiment prêté leur téléphone afin que je puisse prévenir
mes Parents de mon arrivée sur le continent africain. Et voilà ; tout le
monde est là, présent dans le même restaurant pour se souhaiter la Bonne
année ! Beautiful night !
A ce
propos : Bonne et heureuse année à toutes et tous ; Famille, potes,
rencontres d’un jour et amis pour toujours !
Tous
mes sincères vœux de bonheur pour cette nouvelle année qui commence bien pour
vous aussi je l’espère de tout mon cœur…
Vers minuit et demi ; nous nous quittons sur le port et
je file au Pub, où je fais la rencontre d’une famille sud-africaine qui va
carrément m’adopter comme le 3ème gamin de la tribu ! Ils sont
de Johannesburg et possèdent un appartement sur le port. Ils vont spécialement
retarder leur retour de vacances de quelques heures pour venir me dire au
revoir sur la jetée, sans avoir au préalable, vidé leur garde-manger et leur
frigo, le tout étant bien entendu destiné au marin solitaire que je suis. J’ai
de quoi manger pour au moins 4 ou 5 jours !
Une soirée de nouvel an à 129 rands, soit 10 euros (1
euro = 12 rands) ! Et encore : il a fallu que j’insiste pour payer
quelques… Coca-Cola !
Curieuses obligations que ce rituel subjectif de toujours
devoir comparer les nouveaux paysages rencontrés. Ici, le mélange est
évident : points communs avec le littoral breton ainsi que la couleur des
toits des maisons, ils sont gris pour la plupart. J’en ai vu en chaume
surplombant de magnifiques villas. Mais aussi les plages et dunes des côtes
landaises. Quant au Village : typiquement australien !
Le jour du départ : mon regard s’attarde sur la ligne de
flottaison de Free Spirit. En y regardant de plus près ; je m’aperçois que
les œuvres vives sont farcies de pousse-pieds. Malgré la présence de quelques
loutres et autres lions de mer ; je prends mon courage à 2 mains, enfile
palmes, masque, tuba, lycra, et plonge afin de constater vraiment de quoi il
retourne. Effectivement : la carène en est entièrement recouverte et je
comprends mieux la perte de vitesse évidente maintenant. En avant pour le
grattage, et à celui-ci ; à tous les coups on gagne !!!
Un bon nœud voire 1,5 nœud dans certains cas ! Non
négligeable par ici…
Jeudi 2
janvier 2014 :
départ à 19h30
du port de Saint-Francis pour une ou deux nuits de navigation en direction de
l’ouest. Prochaine escale envisageable : Knysna distant de 95 milles, ou
Mossel Bay 50 milles plus loin ; port d’entrée officiel en Afrique du Sud.
Belle journée estivale, mer agitée sur houle de sud quasi perpétuelle. Le vent
souffle du sud sud-est 10-15 nœuds. Le baromètre est stable à 1010 millibars.
C’est peu j’avoue, mais la météo annonce de l’est à sud-est au moins jusqu’à
samedi, après on verra, mais il se peut que nous attrapions une nouvelle
dépression.
En attendant, c’est toutes voiles dehors que nous avons 2
bords de près à tirer afin de déborder Cap Saint-Francis, puis Seal Point
surmonté d’un magnifique phare blanc datant de 1878. Enfin : nous mettrons
le cap au 290° ; allure de grand largue, voiles en ciseaux, bâbord amure.
Vendredi 3
janvier :
7h00 : une fois
n’est pas coutume : les prévisions météorologiques me déçoivent
encore ! Les 15 nœuds de sud-est annoncés jusqu’à samedi sont bien plus
faiblards que prévus ; de l’ordre de 6-10 nœuds. Jumelé à la houle de sud
qui nous prend par la travers bâbord et nous fait rouler comme un bouchon de
champagne dans une piscine à Saint-Tropez un 14 juillet, la GV est intenable,
et donc nous devons dorénavant déhaler sous génois tangonné seul alors que nous
avions plutôt bien marché toute la nuit, surtout avec une carène nouvellement
débarrassée de tous coquillages et autres crustacés totalement dispensables à
bord
Durant toute la journée : le temps sera brumeux, un
tantinet tristounet, presque à tendance mélancolique, ça doit être l’effet
nouvel an !
19h30 : JOUR 1. 34°11 sud,
23°21 est ; 82 milles
parcourus. Reste 20 milles jusqu’à Knysna, et 61 milles jusqu’à Mossel Bay.
Coucher du soleil à 19h42, heure locale of course !
Le vent est complètement tombé et nous errons d’ores et déjà
au gré du courant quasi inexistant (pour une fois ; il n’est pas à
contre ! ).
Séquence frisson !!! A l’heure de notre lugubre
crépuscule : nous nous faisons littéralement harceler par un rorqual de la
taille de Free Spirit ou presque, au moment même où mes œufs au plat étaient en
train de cuire ! A plusieurs reprises et ce durant 20 bonnes
minutes : il viendra prendre sa respiration à 3 ou 4 mètres de la jupe
arrière. J’arrive presque à sentir les embruns de son souffle sur mon visage
décomposé ! On ne peut faire mieux comme méthode d’intimidation, et j’ai
le cœur qui bat à cent à l’heure, contrairement à mon trouillomètre, lequel
serait plutôt au niveau du zéro… négatif ! Mais qu’est-ce qu’il nous veut
à la fin : du Nutella, des croquettes pour chat, une bière made in South
Africa ??? J’déconne là mais je peux vous dire que j’en menais pas large
tout à l’heure.
Trinquette assiste à l’événement, hébétée et stoïque, en se
posant la question : « Est-ce que ça se mange ??? ». La scène se
complètent d’une poignée de lions de mer, lesquels semblerait plutôt se fendre
allègrement la poire en assistant à ce pitoyable spectacle ! Le tout sur
fond de pétoche… euh de pétole sorry ! enfin les 2 quoi. Pays étonnant
tout de même ! En tout cas : je finis par éteindre le pilote
automatique, pensant qu’il était possible que le bruit l’agace ou le titille un
tantinet soit peu. C’est alors qu’il s’en est allé vers l’est, en direction
opposée à la nôtre. J’ose plus faire un seul bruit ou même rebrancher Loulou de
peur qu’il ne revienne hanter notre nuit qui s’annonçait plutôt calme avant son
intervention impromptue, ou comme un cheveu sur la soupe. La mienne (enfin mes
œufs) sera ultra cuite… et froide !
3h00 : nous avons
reculé de 2 milles en 4 heures de temps. Sympa ! Afin d’égailler
l’ambiance générale : la pression atmosphérique chute rapidement, un peu
trop pour que je me permette de glander dans les parages. A 4 milles de la côte
la plus proche : le moteur semble indispensable. Trinquette demeure
littéralement hypnotisée par le spectacle fascinant offert par le plancton
phosphorescent qui nous encercle. Comme lorsque vous jetez un caillou dans la
marre et qu’une onde circulaire se propage ; c’est un véritable feu
d’artifice féerique et enchanteur qui en résulte. Free Spirit trace sa route en
mode étoile filante traînant un sillage fluorescent aussi brillant et éclairé
que la Disney parade !
Mise à part quelques petits moutons blancs, que dis-je,
phosphorescents, le reste de notre environnement est profondément lugubre,
sinistre, où l’humidité règne cruellement façon crachin breton, et où il est
impossible de distinguer la différence entre ciel et mer.
Samedi 4
janvier :
à 6 heures du matin : je coupe le moteur afin de profiter
d’une brise de nord-ouest de 10-15 nœuds. Il forcira à 25 nœuds durant une
heure au cours de la matinée. Mais le mauvais sort s’acharne, persiste et
signe, nous obligeant ainsi à tirer des bords de près serré sous GV à 2 ris +
génois (ou trinquette suivant la risée ! )
Temps gris et humide, baromètre à 1005 millibars.
Pendant ce temps : nous nous faisons envahir par une
horde de papillons de nuit provenant d’on ne sait où ? C’est ainsi que
Trinquette, pour son plus grand bonheur, retrouvera ses instincts de
chasseresse hors pair ! Un véritable massacre ! Un boucherie !
Finalement ; c’est à Knysna (34°02.5 de latitude est,
23°02.67 de longitude est) que Free Spirit fera escale.
A midi ; nous embouquons la passe réputée très dangereuse
de cette lagune aux airs de petite mer intérieure, laquelle rappelle un peu la
morphologie du Bassin d’Arcachon. Le courant de marée est important et nous
profitons du flot (donc courant rentrant, coïncidence bénéfique qui m’étonne vu
le peu de chance que nous avons de ce côté là ! ) pour accélérer notre
arrivée au ponton du Knysna Yacht Club.
Il est 13 heures pile lorsque nous accostons. Et c’est ce qui
s’appelle être royalement accueilli ! Eau douce, sanitaires, Wifi, bar et
restos à une minute, supermarchés à 10 minutes. Place gratuite la première semaine !
J’espère être reparti avant samedi prochain…
Nous serons restés 41 heures en mer, aurons effectué 4 heures
de moteur, tout cela pour couvrir une modeste distance de seulement 106 milles
nautiques.
La famille anglaise du voilier Bonaire et nous nous sommes
ratés d’une journée ! Ils sont arrivés hier soir à Mossel Bay. Par
contre ; je retrouve avec une certaine émotion mon ami Andy, d’origine
suédoise, également navigateur solitaire, que j’avais rencontré aux Cococ
Keeling Islands. Souvenez-vous : il avait retardé son départ de 36 heures
juste pour être présent à ma soirée d’anniversaire. Et nous nous sommes croisés
dans le chenal d’accès à Port Mathurin sur l’île Rodrigues ; j’arrivais
juste des Cocos, et lui appareillait pour l’île Maurice.
Evidemment ; nous bavardons bateau et comparons nos
traversées respectives.
La mienne ; vous la connaissez déjà ! Andy, quant à lui, a eu une
traversée pas trop mauvaise (enfin moins pire que Free Spirit) entre La Réunion
et Durban (où son atterrissage s’est effectué). En revanche : il s’est
fait faucher par une dépression des plus sévère et surtout non prévu par les
fichiers météorologiques 24 heures après avoir quitté Durban, en route pour
East Londan. Les vents ont dépassé les 60 nœuds avec des rafales maxi à 82 nœuds.
Et je vous parle pas de la mer ; ambiance relief alpin !
Sa Girl-friend était on board pour l’occasion ! Elle est
apparemment très heureuse... d’avoir survécu !
Samedi 11
janvier :
Nous ne sommes
pas du tout en avance sur le timing ; presque arrivés à la mi janvier et
nous sommes encore baignés par les eaux tempérées de l’Océan Indien !
Il est vraiment temps de partir. A 15 heures ; ce sera
chose faite. Les amarres sont larguées, et Free Spirit prend de l’erre, secondé
du son Nanni diésel 21 CV, en route vers la sortie de la baie.
La marée était basse à 13h30 ; nous profitons ainsi du
jusant pour nous soutenir dans notre tâche, heureusement car le vent de sud-est
souffle à 10-15 nœuds (seulement au sein de la lagune, car une fois en mer,
nous nous apercevrons bien vite que la brise ne sera pas aussi généreuse) et
nous l’avons pile de face.
Problème rencontré quant au faite de sortir avec le
courant ; c’est qu’il vient à l’encontre de la mer et de la houle qui
viennent simultanément du large. Les passes sont par conséquent relativement
impressionnantes, mais heureusement pas infranchissables ! Une bonne série
de vagues rentrent à peu près toutes les 7 minutes m’a-t-on prévenu au
Yacht-Club, et il est certain que lorsqu’elles glisseront au-dessus du seuil de
profondeur à 4,5 mètres ; elles se mettront à déferler !
Charmant ! J’ai confiance.
45 minutes après avoir quitté le ponton ; nous pouvons
enfin jouir d’une certaine liberté… en mer dégagée de tout danger !
Pas de vent : nous continuons encore 2 heures et demi au
moteur. La mer est très agitée et croisée en tous sens, la houle de sud-ouest
atteint 2,5 mètres
dans les plus grosses séries.
18h00 : moteur
éteint, nous déhalons timidement au vent de travers durant 2 heures. Les voiles
ne manqueront pas de battre au gré des mouvements de houle. A 20 heures ;
je me résigne à tout affaler et à mettre en standby pour la nuit.
Dimanche 12
:
9h00 : oui :
j’ai passé un bonne nuit ! Comme prévu par les prévisions
météorologiques ; le vent d’ouest entre en action, et va forcir crescendo
durant toute la matinée, pour atteindre son paroxysme à 13 heures, heure à
laquelle il soufflera allègrement à près de 30 nœuds (bien qu’il ne devait
normalement pas dépasser 20 nœuds) ; phénomène qui ne me surprend pas le moins
du monde (principe du tout ou rien bien connu des Sud-africains ! ). Le
temps est maussade, et les nuages se taillent belle et bien la part du lion.
Bien entendu ; la mer se forme, mais le soleil brillera
enfin en milieu de journée !
Tout dessus en début de matinée ; nous attaquons
l’après-midi sous trinquette et GV à 2 ris. J’ai choisi l’option de tirer un
grand bord en direction du sud en attendant que le vent bascule au sud-ouest,
sud, puis sud-est une fois la dépression éloignée et la pression barométrique remontée.
Lundi 13 :
6h00 : oui :
là j’ai passé une nuit blanche à veiller toutes les 20 minutes ! Mais
quelle douce sensation que de se voir offrir la compagnie d’un Albatros volant
dans les parages dès le lever du jour. Je préfère de loin cet accueil chaleureux
aux nombreuses rencontres de bateaux de commerce que nous croisons sur notre
route. J’en ai bien veillé une bonne vingtaine tout au long de la nuit, et ça
continue. Ceci dit : nous évoluons plus ou moins à proximité de leur rail
de navigation obligatoire. Donc ; ils ont la priorité sur les
voiliers ! Mais en tout état de cause ; il vaut mieux ne pas chercher la
confrontation de dernière minute et jouer la carte de la prudence et la
sécurité.
Temps frais : il fait 18° à l’intérieur. Le baromètre est
remonté en flèche pour plafonner à 1030 millibars. Temps d’humidité à 77%, ça
c’est cool car mon PC va enfin démarrer. Au deçà de 90% : il refusera
toute sollicitation ! Le vent souffle du sud sud-ouest à 25 nœuds. Il a
entamé sa rotation depuis minuit et demi : heure à laquelle j’ai viré de
bord, passant bâbord amure sur un cap pas encore tout à fait calé sur la Cap des Aiguilles ou Cap
Agulhas. La mer est toujours très agitée, et la houle de sud-ouest culmine
d’ores et déjà à plus de 3
mètres , ces deux là prennent à malin et vicieux plaisir
à nous malmener copieusement. Le temps est très nuageux parsemé de rares coins
de ciel bleu.
13h00 : c’est sous
un ciel radieux et parfaitement ensoleillé que nous touchons enfin du sud
sud-est, mais malheureusement plus faible, et surtout très irrégulier,
alternant des périodes de calme à moins de 10 nœuds avec des périodes beaucoup
plus profitables à 20 nœuds. C’est très curieux cette instabilité car il n’y a
pas de nuage qui pourrait expliquer en partie ce phénomène. Peut-être la houle,
relativement substantielle en taille.
Nous filons vent de travers petit largue cap plein ouest, full
génois + GV à 1 ris. La mer est encore et toujours fortement désagréable et
Free Spirit bondit de crêtes en crêtes sans coup férir.
15h00 : JOUR 2. 34°52 de latitude sud, 21°45 de longitude est. 48 heures après notre départ de Knysna ;
nous avons couvert 135 milles en surface, pour seulement 83 milles en route
fond ! Il nous reste 85 milles à
parcourir jusqu’au Cap Agulhas, et 105 milles de plus afin d’atteindre la
marina de Hout Bay.
4h00 : un passage
du Cap des Aiguilles ne serait pas totalement crédible et réaliste sans être
accompagné d’un bon coup de vent en bonne et due forme… que voici que
voilà !!! Le vent d’est souffle désormais à 30-35 nœuds. Les déferlantes
apparaissent comme par magie. J’affale la
GV et nous laisse tirer par une petite dizaine de m2 de
génois tangonné sur tribord.
Je ne sais pas ce qui peut pousser un propriétaire à acquérir
un voilier en Afrique de Sud. Soit tu navigues au moteur, soit tu navigues en
mode baston. C’est un peu comme de vouloir une paire de ski à Tahiti, ou des
patins à glace aux Cocos Keeling Islands !
Le ciel est d’une clarté à couper le souffle. Entre la lune
que sera pleine d’ici 2 jours, un toit sans un seul nuage à l’horizon, et mes
nuits de veille intensive : j’ai l’impression de ne pas voir les nuits. De
plus : le crépuscule s’installe vers 21h00, et l’aube se lève vers
4h30.
Mardi 14 :
7h00 : comme vous pouvez le constater ;
jusqu’au bout, jusqu’au dernier milles parcouru en son sein : l’Océan
Indien n’aura rien lâché de sa fiévreuse et tumultueuse réputation et demeure
ainsi fidèle à l’image qui lui donne tous les marins qui l’ont pratiqué. Tandis
que Free Spirit se fait assaillir par les déferlantes rugissantes telles des
lionnes endiablées en manque de nourriture.
La rencontre de deux océans majeurs au
sommet d’un duel de Titan !
A 10h25, heure locale, par 34°52 de latitude sud et 19°59.9 de
longitude est ; Free Spirit et son équipage franchissent le Cap Agulhas
(ou Cap des Aiguilles), le point géographique le plus méridional de l’Afrique,
à la vitesse de 6 à 9 nœuds, voiles en ciseaux, GV à 3 ris et génois tangonné
sur tribord. C’est ainsi que nous transitons de l’Océan Indien vers l’Océan
Atlantique, celui-là même qui a vu naître mon CherFree Spirit. Comme passage
d’un océan à un autre ; l’émotion est grande comme on peut l’imaginer (le
Canal de Panama, le détroit de Torrès, et maintenant le Cap des Aiguilles). Je
me sens comme un enfant parti à l’école et qui revient le soir dans son jardin,
comme si de rien n’était.
Et pour parfaire l’instant ; la
mer est devenue curieusement beaucoup plus calme, comme pour nous souhaiter la
bienvenue et pour nous dire combien nous lui avons manqué !
A midi ; les conditions sont idéales : 20 nœuds de
vent portant (je dois manœuvrer un empannage afin de ne pas trop dériver vers
la côte), mer per agitée, grand soleil, un demi nœud de courant favorable, et
j’aperçois mes premiers pingouins du Cap batifolant joyeusement en compagnie
des otaries, fous-de-bassans et autres espèces d’oiseaux du coin. On dirait que
tout ce petit monde joue une comédie musicale. Ils sont marrants les
pingouins : lorsqu’ils sont en surface : on ne voit que le cou et la
tête qui dépasse de l’eau, façon télescope de vaisseau sous-marin !
15h00 : JOUR 3. 34°48 sud,
19°29 est ; 120 milles
parcourus. Il nous reste 56 milles à parcourir jusqu’au Cap de Bonne Espérance
(Cape of Good Hope), et 80 milles en tout afin de rallier la marina de Hout
Bay.
C’est vraiment incroyable la différence entre le si terrible
Océan Indien et le si docile Océan Atlantique. Mise à part la longue houle de
sud-ouest (et encore elle s’estompe peu à peu) ; j’ai l’impression de
naviguer dans la Baie
de Bonne Anse par une bonne brise thermique une après-midi de juillet. La
couleur de la mer tirant vers le vert-marron clair en accentue d’autant plus le
phénomène.
20h00 : heure à
laquelle le soleil se couche sur l’horizon dégagé. La lune est déjà sortie de
sa tanière orientale, surplombant un décor féerique de côtes africaines parfois
vallonnées, parfois montagneuses, parfois sablonneuses et rehaussées de dunes
de sable parfaitement remarquables vu de la mer. Tout ce relief prend forme et vie
sur fond de couleurs chaudes, non sans rappeler la palette complète des
couleurs de l’arc-en-ciel.
22h00 : le vent
refuse : je détangonne… et revient à la normale 30 minutes plus
tard : je retangonne ! Nous évoluons tout dessus, full GV + génois,
en mode calme et sérénité. Autant dire que nous n’avons pas été habitués à ces
conditions beaucoup trop rares.
Il fait 18° à l’intérieur ; le froid est piquant et l’humidité
est perçante. Je n’arrive pas à me réchauffer malgré les couches accumulées.
C’est terrible ! Qu’est-ce que cela doit être l’hiver !
4h15 : Free Spirit
assoie sa position au sein de l’Océan Atlantique en débordant à son tour, par
34°21.4 de latitude sud, et 18°23.3 de longitude est, le redoutable Cap de
Bonne Espérance ou Cape Of Good Hope. Malgré la nuit ; j’arrive à le
deviner là, juste sur notre tribord, à 3 milles à peine. A travers une percée
du clair de lune : je distingue clairement sa forme et son contour si
énigmatiquement dessiné, majestueux et emblématique. A partir de maintenant :
notre route oblique en direction du nord.
Petit clin d’œil :
contrairement aux idées reçues : il est faux de penser que le Cap de Bonne
Espérance marque le passage entre les deux océans, ce dernier étant
géographiquement et indiscutablement situé dans l’Océan Atlantique. Il est de
surcroît positionné plus haut en latitude que le Cap des Aiguilles. C’est donc
ce dernier qui marque bel et bien le point terrien situé le plus au sud du
continent Africain, et par conséquent la liaison entre les deux uniques protagonistes
à savoir l’Océan Indien et l’Océan Atlantique.
Phénomènes étranges que ces énormes algues cylindriques,
longues de 6 à 8 mètres .
Freiné voire presque arrêté ; nous allons en choper dans les safrans à 3
ou 4 reprises entre 2 heures et 6 heures du matin. Je n’ai pas le choix que de
les découper au couteau à dents, une par une, afin de nous en débarrasser.
Mercredi
15 :
6h00 : le baromètre continue son jeu de yoyo
insaisissable. Le temps est maussade. 17,3° ! Brrrr… J’ai les extrémités
au bord de la glaciation !
Ca fait tout drôle d’admirer le soleil levant sur tribord
dorénavant. Il se lève dans les nuages au-dessus du cap formé par un mamelon
surplombant un sein maternel proche de la perfection féminine, la scène se voit
sublimer par quelques vicieux rayons de soleil trouvant leur chemin à travers
la couche de nuages complice, tandis que tout près de notre franc bord,
viennent batifoler 2 otaries enjôleuses qui semblent vouloir nous indiquer la
route à suivre. Quel pays étonnant !
Depuis le passage du Cap de Bonne Espérance ; nous sommes
englués dans une molle tenace qui ne nous lâche plus. C’est pas vraiment ce que
j’espérais !!!
La mer est agitée, ce qui n’arrange rien à notre affaire.
Heureusement que nous sommes portés par 1 nœud de courant favorable.
6h30 : nouveau cap
plein nord ; ça fait super plaisir ! Reste 16 milles à parcourir
jusqu’à la marina de Hout Bay.
Pétole au départ, baston au milieu et pétole à
l’arrivée ! Vive la navigation en South Africa.
9h30 : le vent
nous a complètement abandonné. Sous les regards interrogateurs de dizaines
d’otaries, de pingouins, de fous-de-bassans et même une baleine ; je me
résigne donc à affaler les voiles, ranger le pont, et combler les quelques
milles restant à l’aide de la brise Diésel, bruyante et polluante !
Arrivée au port de Hout Bay à 12h30.
Free Spirit a parcouru 340 milles en 3 jours et 21 heures, à la
vitesse moyenne de 3,7 nœuds pour 89 milles quotidiens.
6 heures de moteur.
Nous sommes très attendus ici même, sur la péninsule du Cap.
Dominique et Francis ; mes amis de Charente-Maritime rencontrés pour la
première fois en Nouvelle-Zélande, m’accueillent à bras ouverts. Séquence
retrouvailles gorgée d’une certaine émotion de se retrouver une fois de plus à
l’autre bout du monde. Je suis ravi de les revoir et de visiter tout ce qu’il
faut voir aux alentours proches de la ville de Cape Town. La vue époustouflante
offerte par Table Mountain qui domine de ses 1 060 mètres
d’altitude la ville, son port, ses quartiers riches et ses townships (comprenez
les bidonvilles), mais aussi Hout Bay, Rubben Island (l’île-prison de Nelson
Mendela), ainsi que l’Océan Atlantique à perte de vue. On y accède très
facilement en téléphérique.
Impossible de se balader en Afrique du Sud sans fouler de ses
propres pieds le fameux Cap de Bonne-Espérance, son phare et son cap adjacent à
savoir Cape Point.
Vue imprenable sur False Bay au nord-est, et sur l’Océan
Atlantique à pratiquement 340° ! La péninsule qui englobe ses 2 caps est
classée réserve naturelle ; nous y avons croisé des zèbres et des
antilopes du Cap.
A ne pas manquer non plus The Boulders : la plage située
à Simonstown qui accueille une colonie de pingouins du Cap très rigolos.
Du côté de Contancia et sa route des Vins du Cap : ça
vaut également le déplacement ; l’Afrique du Sud est un des plus gros
producteurs de vins au niveau mondial. Certains bâtiments intégrés dans les
domaines dates de plus de 250 ans (bon d’accord ; rien à voir avec les
châteaux de la région de Bordeaux, mais quand même ; ils n’étaient pas
trop mal lotis non plus ! ).
Et enfin ; un petit tour du côté de Cape Town, au cœur de
son centre-ville, ses plages, son waterfront à l’américaine, ses musées et
vieilles bâtisses.
Je vais
également retrouver une copine de maternelle que je n’avais pas revue depuis 7
ans. Alex est une businesswoman et vit à Cape Town depuis 10 ans maintenant.
Mercredi
22 :
8h00 : il est temps pour Free Spirit de reprendre sa
route vers le nord, sous un soleil radieux. Prochaine escale ??? Suivant
où le vent nous mènera ! Pour le moment ; il est aux abonnés absents.
2 heures de moteur plus tard : nous touchons un très faible courant d’air
venu du sud-ouest, qui se transformera vers midi en une généreuse et
bienfaitrice brise de 15 à 20 nœuds. La mer est peu agitée le matin puis agitée
en cours d’après-midi. Houle de sud-ouest de 2 mètres .
Nous marchons correctement et sans forcer, toutes voiles
dehors. Au début allure de largue bâbord amure, puis voiles en ciseaux.
Dauphins, pingouins, otaries en très grands nombres accompagnent et égayent
notre paisible navigation.
17h30 : il reste
26 milles à parcourir afin de rejoindre Saldanha Bay ; trop tard pour
assurer une arrivée de jour, et encore que…
Bref : je décide de faire escale au mouillage « très
sauvage » et parfaitement abrité de l’île Dasseneiland.
Quelques bords de près au milieu de 4 ou 5 bateaux de pêches
locaux à l’ancre, et à mon tour de laisser tomber la mienne par 4 mètres de fond de
sables, à une trentaine de mètres de la plage. J’affale la GV ; il est 18 heures
précises. Nous avons couverts 45 milles en 10 heures.
Le mouillage est toléré mais l’accès à terre est strictement
prohibé (enfin pas pour les militaires je pense ; il y a une jetée et des
baraquements qui semblent en parfait état). L’île est une réserve naturelle
ornithologique intégrale où nichent et vivent en total liberté des dizaines de
milliers d’oiseaux. Et ça piaille, et ça crie, et ça siffle du matin au soir et
du soir au matin. Parmi toutes sortes d’oiseaux : j’ai pu observer des
goélands, des mouettes, des cormorans, des fous-de-bassans, des sternes, mais
aussi des pingouins et des pélicans.
Le lendemain matin : Free Spirit se retrouve acculé à la
plage, étrave pointée vers le nord, après avoir effectué un 180° sur sa chaîne
de mouillage. Le vent a viré au nord, et souffle très faiblement. Le
thermomètre affiche 16,5°. Je n’avais pas eu de température aussi fraîche
depuis Hienghène en Nouvelle-Calédonie au mois de septembre.
N’ayant aucune envie de parcourir plus de 25 milles au moteur
car c’est ce qui nous attend si j’appareille maintenant : j’attendrai donc
le jour suivant pour rallier Salvanha Bay, en espérant bien évidemment le
retour du vent qui nous mènera tranquillement à bon port.
Vendredi
24 :
17,3° ; y’a
du mieux ! Le vent est toujours orienté au nord, très faible. Toujours du
beau temps avec quelques entrées maritimes. La brisounette d’ouest de 15 heures
sera le signal du départ pour Saldanha ; notre prochaine et dernière
escale en Afrique du Sud. Voiles hissées, ancre relevée, cap plein nord allure
de bon plein tiré par un vent paresseux d’à peine 8 nœuds.
A 19h30 : le vent vire au sud-ouest et faiblit encore. Je
me résigne à rejoindre le premier mouillage abrité qui se présentera au moteur.
La mer devient très agitée avec le ressac dû à la proximité de la côte.
Grosse frayeur : à l’heure du coucher de soleil :
Free Spirit flirte avec non pas une, ni deux, mais une famille entière de
baleines à bosses, une bonne vingtaine d’individus au moins, toutes plus
énormes les unes que les autres. J’ai le trouillomètre à zéro d’autant que je
n’arrive pas à m’ôter de la tête cette séquence vidéo justement filmée dans les
parages de Cape Town et qui met en scène une baleine qui saute et atterrit sur
un voilier non sans avoir fait de très très gros dégâts à bord, notamment le
démâtage qui semblait inévitable.
Elles croisent par groupe de 2 ou 3 notre route à une distance
de 30 ou 40 mètres
de nous. J’en vois qui sonde à proximité immédiate de l’étrave, mon sondeur
passe de 73 à 35 mètres ,
pour aussitôt se recaler à 73 mètres ! Mais le plus impressionnant :
c’est que quelque unes se mettent joyeusement à effectuer ses jumps et autres
cabrioles époustouflantes au dessus des flots, avant de retomber lourdement
dans un fracas claquant et assourdissant sur la surface de l’eau. Elles
surgissent de partout et nulle part à la fois, battant violement tantôt de leur
queue, tantôt de leur immenses nageoires ! Le spectacle me paraît irréel,
et j’aspire à tout moment à un réveil mouvementé ! Mais non : je ne
rêve pas, et la réalité me fait peur, et m’émerveille à la fois ! C’est
beau de voir la simplicité et la puissance de la nature ici dévoilée sans
retenue ni complexe. Le clan mettra plus d’une demi-heure avant de commencer à
s’éloigner. Le soulagement me submerge, tandis que les otaries continuent leur
petit manège rieur et moqueur… Quel pays étonnant !
Arrivée de nuit au mouillage sauvage et désert de Jutten Bay,
à l’entrée sud de l’immense lagune de Saldanha, il est 21 heures et nous avons
couvert 22 milles.
Samedi 25
:
le vent de sud a
eu toute la nuit pour prendre de l’élan et ce matin : les rafales
atteignent 25 nœuds au mouillage. Avec un vent comme celui-là : j’aurai pu
couvrir la distance initialement prévu hier en 4 heures, arriver directement à
Saldanha en plein jour, et même aller me délecter d’une pizza cuite au feu de
bois sur le port animé du week-end. Mais voilà : c’est l’Afrique du Sud,
tout ou rien !
6 milles séparent notre mouillage actuel de celui de Saldanha.
Vent établi à 20-25 nœuds de sud, plein vent arrière, sous génois seul.
Mouillage juste devant le restaurant le Slipway, à proximité
du Yacht Club de Saldanha.
Appareillage pour le Namibie le jeudi 30 janvier en milieu d'après-midi.
Bon vent et à bientôt
Salut Benoit
RépondreSupprimerun petit Koukou de Coumak !!
Traversée kaotik que j'ai suivie avec toi, mais il faisait meilleur à terre !
Souvenirs amicaux
Bonne continuation
Jacky (Glen2-Rêverie croisière- Ami de Lorenzo et Cheche))